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  • Miossec, écume world

    Violon et accordéon donnent des accents folk inédits à «Mammifères», dixième album en vingt-et-un ans, par ailleurs marqué du sceau des attentats de Paris. Rencontre avec un chanteur au verbe fort.

    Photo: (Columbia/Sony Music)

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  • Février 2015: Les aubes pop de Joseph d'Anvers

    Dans la profusion des sorties mensuelles, ne retenons que quelques chansons...

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  • Miossec chante en eaux calmes

    Sur «Ici-bas, ici même» (PIAS), neuvième album radieux en vingt ans de carrière, le Brestois tourmenté vire vocalement et musicalement de bord. Remontée du temps en un coup de fil.

    Miossec, Ici-bas, ici même, album, chanson, pop, rock

    Une voix qui chuchote et des oiseaux qui sifflotent. Dans sa maison du Finistère, Miossec s'est assis en terrasse, face à la mer. Posément, au bout du fil, le chanteur remonte le cours du temps, de là où il a repris pieds en amorçant un nouveau virage musical et vocal. Vingt ans d'un fleuve intranquille qui l'ont vu passer du fulgurant Boire (1995) qui a remué la chanson à la française à Ici-bas, ici même, neuvième album enregistré dans son cocon breton et navigant comme jamais en eaux calmes. « Pour arriver au stade d'épurement d'Ici-bas, ici-même, il a fallu énormément de travail en amont, de ratures et de textes bazardés. Au même titre qu'il m'a fallu du temps pour m'accepter pleinement en tant que chanteur et être à l'aise dans ce monde-là. Je crois que c'est important de s'être ramassé la tronche, de ne jamais être autosatisfait comme certains collègues qui, à trop vouloir monter sur l'estrade et faire les malins, en ont payé le prix fort après un licenciement général prononcé par le public.»

    A contre-courant des électriques Chansons ordinaires (2011) et Finistériens (2009), Miossec est passé ainsi du tangage aux roulis, du rock tourmenté à une pop lumineuse. Le presque quinquagénaire a trop connu les remous pour ne pas apprécier cette sérénité inédite. «Après l’étiquette d’écorché vif, c’est celle d’homme apaisé que les médias me collent à la peau. Mais mes disques reflètent juste une vie normale constituée d’époques différentes et donc de hauts et de bas.» Soit. Mais comment s’est opéré ce ­virement de bord? «J’ai surtout voulu éviter de radoter et proposer autre chose. En termes d’écriture, j’ai chassé mes automatismes, éviter mon fonds de commerce pour tenter de viser des émotions plus universelles. Cet album m’a permis aussi d’assouvir le vieux fantasme de réaliser un disque à la maison, dépouillé, en peu de temps, en petit comité et sans pression ni souffrance. Un disque qui corresponde à mes humeurs musicales actuelles, où le jazz est très présent».

    Allongé dans un cercueil

    Puisque Chet Baker ou Nina Simone résonnent dans son salon et qu’une collaboration piano-voix avec le jazzman ­Baptiste Trontignon figure parmi ses meilleurs souvenirs scéniques récents, Miossec a fait appel pour la réalisation d’Ici-bas, ici-même au raffiné multi-­instrumentiste et chanteur Albin de la ­Simone (Vanessa Paradis, Alain Souchon, JP Nataf, Arthur H ou Mathieu Boogaerts), présenté par un ami et ingénieur du son commun. Premières intentions et impressions piano-voix (et marimba, contrebasse), improvisations, prises sonores sur le vif et peu d’arrangements ajoutés, le ­répertoire revêt rapidement dans le sous-sol de sa maison mué en studio d’enregistrement les airs spontanés souhaités par son capitaine. Une voilure sonore à la ­délicate acoustique où le chant de Miossec, au premier plan, fluide et mélodieux, peut autant envahir l’espace que ménager d’habiles respirations.

