Un tarmac en guise de bienvenue à bord de Parcs. Le béton pour signifier la verdure. Une fois de plus, la forme et le fond semblent en contradiction chez Bertrand Belin. Pourtant, à y regarder de près, le quatrième album du chanteur-conteur est plus cohérent qu’il n’y paraît. Tant Parcs est encore et avant tout une exquise invitation au voyage et vagabondage.
En un peu moins de dix ans, Belin est passé maître dans l’art de générer l’évasion, l’échappée belle atmosphérique. La chanson de traverse constitue sa prouesse. Dans Sorties de route (Ed. La Machine à cailloux, 2011), petit ouvrage où le Français réfléchit au processus de création, il s’interroge d’ailleurs sans vraiment répondre: «Mes chansons ne sont-elles pas, après tout, l’accompagnement sonore d’une dérive ou, plus justement, celui de l’éloignement d’une rive?»
Au bout du fil, à l’heure de l’interview, on persévère pour décrocher une explication: «Je vois cela comme le plongeon ou des choses paradoxales qui questionnent les frontières. La dérive, cela peut autant être fuir le nazisme que s’éloigner en nageant. Ce qui me plaît dans cette notion et dans la chanson, c’est l’ambivalence, la promesse romanesque, le ressort dramatique, la beauté de l’inexorable».
DÉVELOPPER SA SURVIE
En toile de fond de Parcs apparaissent aussi ses préoccupations récurrentes: «La fuite du temps, la façon dont on s’arrange avec la solitude ou la vieillesse, dont on s’accommode avec notre bout de lorgnette dans ce monde complexe.» L’esthète Belin confesse écrire pour développer sa survie, conjurer les secondes qui s’égrènent: «Je trouve qu’on pourrait tout résumer ou lire à l’aune de la flèche du temps. L’histoire des techniques, du progrès n’est que cela. Mais je songe au temps comme à un véhicule. Le temps comme le voyage, le déplacement, le paysage du vivant. Dans cette idée, le futur me passionne autant que le passé. En somme, c’est l’ironie métaphysique du vivant qui me captive et nourrit mon répertoire.»
Parcs offre un magnifique tour du propriétaire. Où l’on chemine aux côtés de personnages déboussolés (un homme au bord d’un plongeoir, un autre perdu, des hommes qui se battent, un couple qui se querelle) au coeur de paysages verts, broussailleux, pluvieux ou brumeux. Une faune indéfinie qui s’égare puis repart entre variations climatiques et changements d’humeur, à l’image de l’existence. Et le lexique volontiers symbolique et naturaliste de Belin, qui se déploie dans ces espaces temporels suspendus, de signifier joliment son art pointilliste du micro-détail mallarméen.
Il y a trois ans, l’éblouissant Hypernuit privilégiait les épures à la Satie. En réaction aux luxuriances orchestrales de La Perdue (2007) avec force cordes et vents lyriques, Belin s’était soudain interdit les effets musicaux et les afféteries de langue pour imaginer un album «asséché, osseux». Entre ces deux extrêmes, Parcs trouve une voix apaisée et charrie un répertoire folk-rock plutôt alangui. «Parcs est clairement davantage une suite qu’une rupture. S’il y a souvent un nécessaire et logique inversement des polarités, je vois cet album plus comme un rafraîchissement, avec un ensoleillement plus pop sous quelques contours. Mais j’ai continué par contre mon travail sur la disparition de la masse de texte, comme sur Hypernuit».
ÉNIGMATIQUE ET MÉLANCOLIQUE
Une épure textuelle en forme d’obsession poétique pour ce Belin qui a dévoré Philippe Jacottet, Raymond Roussel, Francis Ponge, Henri Michaux ou Kazuo Ishiguro avec la même appétence que des traités d’orchestrations, des partitions de Prokoviev ou Bartok. La prose de Belin aime à jouer avec les points de suspension et l’impressionnisme, à figurer des situations furtives plutôt que de les développer. Chanteur d’esquisses, Belin écrit «sans thèmes choisis. Je réponds au présent, aux intempéries comme aux éclaircies. J’écris des chansons comme la bande-son de mon vivant.»
Se laisser dériver, surprendre, encore et encore. Tout en conservant une dimension épique, énigmatique et mélancolique entre ses stances élégantes et parfois surannées. La chaleur et la rondeur des compositions viennent ainsi contrebalancer à merveille l’économie de mots. Entre folk-rock et pop américains, Belin place de son élégante voix indolente son répertoire sous les auspices croisés de Bill Callahan ou Howe Gelb. Deux références chéries par ce guitariste breton autodidacte qui a collaboré avec quantité de formations (Strompin’Crawfish, Sons of the Desert, Les Enfants des Autres, Néry) et avec le chorégraphe Philippe Découflé après des études d’harmonies et de solfège dans une école de jazz.
Par ces figures de style enchanteresses, sa poésie des sens, sa fugacité lyrique ou ses silences, celui qui a grandi non loin des ajoncs des côtes sauvages du Morbihan s’affirme comme une perle de la francophonie chantante, dont il contribue assurément – aux côtés de Florent Marchet, Camille ou JP Nataf, au ravalement de façade initié par des Murat, Dominique A, Diabologum ou Mendelson.
Cet article a aussi été publié dans le quotidien suisse Le Courrier du 8 juin 2013