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La sombre sobriété de Leonard Cohen

Disparu le 10 novembre 2016, Leonard Cohen avait publié le 21 octobre dernier "You Want it Darker". Un quatorzième album studio qui a pris une dimension testamentaire, où le chanteur et poète canadien de 82 ans se préparait une dernière fois au trépas. Avec une noirceur solennelle mais pleine d’amour.

 

Photo: Columbia/Sony Music/Adam Cohen

De la tenue dans sa retenue. De la lenteur dans ses torpeurs et de la solennité dans ses prières musicales tour à tour chantées, parlées ou murmurées. A 82 ans, voix encore plus grave mais moins prophétique, octaves d’outre-tombe, presque d’un autre monde déjà, Leonard Cohen se prépare encore une fois au trépas, sans s’y résigner tout à fait au long de You Want it Darker (Columbia) et ses lits de cordes, ses chœurs masculins/féminins, ses tempos ralentis d’orgue ou de piano, ses vers d’une divine mélancolie.

 

S’il s’est dit «prêt à mourir» dans un récent portrait du New Yorker, le Canadien errant à la santé déclinante qui a fait de ses jours désormais comptés un mantra testamentaire a en réalité peu changé et exhale une même sereine vitalité artistique. Une sombre sobriété que son répertoire, essentiellement constitué de ballades abyssales aux mélodies simples et brillantes, intègre toujours par le biais de l’introspection, de la nostalgie et de la quête spirituelle.

 

Croque-mort chic

 

Ce quatorzième album studio porte beau un noir intense qui pourrait ressembler à cet ultra-noir ou noir pur acheté récemment par le sculpteur Anish Kapoor. Orchestré avec davantage d’élégance que Popular Problems (2014) et Old Ideas (2012), You Want it Darker assied des tonalités ténébreuses plus que jamais bien assorties au chanteur-poète aux allures de croque-mort chic au visage émacié. Produit par son fils Adam Cohen, ce disque bref (36 minutes et 12 secondes) fait oublier la médiocrité instrumentale passée – à quelques sirupeuses inflexions soul près – et met en évidence les ors d’une écriture aussi crue que pessimiste depuis 1967 et Songs of Leonard Cohen («Suzanne» ou «So Long, Marianne»). Soit un corpus poétique qui pourrait sans doute un jour prétendre à un Nobel de littérature, comme son ami de cinquante ans Dylan, qui le vénère tant. 

 

 

 

A commencer en 2016 par la chanson aux accents bibliques qui donne son titre à l’album, avec ses «Hineni» hébreux psalmodiés et son chœur masculin de la synagogue de Montréal qu’a fréquentée tant le grand-père Cohen que Leonard. Ce somptueux titre dévoilé voilà un mois, qui semble figurer tant une humanité qu’un homme à son crépuscule en citant les saintes Ecritures, a ouvert la voie à huit autres chapitres puisant dans des références religieuses la sève de chansons existentielles, sentimentales et mystiques.

 

Spleen sublime

 

Voix de bluesman las, Cohen promène son spleen sublime en déclarant à plusieurs reprises «être hors (du) jeu», aussi bien au niveau de l’âge que du désir amoureux. Pourtant, âme et cœur endoloris ou libido évanouie, il s’épanouit au-dessus de la mêlée en philosophant sur la vie et la mort ou la passion et les tentations («If I Didn’t Have your Love», «On the Level»), en apostrophant son prochain tel un vieux sage («You Want it Darker», «It Seemed the Better Way») ou paraphant des traités de paix avec son existence passée («Treaty», «Traveling Light»). Malgré la résignation guettant dangereusement les couplets-refrains finaux («It Seemed the Better Way», «Steer your Way»), You Want it Darker voit Leonard Cohen élever son esprit imperturbable à une hauteur aussi rare que précieuse. 

 

Cet article a aussi été publié dans le quotidien suisse Le Temps du 22.10.2016

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