    Bien que les thématiques des chansons ne prêtent pas spécialement à sourire, la mort rôde souvent, Miossec s’épanouit vocalement comme rarement. «C’est vrai que je chante sans doute bien pour la première fois, comme si j’étais allongé dans un ­cercueil», s’amuse le Brestois qui, quant à ­l’irruption de la disparition au cœur de ces couplets, imagine d’abord en ironisant que «c’est dû à l’approche de la cinquantaine, des examens médicaux, etc». Avant de se raviser: «La mort a rôdé et rôde autour de moi. Le cancer devient une épidémie ­quotidienne et j’ai vu disparaître quelques proches ces dernières années (Alain Bashung ou Jean-Louis Foulquier, ndr). Mais si le thème aussi inépuisable que tabou de la mort s’est imposé, je ne voulais surtout pas l’accabler, qu’il soit plus mortifère ­encore. Je crois que ça a été mon plus grand défi et ma plus grande fierté en ­matière d’écriture pour Ici-bas, ici-même».


    Un cap salutaire

    La fuite du temps, obsession et angoisse durable de Miossec avec les ravages de l’amour, se trouve ici une maîtresse de taille grâce à des titres comme «On vient à peine de commencer», «Nos Morts», «A l’Attaque» ou «Des Touristes» qui se ­glissent dans les habits de la mort avec la subtilité d’un miraculé. Ne recensant plus seulement mélancoliquement les coups du sort, les plaies de l’âme et les gueules ­fracassées, Miossec trouve un cap salutaire pour ses chansons. Frottés au papier de soie plutôt qu’émeri, ces onze nouveaux titres gagnent en profondeur et émotion. A l’image de ses concerts autrefois sabordés, parfois sous l’emprise de l’alcool qu’il a depuis quatre ans arrêté sur injonction médicale, durant lesquels il confie enfin avoir retrouvé «un terrain de jeu formidable, qui donne de l’allant et un souffle neuf».

    Et si l’ex-journaliste a baptisé sa tournée «Vingt ans dans la carrière», c’est juste pour mieux souligner, en plus du clin d’œil à ses origines ouvrières, la dimension laborieuse de sa «trajectoire de chanteur débutée sur le tard et furieusement à 30 ans. Les premiers moments sont toujours les plus forts. L’époque de Boire, ces deux premières années où la vie professionnelle bascule, était invraisemblable, surréaliste. Aujourd’hui, j’ai retrouvé sur scène ce plaisir et ces sensations fortes».

    Cet article est aussi paru dans le quotidien suisse Le Courrier du 31 mai 2014

  • Episode XXVI: Renan Luce

    Au début des années 2000, dans le sillage des Biolay, Bénabar, Delerm and co est apparu une nouvelle génération d'auteur-compositeur-chanteur très vite rangée sous l’appellation médiatiquement contrôlée "nouvelle chanson française". Cette nouvelle vague vocale s’apprête en 2010 à célébrer ses dix ans d’existence. Retour dans le désordre sur les albums phares (une trentaine) des trentenaires talentueux qui à leur manière décompléxée ont repris le flambeau des Murat, Miossec, Dominique A ou Katerine des années 90 dont l’écriture leur avait ouvert d’autres voies

     

    RenanLuceRepenti.jpgRenan Luce, Repenti (Barclay, 2006)

    "Cherche regard neuf sur les choses/Cherche iris qui n'a pas vu la rose/Je veux brûler encore une fois/Au brasier des premières fois...", chante Renan Luce dans "L'Iris et la rose". La première strophe pourrait faire figure de devise au répertoire de ce jeune homme de 26 ans béni de talent. Tant son écriture tragi-comique se révèle d'une finesse exemplaire. Et d'un imaginaire débordant qui ne mène que rarement là où on l'attend.

    Français de Morlaix, dans le Finistère, Renan Luce effectue en fait une des plus palpitantes entrées en chanson de ces dernières saisons. Dans Repenti, premier album porté par une insidieuse et mélancolique chanson éponyme aux accents siciliens, il trempe sa plume impressionniste dans une encre jamais baveuse. Ici, on sourit gentiment, davantage qu'on rit franchement comme c'est le cas chez Bénabar, dont il a assuré les premières parties, ou Vincent Delerm.

