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ferré

  • Mars 2011

    Dans la profusion des sorties mensuelles, ne retenons que quelques chansons...

    ThiéfaineSupplmensonge.jpgHubert-Félix ­Thiéfaine, Suppléments de mensonge (Columbia)

    Un seizième album limpide et une biographe captivante remettent en lumière le chanteur qui a connu une récente descente aux enfers. Rencontre avec un survivant de 62 ans

     

    Après le gouffre, la renaissance. Suppléments de mensonge , seizième album studio du chanteur français, sonne comme une ­délivrance. Tant Hubert-Félix ­Thiéfaine, HFT pour ses fans et ­intimes, est parvenu à conjurer divinement ses démons avec ce disque dont les brises pop atténuent les braises textuelles.

    En confiant les arrangements aux orfèvres Edith Fambuena et Jean-Louis Piérot du tandem Les Valentins (Daho, Bashung ou ­Birkin), le Jurassien s’est octroyé des orchestrations amples et aérées. Quelques compositeurs en vue (Arman Méliès, JP Nataf ou Ludéal) lui permettent également de poursuivre l’ouverture mélodique pratiquée sur Scandale mélancolique (2005).

    La confrontation d’un fond abrupte à ces lignes musicales claires offre encore à l’électron libre Thiéfaine de cultiver les bipolarités qu’il chérit tant depuis près de trente-cinq ans. Grâce à un répertoire aussi érudit que maudit et onirique, où il aime à remuer les plaies de l’enfance, à mettre en relief l’absurdité humaine ou ses fêlures intimes et ses noires colères. Rebelle à sa manière, «qui aime Ferré, Dylan, les Rolling Stones, la littérature américaine, les alcools blancs, les piments rouges et le silence des forêts» sans oublier les auteurs classiques (Plutarque, Sénèque, Cicéron, etc.) et nihilistes, Thiéfaine planque pourtant sous le vernis de Suppléments de mensonge quelques vérités funestes.

    A l’image de ce charnière «Je rêve tellement d’avoir été que je vais finir par tomber» activé au cœur de «Petit matin 4:10 heure d’été». La chute a en effet été brutale dans le cas de l’auteur du populaire «La fille du coupeur de joints». Elle remonte à l’été 2008: «C’est une chanson documentaire qui traite de tout ce qui se passe dans la tête d’un suicidaire au moment où il va passer à l’exécution de sa décision. Je m’y fais simple reporter de ma douleur. Je comprends qu’on puisse y attacher davantage d’importance: le suicide en soi, hormis chez quelques punks, a rarement été abordé et développé en chanson». Pour souligner la thématique, Thiéfaine a placé en exergue dans le livret la citation de l’écrivain suédois suicidé Stig Dagerman: «Vivre signifie seulement repousser son suicide de jour en jour.» Et a daté la chanson au 28/08/2008.

    Le décor et l’ampleur des troubles ont le mérite d’être posés. Victime d’un sérieux burn-out aux conséquences presque funestes, Thiéfaine s’est lentement remis en selle. «Je ne suis pas du genre à exploiter ce genre d’accident mais il est bien d’en parler. J’ai été hospitalisé trois mois et demi avant une longue convalescence, et ce repos forcé a évidemment influencé l’écriture apaisée de Suppléments de mensonge. Mes précédents disques étaient plus énervés et réalisés dans une vie stressée, dingue et pleine d’excès.»

    Afin d’être «plus en adéquation avec ce nouveau souffle et cette énergie inédite», le sexagénaire requinqué a même jeté un album achevé entier à la poubelle (baptisé Itinéraire d’un naufragé) dont il n’a ici exhumé que deux chansons: «Petit matin 4:10 heure d’été» et «Garbo XW machine». Jours d’orage, exemplaire biographie réactualisée et signée Jean Théfaine, permet d’ailleurs de mieux appréhender les origines de ce crash qui a conduit HFT à faire table rase d’un passé tumultueux et doloriste.

    Chétivité et soucis de santé, repli précoce dans son monde pour cause d’humiliations répétées, éducation catholique au sein d’une famille ouvrière à Dole mais école laïque d’abord avant de rejoindre un séminaire catholique puis les Jésuites, révolte ensuite «contre les rigidités d’un système d’éducation où ses rêves se sont fracassés» mais «en admiration aussi devant la qualité d’un bagage scolaire acquis à force de travail encadré», Thiéfaine finit par cultiver les paradoxes. Et de citer en guise de justification, lui qui a expérimenté autant le mutisme, le caniveau que les fièvres littéraires et philosophiques, un chef sioux et chaman: «Il faut absolument faire un tour de l’homme à 360 degrés pour saisir l’expérience humaine. C’est-à-dire éprouver à la fois la sagesse et le dévergondage.»

