Au début des années 2000, dans le sillage des Biolay, Bénabar, Delerm and co est apparu une nouvelle génération d'auteur-compositeur-chanteur très vite rangée sous l’appellation médiatiquement contrôlée "nouvelle chanson française". Cette nouvelle vague vocale s’apprête en 2010 à célébrer ses dix ans d’existence. Retour dans le désordre sur les albums phares (une trentaine) des trentenaires talentueux qui à leur manière décompléxée ont repris le flambeau des Murat, Miossec, Dominique A ou Katerine des années 90 dont l’écriture leur avait ouvert d’autres voies
Bertrand Belin, La Perdue (Sterne, 2007)
Entre lyrisme et onirisme, classicisme et modernité, swing et valse, ballade et saccade mélodique, Bertrand Belin avait dévoilé des trésors de charme sur un premier album éponyme (2005)à la poésie vagabonde. Deux ans tout juste après ces chants raffinés, qui se promenaient de "Porto" à "Barcelone" via le "Terminus le Treport", le jeune homme confirmait avec La Perdue ses prometteuses qualités narratives et littéraires. Avec un goût toujours immodéré pour les mélodies obliques, l'ancien membre du quintette sans voix Les Enfants des Autres, ex-guitariste studio de Bénabar ou auteur-musicien pour Néry continue de tracer les contours d'un univers singulier-pluriel.
Aux côtés de Belin, on pénètre un univers enchanteur et étrange, peuplé de créatures intrigantes et attachantes. Il y a là un soldat nostalgique d'un ami dans les tranchées, une dame qui "a de la place dans son cou… […] une dame à compter les coups durs et les confidences des murs" (splendide "Des os de seiche" ou une touchante femme recluse et perdue dans une maison à l'orée des bois ("La perdue").
Avec malice et délice, l'admirateur de Rimbaud, Francis Ponge, Philippe Jacottet, sans doute aussi du Vian et du Gainsbourg des débuts, a imaginé un recueil de douze poésies suspendues qui naviguent entre romantisme, naturalisme et surréalisme. L'écriture du barde moderne qu'est Belin a le don de cultiver par ailleurs des parfums mystérieux ou oniriques, d'adresser des clins d'œil au passé littéraire ("Le trou dans ta poitrine"). Le tout d'une voix sublimement indolente.
Au cœur de ces climats plein d'élégances acoustiques, de couleurs chatoyantes où s'invitent des pointillés électriques, Belin établit d'incessants ponts entre classicisme et modernité. Sur le fil délicat de ces chansons atmosphériques, les humeurs se font tour à tour complices, burlesques, mélancoliques. Et le répertoire de La Perdue de charrier aussi des parfums de paradis perdus ou de sensations éperdues. Dans un décor où la nature est luxuriante (forêts à perte de vue, orchidées, cyprès, oiseaux, fougères), la quête d'ailleurs ou d'un pays merveilleux à l'imaginaire décomplexé passe encore par le plaisir des sens. Musicalement, guitare, banjo, violoncelle, flûte, piano et trombone notamment contribuent à tisser des ambiances sensuelles. Alors qu'en matière textuelle, la volupté métaphorique de "Tes délices", narrant l'intimité entre deux amants, est peut-être sans égale. Alors que "L'Aube posée" et ses jeux sur la langue se montre d'un érotisme ravageur.
Figures de style explicites, poésie des sens, images figuratives, silences, sous-entendus et impressionnisme, Bertand Belin manie le verbe comme peu en francophonie dans son registre. Dans son fablier d'une audacieuse et passionnante désuétude, c'est bien la patte d'un moderniste qui éclate.