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nougaro

  • Mai 2012

    Dans la profusion des sorties mensuelles, ne retenons que quelques chansons...

     

    Uminski.jpgPhilippe Uminski, Mon Premier Amour (Columbia)

     

    Une résurrection. Pour ­Philippe Uminski, habitué aux beaux seconds rôles comme réalisateur ou arrangeur auprès de Julien Clerc, Cyril Mokaiesh, les Têtes Raides ou Johnny Hallyday, mais auteur de trois albums solo dispensables, Mon Premier Amour sonne un renouveau. Constitué de vertiges passionnels, de désillusions sentimentales, d’amertume passée et d’élans existentiels, ce disque enregistré sans filet avec grand orchestre et septet rock charrie un souffle sidérant. Relevé encore par une voix pleine de ferveur semblant jouer sa vie sur chaque chanson. Cette intensité balaie tout sur son passage.

    Entre rafales de vent et ­zéphyr, envolées lyriques et accalmies mélodiques, cordes, ­cuivres, percussions et claviers millésimés, Mon Premier Amour évoque par endroits l’âge d’or de la pop française des sixties (Legrand ou Polnareff). Alors qu’ailleurs ce sont les spectres de Nougaro et, surtout, de Brel qui surgissent par le biais d’inflexions vocales ou de registres musicaux (java, valse). Sans omettre quelques réminiscences aznavouriennes ça et là.

    Reste qu’Uminski, dont la culture musicale semble aussi nourrie que digérée et passe assurément par les Beatles et John Barry, a aussi une sublime corde textuelle à son arc. Le cru «Par les toits», le chagrin «Autant qu’il m’en souvienne» sur fond "james bondien", les lucides «Un temps» et «Le temps qu’il reste à vivre», l’éperdu «La vie continue» sont de palpitants moments forts. Des tourbillons de vie nuancés.

     

     

     

  • Allain Leprest, fatale issue

    Leprest.jpgHommage tardif, mais mieux vaut..., à une plume reconnue et célébrée par la profession mais trop méconnue du grand public. Depuis qu'il a mis fin à ses jours le 15 août dernier à Antraigues (Ardèche) à l'âge de 57 ans, Allain Leprest a regagné quelque peu les honneurs des radios, lui qui n'y passait pratiquement jamais; pas plus qu'à la télévision d'ailleurs.

    C'était un portraitiste hors-pair qui n'avait pas son pareil pour poser des décors, suggérer des atmosphères, tordre la grammaire ou pousser des coups de gueule. Il excellait à obscurcir les tableaux ou à coller des mots sur le chagrin, la souffrance, l'errance physique ou existentielle. Avec toujours une dose d'humanisme, de tendresse pour la détresse de la condition humaine. Allain Leprest se nourrissait beaucoup de ses rencontres, disait y trouver quantité d'autoportraits.

    Ce sont certaines voix de l'alternative chantée comme Loïc Lantoine, La Rue Ketanou, Jamait qui lui vouaient surtout un culte, avant que deux albums hommage paraissent en 2008 et 2009 (Chez Leprest) avec Adamo, Higelin, Guidoni, Sanseverino, Nilda Fernandez, Michel Fugain ou Olivia Ruiz et mettent davantage en lumière ce chanteur d'ombres.

    Pourtant, Allain Leprest avait tout de même refourgué quelques vers de vague à l'âme à Juliette Gréco («Le pullover», mis en musique par Jean Ferrat), Francesca Solleville, Isabelle Aubret ou Romain Didier et son talent avait été loué par Nougaro ou Jean d'Ormesson qui l'a qualifié un jour de "Rimbaud du XXe siècle"...

    Trafiquant de mélancolie et d'ironie depuis trente ans et dix albums, Leprest a charrié un répertoire sombre, taillé de mots et maux au cordeau chanté d'une voix d'outre-tombe. Il admirait Ferré et Ferrat. Avait un faible pour les gueules cassées, les destins fracassés, les âmes en peine. C'est le chanteur Henri Tachan, celui qui poussait des coups de gueule contre les bombardements US au Vietnam, qui lui avait mis le pied à l'étrier dans les années 80 après avoir découvert un recueil de ses poésies.