    L'auteur de Repenti se fait ainsi souvent voyeur pour épier ses contemporains. Il se glisse aussi volontiers dans la peau de loups solitaires aux destins cabossés, aux manières pas tout à fait catholiques. Procédé le plus sûr pour emmener l'auditeur sur des chemins de traverse. Renan Luce: "Ce que j'aime chez les gens solitaires ou timides, c'est qu'il leur arrive souvent des choses incongrues et insoupçonnables. J'aime explorer de façon plus générale les zones cachées. Ces non-dits qui complètent une identité. Et si je suis attaché au mode tragi-comique, c'est parce qu'il permet de multiples rebondissements dans l'écriture."

    D'ailleurs, Renan Luce écrit long. Ne répète jamais trop les couplets. Il laisse courir son imaginaire sans peur. Mais toujours avec un point de vue. Un angle bien précis pour dérouler ses scénarios. Sur l'intimiste "Je suis une feuille", le Breton retrace poétiquement quelques-unes des mille vies fantasmées d'un papier léger à l'origine de bien de hauts faits. Bienfaisants ou non.

    De recoins en zones d'ombre, d'âmes en peine en fantômes passés, Renan Luce traque les souvenirs, fouille dans la gamme des sentiments. Une légère brisure dans sa voix ajoute au charme de ce qu'on peut qualifier sans gratuité d'"univers". Affirmé encore musicalement en empruntant autant au folk qu'au blues-rock façon Tom Waits, à la pop qu'aux ambiances de bastringue ou valsées. Toutes les atmosphères de son répertoire sont soigneusement orchestrées. L'acoustique domine - piano, guitare, contrebasse - et les mélodies s'avèrent très légères, aériennes ou brumeuses.

    Happé par la chanson au terme de sa scolarité obligatoire, alors que sa prime formation musicale s'est faite au conservatoire dont il n'était pas un assidu (piano saxophone), Renan Luce s'est mis à écrire quand il a troqué pour quelques francs son saxo pour une guitare. Il lui confie d'abord ses états d'âme, avant d'élargir peu à peu la focale de ses chansons. En la matière, son "maître d'écriture" avoué sera Brassens. Sur scène, il aime d'ailleurs reprendre "L'orage".

    Sinon, Nougaro, Moustaki et Brel s'écoutaient en famille, puis Miossec, Louise Attaque et Dominique A le touchent au cœur à l'adolescence. Un enrichissement par strates successives, dont les Beatles côté anglo-saxon constituent une autre trame de fond. L'expérience de la scène passe ensuite pour Renan Luce par la bouillonnante Rennes (études) et la boulimique Paris (travail de graphiste ces trois dernières années): circuit des cafés-concerts, et tout s'accélère. Repéré entre autres au printemps 2006 à Genève (Festival Voix de Fête), il décroche un "Prix pros". Seul sur scène, guitare-voix, il remet cela un peu plus tard au prestigieux festival de chanson Alors chante!, à Montauban. Il y glane cette fois le Prix du public.

    Courtisé par plusieurs maisons de disques, c'est au final Universal qui publie son attendu Repenti. Une entrée en matière qui ne trahit aucun espoir.

  • Episode XXII: Cali

    Au début des années 2000, dans le sillage des Biolay, Bénabar, Delerm and co est apparu une nouvelle génération d'auteur-compositeur-chanteur très vite rangée sous l’appellation médiatiquement contrôlée "nouvelle chanson française". Cette nouvelle vague vocale s’apprête en 2010 à célébrer ses dix ans d’existence. Retour dans le désordre sur les albums phares (une trentaine) des trentenaires talentueux qui à leur manière décompléxée ont repris le flambeau des Murat, Miossec, Dominique A ou Katerine des années 90 dont l’écriture leur avait ouvert d’autres voies


     

    CaliAmourparfait.jpgCali, L'Amour parfait (Labels, 2003)

     

    Maux d'amour et amour des maux. Cali explore les cordes sensibles de son âme. Une âme de damné plutôt que de bienheureux. Arrache-cœur plutôt qu'attrape-cœur, fataliste plus que conquérant: "Si tu dois t'en aller croquer le cul d'autres garçons/Je ne pourrais qu'accepter ta lamentable démission", admet un titre comme "Tes désirs font désordre". Plus loin, Cali peut aussi se montrer corrosif et cruel: "J'ai le sourire jusqu'aux oreilles/De te voir déguerpir ma vieille […] Et pense à dire à ta mère que je ne l'aime pas […] Va donc en saboter un autre bon débarras" ("Le grand jour"). En dix mélodies du malheur et trois chansons d'un infime espoir, l'auteur-compositeur-interprète navigue sur des flots d'écorchures intimes, de cicatrices sentimentales avec un style et un allant déconcertants.

