Le chanteur français publie «Amour chien fou», un dixième album où les élans du cœur et du corps s’épousent divinement. Rencontre avec un insatiable rêveur
(Photo: Yann Orhan/Believe)
Les voyages ne forment pas que la jeunesse. Pour son retour en forme de double album, Arthur H est allé puiser son inspiration à travers le monde. Le dixième enregistrement du chanteur français de 51 ans, Amour chien fou, s’est ainsi nourri d’escales à Bali, au Mexique et au Japon pour esquisser ses climats entre orages atmosphériques, brises sensuelles et mélancolies divagatoires. «Oui, heureusement la jeunesse peut aussi être un état intérieur. A chaque disque, je me pose en fait la question de savoir ce que je n’ai jamais fait de ma vie et qu’est-ce que je ne sais pas faire. Et là, par une circonstance hasardeuse et magnifique, on a eu l’occasion de faire un tour du monde à partir de Paris. Ce qui était à la fois stimulant et poétique», explique-t-il dans un hôtel genevois en réajustant son chapeau noir.
Et surtout, ajoute le fils de Jacques Higelin, «cela correspondait à l’idée initiale de réaliser deux disques, soufflé par ma compagne Léonore Mercier: l’un qui soit constitué de ballades émotionnelles, sensuelles, atmosphériques, mélancoliques ou cosmiques. Et un autre qui soit disco-punk, déjanté, pop-punk. Ainsi on permettait aux gens de faire deux voyages ou de choisir le sien.»
Altérité culturelle
De cette bourlingue financée en partie grâce à la voix enregistrée pour une pub d’un site français de vente de vêtements en ligne, Arthur H a avant tout ramené des sonorités plutôt qu’un carnet de bord textuel. «Le Mexique, c’est la fête des morts, la transe carnavalesque, c’est explosif et dansant et cela correspond à Chien fou. Alors que Bali, c’est mystérieux, nocturne, lent, doux, hypnotique et se reflète sur Amour». Deux énergies différentes qui donnent le la à chacun des disques, symbolisés d’un côté par le titre «Carnaval chaotique» et, de l’autre, par «Le passage (Gong Song)» exclusivement rythmé par des sons de gongs.
Se révèle-t-on vraiment plus attentif et perméable lorsqu’on part dans l’optique de créer? «Je pense qu’un voyage est principalement intérieur. J’ai remarqué à quel point on voit ce qu’on est capable de voir. On trouve ce que l’on est venu chercher. Malgré la surprise du voyage. Mais on absorbe sans doute le monde avec le prisme de l’artiste ou du poète en création. La beauté du voyage vient du fait qu’il y a une altérité sociale, culturelle indépassable et en même temps on vient chercher ce qu’on a à l’intérieur de nous, qui est très familier, intime, qu’on a perdu de vue ou qui n’est pas assez stimulé. On vient ainsi se reconnecter avec cette dimension, se rappeler qui l’on est.»
Paradoxalement, Amour Chien fou ne recèle aucune chanson liée au périple d’Arthur H. «Ce voyage était plutôt une espèce de surstimulation sensorielle, visuelle, sonore, émotionnelle avec l’idée de revenir gonflé à bloc. Après, les histoires sont très personnelles, intimes. Ce n’est pas un carnet de voyage mais plutôt des impressions, des états d’être qui ont nourri le disque de manière très souterraine.»
Autocitations
Ni «Reine de cœur», «Dame du lac», «Assassine de la nuit», «Moolove déesse», «Super héros de l’instant zéro» ou «Boxeuse amoureuse», personnages croisés au fil de cet album janus, ne sont donc nés sur la route. «La Boxeuse amoureuse», c’est ma mère, ou disons une chanson inspirée par ma mère. Une femme des années 60 avec toute cette exploration fabuleuse qu’elle a pu connaître en essayant de réinventer les rapports humains. Avec toutes ses réussites, ses échecs, ses histoires d’amour flamboyantes, ses divorces. C’est une capacité féminine merveilleuse de toujours remonter la pente, retrouver une forme de joie, d’innocence, de naïveté malgré les épreuves de la vie. C’est une chanson sur la résilience en somme.»
Cette déclaration d’amour singulière se conjugue avec une autre effusion de sentiments pour le cercle familial («Brigade légère») et évoque d’autres personnes chéries, comme la défunte chanteuse Lhasa («Sous les étoiles à Montréal») ou la fictive Lily Dale, l’une des belles icônes rêvées de l’album Négresse blanche (2003), qu’Arthur H ressuscite cette fois de façon très gainsbourienne («Lily Dale symphonie») et qui le rend à la fois triste et joyeux, à l’image des atmosphères d’Amour chien fou. Le chanteur s’autocitant une fois de plus, comme il aime à le faire et comme il l’avait déjà divinement fait avec sa Lady of Shangai apparue successivement sur Adieu tristesse (2005) et L’Homme du monde (2008): «C’est une façon de sortir une chanson de son île isolée. Je suis pour faire des liens, connecter des choses ensemble. Une chanson peut aussi être une histoire qui dure toute la vie, avec des personnages qu’on peut suivre. C’est comme dessiner une carte poétique pour aller d’un pays à un autre, d’une époque à une autre pour moi. Je le fais naturellement, pour créer des images poétiques, des relations.»
Cet article a aussi été publié dans le quotidien suisse Le Temps du 3 février 2018.