    Son parcours ressemble ensuite à celui d'un chanteur-poète quelque peu maudit. Il est découvert au Printemps de Bourges en 85, sort premier disque en 86, écrit pour d'autres, chante à la Fête de l'Humanité qu'il connaît bien parce qu'il se revendique lui-même communiste. Quelques années de vache maigre suivent tout de même avant qu'un deuxième album en 1992 imaginé avec l'accordéoniste Richard Galliano ne remette Leprest en selle.

    Ce regain de popularité ne durera que quelques années. Et Leprest de disparaître du feu des projecteurs à nouveau, avant de réapparaître enfin avec des chansons originales en 2005, Donne-moi de tes nouvelles, au terme de sept ans de silence. Suit en 2009 Quand auront fondu les banquises, album automnal qui lorgne du côté de Paul Verlaine et de Charles Trenet. L’une des chansons s’appelle «Quand j’étais mort». ­


    Entre-temps, il aura aussi connu l'enfer ethilique et un cancer des poumons. Jusqu'à cette ultime aube tragique qu'il aimait tant chanter.

    A lire: Allain Leprest, Je viens vous voir: de Thomas Sandoz, Editions Christian Pirot (2003).

  • Avril 2011

    Dans la profusion des sorties mensuelles, ne retenons que quelques chansons...

    chanson, L, Raphaële Lannadère, Initiale, album, Premières lettres, BabX, Barbara, Billie Holiday, Coltrane, Nougaro, Château Rouge L, Initiale (Tôt ou Tard)

    Une lettre, L, pour une Initiale. Derrière la brièveté du pseudonyme et la simplicité du titre, une lame de fond. Le premier album de Raphaële Lannadère, Française de 30 ans au souffle ardent, recèle douze perles graciles et gracieuses. Des chansons grisantes aux noires atmosphères musicales, où percent une insolente aisance d’écriture, une impressionnante et impressionniste maturité déjà. Presque davantage mis en scène qu’orchestré par son complice David Babin, alias BabX, Initiale révèle une rare alchimie entre forme et fond. Embarquant dans ses longs travellings les penchants de BabX pour le jazz (Billie Holiday, Coltrane, Nougaro), les BO de films noirs, le music-hall, le classique, le rock, l’electro, Barbara ou Ferré.

    Et comme tous deux ont le goût des beaux mots poétiques et partagent des admirations pour Baudelaire, Rimbaud ou Artaud, pas étonnant de voir surgir des «nuits fauves», «aubes sépia» ou des images de bohèmes. En tous les cas, L trimbale avec élégance et prestance ses états d’âme et son désenchantement, ses errances et désirs brûlants au cœur de cet univers sonore tour à tour mystérieux et ensorceleur. «Mes lèvres sont mortes à minuit/Mes lèvres sont mortes d’ivresse/Embrasées dans un tourbillon/Carillonnant plein de promesses/En confettis et cotillons», chante-t-elle en introduction à la manière d’une Cendrillon aux prises avec ses émois. Dans une diction et un débit qui évoquent celui de la Barbara de «La solitude», L vous foudroie pareillement que l’une de ses références absolues en jouant sur l’incessante valse des sentiments.

    Quelques figures et mondes interlopes émergent aussi par moments et renforcent le décor de cet Initiale aux clairs-obscurs sublimes. A l’image du captivant «Château Rouge» qui parvient à recomposer dans le détail l’atmosphère du cosmopolite quartier parisien où cohabitent Africains, dealers, camés, bobos et prostituées. A cette immersion au sein d’odeurs de soufre et de produits exotiques, L ajoute une autre citadine balade nocturne aux parfums plus délétères et aux plans plus cinématographiques encore via «Romance et série noire», titre rappelant le «Crack Maniac» de BabX. Ailleurs, ce sont des spleens («Les corbeaux»), passions (le plus mélodique «Jalouse»), poétiques rêveries (l’autoportrait fictif Initiale, «Pareil», «Mescaline») et de belles trouvailles lexicales comme ce «Je fume pour me rappeler ta voix» qui se trouvent souvent déclinés sur d’exquises lenteurs et moiteurs rythmiques.