    Les notes d'optimisme chez Cali ont une brève durée de vie, toujours happées par une répartie vacharde, une idée cinglante. Mais le chanteur d'origine catalane est un équilibriste, il a des audaces et des choix musicaux radicaux qui, pour un album solo inaugural, demeurent rares sur la scène de la chanson rock francophone de 2003. Si l'amour implique les compromis, toute l'intelligence de son répertoire est de ne pas s'y résoudre. Réunie cyniquement sous le titre L'Amour parfait, cette collection de fêlures que livre en pâture Bruno Caliciuri de son vrai nom fait ainsi preuve d'une abrupte cohésion, qui tient plus de la thématique que d'une unité stylistique. Où amour et orgueil blessés, trahisons mesquines, meurtrissures plus ou moins béantes, divorces pas à l'amiable participent d'un mélodrame pourtant pas annoncé. Car à la question liminaire "C'est quand le bonheur?" posée sur l'album, douze chansons répondent insidieusement et de concert "jamais"! Tandis qu'un piano, une guitare acoustique et des cordes enveloppent les souffrances dévoilées dans des linceuls de tristesse. Empruntant leurs effets à la fois à la grammaire pop-rock et à des factures plus classiques de la chanson (fanfare, orchestre symphonique).

    Reprenant à son compte une filiation qui passerait autant par Ferré et Brel que Miossec, Dominique A ou Arthur H, Cali n'en a toutefois hérité aucun tic. Ce natif d'une bourgade proche de Perpignan parle de cul avec sa diction et ses accentuations particulières, exprime ses déconvenues et ses coups de gueule comme ça lui chante. Avec des faux airs de Brigitte Fontaine au masculin. Disque exutoire à l'adresse des femmes, L'Amour parfait règle visiblement quelques comptes avec des "ex" tout en griffant le sentiment amoureux en général. Inspirées d'un parcours de vie tumultueux – une enfance nourrie d'amours et de tragédies dit la biographie –, les chansons portent en elles aussi cette instabilité chronique. Elles vacillent sur une guitare ombrageuse alors que l'ambiance est aux cordes romantiques, se prennent les pédales sur une batterie tapageuse alors que le piano offrait un éclairage lumineux. Pas en reste d'anicroches, L'Amour parfait se conjugue donc essentiellement à l'imparfait. Et se vit par à-coups, dans une alternance brusque de quiétude et de contrecoups.

    Néophyte de 35 ans, musicien autodidacte ayant fait ses armes dans deux formations pop sans lendemain, Cali a écumé les scènes indépendantes en bande avant de se résoudre à poursuivre son chemin en solitaire. Le goût d'écrire se concrétise à travers des compositions piano-guitare. De ces séances déjà marquées par les plaies laissées par les étreintes amoureuses apparaissent quelques titres phare de ce premier album. Parmi une quarantaine de titres, l'homme qui s'affiche avec un chat et ses griffures en peaufine une quinzaine pour la scène, en quatuor. Quelques premières parties, de Bénabar notamment, et une prestation aux Francofolies de la Rochelle l'an dernier, entérinent une bonne réputation qui se confirme pleinement aujourd'hui sur ce disque réalisé, enregistré et mixé par Daniel Presley (Breeders, Venus, Spain).

    La crudité des couplets alliée à des histoires taillées au cutter, à la diversité des atmosphères entre calme et tempête, à des options instrumentales en clair-obscur et à une voix claire rentre-dedans donnent à L'Amour parfait une allure mature. Sous un titre trompeur, aguicheur peut-être, Cali boit le calice de l'amour jusqu'à la lie. Et crache son venin avec cette pointe d'élégant dédain qui devrait en faire un grand outsider de demain.