    Dans le cas de Thiéfaine, les vertiges de l’empathie passent par l’enseignement du grec et du latin, ­l’alcoolisation précoce, l’apprentissage de la guitare en autodidacte, le mal-être et le mutisme mêlé aux jouissances de la lecture, des dérives parisiennes en compagnie des «fantômes de Rimbaud, Verlaine et Baudelaire» au mitan des années 1970 et par la naissance sur le pavé de ses trois premiers albums. A côtoyer de si près l’autodestruction, la folie et les grands auteurs, le loup solitaire se refait pourtant peu à peu une santé de fer. Et «le caillou catatonique» qui s’est réfugié dans l’écriture avant d’apprivoiser à nouveau la parole à 35 ans de se forger un style inimitable.

    Sa longue psychanalyse versifiée, truffée de néologisme et de mythologie, aura fonctionné comme l’unique échappatoire aux spectres du passé. Le récent hoquet de son histoire a bien failli lui être fatal. Mais permet de mieux mesurer à quel point ce Suppléments de mensonge, dont l’expression emprunte au Gai Savoir de Nietzsche, compte dans le parcours du miraculé Thiéfaine.

    Biographie: Hubert-Félix Thiéfaine: Jours d’orage, par Jean Théfaine (Fayard)BioThiéfaine.jpg

    Cet article est aussi paru dans le Quotidien Le Temps du 26 mars 2011

  • Episode XXII: Cali

    Au début des années 2000, dans le sillage des Biolay, Bénabar, Delerm and co est apparu une nouvelle génération d'auteur-compositeur-chanteur très vite rangée sous l’appellation médiatiquement contrôlée "nouvelle chanson française". Cette nouvelle vague vocale s’apprête en 2010 à célébrer ses dix ans d’existence. Retour dans le désordre sur les albums phares (une trentaine) des trentenaires talentueux qui à leur manière décompléxée ont repris le flambeau des Murat, Miossec, Dominique A ou Katerine des années 90 dont l’écriture leur avait ouvert d’autres voies


     

    CaliAmourparfait.jpgCali, L'Amour parfait (Labels, 2003)

     

    Maux d'amour et amour des maux. Cali explore les cordes sensibles de son âme. Une âme de damné plutôt que de bienheureux. Arrache-cœur plutôt qu'attrape-cœur, fataliste plus que conquérant: "Si tu dois t'en aller croquer le cul d'autres garçons/Je ne pourrais qu'accepter ta lamentable démission", admet un titre comme "Tes désirs font désordre". Plus loin, Cali peut aussi se montrer corrosif et cruel: "J'ai le sourire jusqu'aux oreilles/De te voir déguerpir ma vieille […] Et pense à dire à ta mère que je ne l'aime pas […] Va donc en saboter un autre bon débarras" ("Le grand jour"). En dix mélodies du malheur et trois chansons d'un infime espoir, l'auteur-compositeur-interprète navigue sur des flots d'écorchures intimes, de cicatrices sentimentales avec un style et un allant déconcertants.

    Les notes d'optimisme chez Cali ont une brève durée de vie, toujours happées par une répartie vacharde, une idée cinglante. Mais le chanteur d'origine catalane est un équilibriste, il a des audaces et des choix musicaux radicaux qui, pour un album solo inaugural, demeurent rares sur la scène de la chanson rock francophone de 2003. Si l'amour implique les compromis, toute l'intelligence de son répertoire est de ne pas s'y résoudre. Réunie cyniquement sous le titre L'Amour parfait, cette collection de fêlures que livre en pâture Bruno Caliciuri de son vrai nom fait ainsi preuve d'une abrupte cohésion, qui tient plus de la thématique que d'une unité stylistique. Où amour et orgueil blessés, trahisons mesquines, meurtrissures plus ou moins béantes, divorces pas à l'amiable participent d'un mélodrame pourtant pas annoncé. Car à la question liminaire "C'est quand le bonheur?" posée sur l'album, douze chansons répondent insidieusement et de concert "jamais"! Tandis qu'un piano, une guitare acoustique et des cordes enveloppent les souffrances dévoilées dans des linceuls de tristesse. Empruntant leurs effets à la fois à la grammaire pop-rock et à des factures plus classiques de la chanson (fanfare, orchestre symphonique).

    Reprenant à son compte une filiation qui passerait autant par Ferré et Brel que Miossec, Dominique A ou Arthur H, Cali n'en a toutefois hérité aucun tic. Ce natif d'une bourgade proche de Perpignan parle de cul avec sa diction et ses accentuations particulières, exprime ses déconvenues et ses coups de gueule comme ça lui chante. Avec des faux airs de Brigitte Fontaine au masculin. Disque exutoire à l'adresse des femmes, L'Amour parfait règle visiblement quelques comptes avec des "ex" tout en griffant le sentiment amoureux en général. Inspirées d'un parcours de vie tumultueux – une enfance nourrie d'amours et de tragédies dit la biographie –, les chansons portent en elles aussi cette instabilité chronique. Elles vacillent sur une guitare ombrageuse alors que l'ambiance est aux cordes romantiques, se prennent les pédales sur une batterie tapageuse alors que le piano offrait un éclairage lumineux. Pas en reste d'anicroches, L'Amour parfait se conjugue donc essentiellement à l'imparfait. Et se vit par à-coups, dans une alternance brusque de quiétude et de contrecoups.