    Cette esthétique du film musical en noir et blanc appliqué à Initiale, soigneusement peaufiné, confère à l’album un troublant supplément d’âme. La chanteuse a bien fait de prendre son temps pour écrire ce premier chapitre suivant un prologue esquissé il y a trois ans par le biais de six titres, Premières Lettres. Et d’où émergeait déjà «Petite», chanson émouvante sur l’amour d’un homme pour une fille de joie sans papiers volatilisée. Avec de tels atours stylés et ce son patiné, Initiale et L figurent déjà au rang des précieuses révélations de l’année française de la chanson

    Cet article est aussi paru dans le Quotidien Le Temps du 15 avril 2011

  • Episode XXVI: Renan Luce

    Au début des années 2000, dans le sillage des Biolay, Bénabar, Delerm and co est apparu une nouvelle génération d'auteur-compositeur-chanteur très vite rangée sous l’appellation médiatiquement contrôlée "nouvelle chanson française". Cette nouvelle vague vocale s’apprête en 2010 à célébrer ses dix ans d’existence. Retour dans le désordre sur les albums phares (une trentaine) des trentenaires talentueux qui à leur manière décompléxée ont repris le flambeau des Murat, Miossec, Dominique A ou Katerine des années 90 dont l’écriture leur avait ouvert d’autres voies

     

    RenanLuceRepenti.jpgRenan Luce, Repenti (Barclay, 2006)

    "Cherche regard neuf sur les choses/Cherche iris qui n'a pas vu la rose/Je veux brûler encore une fois/Au brasier des premières fois...", chante Renan Luce dans "L'Iris et la rose". La première strophe pourrait faire figure de devise au répertoire de ce jeune homme de 26 ans béni de talent. Tant son écriture tragi-comique se révèle d'une finesse exemplaire. Et d'un imaginaire débordant qui ne mène que rarement là où on l'attend.

    Français de Morlaix, dans le Finistère, Renan Luce effectue en fait une des plus palpitantes entrées en chanson de ces dernières saisons. Dans Repenti, premier album porté par une insidieuse et mélancolique chanson éponyme aux accents siciliens, il trempe sa plume impressionniste dans une encre jamais baveuse. Ici, on sourit gentiment, davantage qu'on rit franchement comme c'est le cas chez Bénabar, dont il a assuré les premières parties, ou Vincent Delerm.

    L'auteur de Repenti se fait ainsi souvent voyeur pour épier ses contemporains. Il se glisse aussi volontiers dans la peau de loups solitaires aux destins cabossés, aux manières pas tout à fait catholiques. Procédé le plus sûr pour emmener l'auditeur sur des chemins de traverse. Renan Luce: "Ce que j'aime chez les gens solitaires ou timides, c'est qu'il leur arrive souvent des choses incongrues et insoupçonnables. J'aime explorer de façon plus générale les zones cachées. Ces non-dits qui complètent une identité. Et si je suis attaché au mode tragi-comique, c'est parce qu'il permet de multiples rebondissements dans l'écriture."

    D'ailleurs, Renan Luce écrit long. Ne répète jamais trop les couplets. Il laisse courir son imaginaire sans peur. Mais toujours avec un point de vue. Un angle bien précis pour dérouler ses scénarios. Sur l'intimiste "Je suis une feuille", le Breton retrace poétiquement quelques-unes des mille vies fantasmées d'un papier léger à l'origine de bien de hauts faits. Bienfaisants ou non.

    De recoins en zones d'ombre, d'âmes en peine en fantômes passés, Renan Luce traque les souvenirs, fouille dans la gamme des sentiments. Une légère brisure dans sa voix ajoute au charme de ce qu'on peut qualifier sans gratuité d'"univers". Affirmé encore musicalement en empruntant autant au folk qu'au blues-rock façon Tom Waits, à la pop qu'aux ambiances de bastringue ou valsées. Toutes les atmosphères de son répertoire sont soigneusement orchestrées. L'acoustique domine - piano, guitare, contrebasse - et les mélodies s'avèrent très légères, aériennes ou brumeuses.

    Happé par la chanson au terme de sa scolarité obligatoire, alors que sa prime formation musicale s'est faite au conservatoire dont il n'était pas un assidu (piano saxophone), Renan Luce s'est mis à écrire quand il a troqué pour quelques francs son saxo pour une guitare. Il lui confie d'abord ses états d'âme, avant d'élargir peu à peu la focale de ses chansons. En la matière, son "maître d'écriture" avoué sera Brassens. Sur scène, il aime d'ailleurs reprendre "L'orage".

    Sinon, Nougaro, Moustaki et Brel s'écoutaient en famille, puis Miossec, Louise Attaque et Dominique A le touchent au cœur à l'adolescence. Un enrichissement par strates successives, dont les Beatles côté anglo-saxon constituent une autre trame de fond. L'expérience de la scène passe ensuite pour Renan Luce par la bouillonnante Rennes (études) et la boulimique Paris (travail de graphiste ces trois dernières années): circuit des cafés-concerts, et tout s'accélère. Repéré entre autres au printemps 2006 à Genève (Festival Voix de Fête), il décroche un "Prix pros". Seul sur scène, guitare-voix, il remet cela un peu plus tard au prestigieux festival de chanson Alors chante!, à Montauban. Il y glane cette fois le Prix du public.

    Courtisé par plusieurs maisons de disques, c'est au final Universal qui publie son attendu Repenti. Une entrée en matière qui ne trahit aucun espoir.

  • Episode X: BabX

    Au début des années 2000, dans le sillage des Biolay, Bénabar, Delerm and co est apparu une nouvelle génération d'auteur-compositeur-chanteur très vite rangée sous l’appellation médiatiquement contrôlée "nouvelle chanson française". Cette nouvelle vague vocale s’apprête en 2010 à célébrer ses dix ans d’existence. Retour dans le désordre sur les albums phares (une trentaine) des trentenaires talentueux qui à leur manière décompléxée ont repris le flambeau des Murat, Miossec, Dominique A ou Katerine des années 90 dont l’écriture leur avait ouvert d’autres voie


    babx.jpgBabX, BabX (On Music, 2006)

    Aussi gourmand de mots que de sonorités. David Babin, alias BabX, réussi une prodigieuse alchimie entre les différentes sources d'influence qu'il revendique. Son premier album est étonnant de sensualité, de spleen, d'engagement, d'intelligence d'écriture qui appelle à son bord tout à la fois Léo Ferré, Nougaro, le rap de NTM, Barbara, le jazz de John Coltrane, la musique classique, les musiques du monde et le music-hall. Sans omettre les bandes originales de films. Autant de repères inspirateurs que ce jeune homme alors âgé de 25 ans, admirateur aussi de Rimbaud, Artaud, Aragon et Kerouac, a dissimulés dans des chansons savamment épicuriennes.

    De sa maman pianiste (qui lui a inspiré les images nostalgiques des couplets-hommages de "Sous le piano de ma mère"), par ailleurs professeur de chant et ethnomusicologue, et de son père psychanalyste et écrivain, BabX a sans doute hérité cette faculté de savoir habilement marier le sens et les sons, les climats et les décors. Avec un côté voltigeur et une intensité qui lui est propre. S'il a bénéficié d'une formation musicale classique (piano), son approche n'a jamais été classique pour autant. Et il a d'ailleurs très vite migré vers le jazz et les musiques improvisées.

    Culbuter les mots, télescoper et triturer la matière sonore, insuffler des digressions dans les partitions, BabX sait admirablement le faire. Qu'il scande ou chante, bâtisse une chanson sur les allitérations ("Crack Maniac") ou le spleen amoureux, BabX excelle autant dans l'exercice de style que dans une écriture parfois moins imagée. Le répertoire de cet interprète qui se rêvait à l'origine plutôt comédien fonctionne surtout par des mises en scène de thématiques. Au fil d'un disque où interviennent une trentaine de musiciens, il évoque l'aliénation esthétique du corps ("Silicon Baby"), les clandestins de nos boat people contemporains ("Bains de minuit"), la désillusion d'une lofteuse en quête de célébrité instantanée ("Lettera"). Et y planque encore quelques sujets plus graves, traités de façon sibylline, comme la pédophilie ("Secret professionnel") ou la folie du sacrifice humain ("Kamikase").

    La force des chansons de BabX, c'est qu'elles possèdent toujours de redoutables atmosphères. Où tous les éléments s'imbriquent comme dans un château de cartes. Chaque instrument décline une sentiment. BabX a hérité de la «sensorialité» de la langue de Ferré et Nougaro, «de ces langages qui claquent tels des chorus de Parker». Un Moderne aux penchants classiques en somme.