    Néophyte de 35 ans, musicien autodidacte ayant fait ses armes dans deux formations pop sans lendemain, Cali a écumé les scènes indépendantes en bande avant de se résoudre à poursuivre son chemin en solitaire. Le goût d'écrire se concrétise à travers des compositions piano-guitare. De ces séances déjà marquées par les plaies laissées par les étreintes amoureuses apparaissent quelques titres phare de ce premier album. Parmi une quarantaine de titres, l'homme qui s'affiche avec un chat et ses griffures en peaufine une quinzaine pour la scène, en quatuor. Quelques premières parties, de Bénabar notamment, et une prestation aux Francofolies de la Rochelle l'an dernier, entérinent une bonne réputation qui se confirme pleinement aujourd'hui sur ce disque réalisé, enregistré et mixé par Daniel Presley (Breeders, Venus, Spain).

    La crudité des couplets alliée à des histoires taillées au cutter, à la diversité des atmosphères entre calme et tempête, à des options instrumentales en clair-obscur et à une voix claire rentre-dedans donnent à L'Amour parfait une allure mature. Sous un titre trompeur, aguicheur peut-être, Cali boit le calice de l'amour jusqu'à la lie. Et crache son venin avec cette pointe d'élégant dédain qui devrait en faire un grand outsider de demain.

  • Episode X: BabX

    Au début des années 2000, dans le sillage des Biolay, Bénabar, Delerm and co est apparu une nouvelle génération d'auteur-compositeur-chanteur très vite rangée sous l’appellation médiatiquement contrôlée "nouvelle chanson française". Cette nouvelle vague vocale s’apprête en 2010 à célébrer ses dix ans d’existence. Retour dans le désordre sur les albums phares (une trentaine) des trentenaires talentueux qui à leur manière décompléxée ont repris le flambeau des Murat, Miossec, Dominique A ou Katerine des années 90 dont l’écriture leur avait ouvert d’autres voie


    babx.jpgBabX, BabX (On Music, 2006)

    Aussi gourmand de mots que de sonorités. David Babin, alias BabX, réussi une prodigieuse alchimie entre les différentes sources d'influence qu'il revendique. Son premier album est étonnant de sensualité, de spleen, d'engagement, d'intelligence d'écriture qui appelle à son bord tout à la fois Léo Ferré, Nougaro, le rap de NTM, Barbara, le jazz de John Coltrane, la musique classique, les musiques du monde et le music-hall. Sans omettre les bandes originales de films. Autant de repères inspirateurs que ce jeune homme alors âgé de 25 ans, admirateur aussi de Rimbaud, Artaud, Aragon et Kerouac, a dissimulés dans des chansons savamment épicuriennes.

    De sa maman pianiste (qui lui a inspiré les images nostalgiques des couplets-hommages de "Sous le piano de ma mère"), par ailleurs professeur de chant et ethnomusicologue, et de son père psychanalyste et écrivain, BabX a sans doute hérité cette faculté de savoir habilement marier le sens et les sons, les climats et les décors. Avec un côté voltigeur et une intensité qui lui est propre. S'il a bénéficié d'une formation musicale classique (piano), son approche n'a jamais été classique pour autant. Et il a d'ailleurs très vite migré vers le jazz et les musiques improvisées.

    Culbuter les mots, télescoper et triturer la matière sonore, insuffler des digressions dans les partitions, BabX sait admirablement le faire. Qu'il scande ou chante, bâtisse une chanson sur les allitérations ("Crack Maniac") ou le spleen amoureux, BabX excelle autant dans l'exercice de style que dans une écriture parfois moins imagée. Le répertoire de cet interprète qui se rêvait à l'origine plutôt comédien fonctionne surtout par des mises en scène de thématiques. Au fil d'un disque où interviennent une trentaine de musiciens, il évoque l'aliénation esthétique du corps ("Silicon Baby"), les clandestins de nos boat people contemporains ("Bains de minuit"), la désillusion d'une lofteuse en quête de célébrité instantanée ("Lettera"). Et y planque encore quelques sujets plus graves, traités de façon sibylline, comme la pédophilie ("Secret professionnel") ou la folie du sacrifice humain ("Kamikase").

    La force des chansons de BabX, c'est qu'elles possèdent toujours de redoutables atmosphères. Où tous les éléments s'imbriquent comme dans un château de cartes. Chaque instrument décline une sentiment. BabX a hérité de la «sensorialité» de la langue de Ferré et Nougaro, «de ces langages qui claquent tels des chorus de Parker». Un Moderne aux penchants classiques en somme.