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alain souchon

  • Février 2013

    Dans la profusion des sorties mensuelles, ne retenons que quelques chansons...

     

    DelaSimoneUnHomme.jpgAlbin de la Simone, Un homme (Tôt ou Tard)

    «Il aime les joues de dinde, les restaurants anglais, la mythologie suisse et l'odeur des bébés.» Voilà entre autres les exquises futilités qui peuplaient jadis, il y a dix ans exactement, l'imaginaire d'Albin de la Simone. Au temps de son passage à l'acte chanté, le musicien de l'ombre (Souchon, Chamfort, M, Arthur H, Angélique Kidjo, Vanessa Paradis, Jeanne Cherhal, Arthur H ou Salif Keita) mettait en lumière un univers aussi fantaisiste que désenchanté, où la richesse lexicale le disputait au foisonnement instrumental.

    Sans compter les quelques confessions intimistes parfois brutales qui parfaisaient le décor. Et dont Albin de la Simone livrait quelques secrets dans un petit ouvrage* instructif: «Je ne décide jamais d'écrire sur un thème particulier. Je commence à travailler à partir d'une image, d'un son ou d'une idée («Il pleut dans ma bouche», par exemple) et, comme si je mettais la bonne clef dans une machine, un mécanisme dont va découler toute la chanson se déclenche ou non.» (*La Marmite, d'Albin de la Simone, La Machine à cailloux, 2007)

    Aujourd'hui, le répertoire pop très stylé d'Albin de la Simone, longtemps taxé de «poético-surréaliste», prend quelques chemins de traverse. Un homme, quatrième album de l'instrumentiste et arrangeur qui a mis dix ans à endosser son costume de chanteur, affiche moins de décalages. L'imaginaire d'Albin de la Simone se plaît plutôt à brouiller les pistes entre fiction et réalité, à s'interroger sur les traits de «la masculinité et la virilité». A l'image de «Mes épaule» où il espère, se remémorant le passé, que sa vie future «va tenir sur mes épaules, mes épaules, mes épaules pas bien carrées (...), pas bien gaulées, pas baraquées, pas balèzes». Sans oublier pour autant la sensuelle féminité («La première femme de ma vie», «Moi, moi» en duo avec Emiliana Torrini, «Elle s'endort»).

    Loin de la légèreté et décontraction insufflée aux pièces de Bungalow voilà cinq ans, Un homme révèle plus de profondeur et gravité. Avec une rare sensibilité, au fil d'orchestrations aux caressantes mélancolies le plus souvent et parfois agrémentées de cordes, Albin de la Simone chronique ses états d'âme mouvants : «Un jour je broie du noir miné par mes déboires de la veille et l'avant-veille, et tout-à-coup tout m'émerveille» (touchante versatilité d'humeurs de «Ma crise»). Si l'homme se montre fébrile, il a aussi des envies de poudre d'escampette («La fuite») ou des secrets de double vie à mieux garder (le plus enjoué «Tu vas rire» où l'on sourit jaune au final).

    Un homme active au final un doux mélange de genres, inédit dans le répertoire d'Albin de la Simone dont le timbre fragile continuera par moments d'évoquer Souchon.  

  • Janvier 2013

    Jérémie Kisling, Tout m'échappe (Naïve)

     

    album-jeremk2_cover_ok.jpgEn convalescence pop voilà quatre ans au fil de cet Antimatière plein de larmes à peine asséchées et de mélancolie jamais voilée, Jérémie Kisling s'en revient à la chanson avec un teint plus rayonnant. Dans Tout m'échappe, son quatrième album, le Lausannois désormais en exil à Paris a mis de côté ses envies de raccrocher ses mélodies jolies et sa plume gracile. Si les doutes persistent heureusement, logiques stigmates de la tabula rasa, les désillusions sont moins flagrantes et plombantes.

    Sans pour autant renouer avec l'indolence insouciante et malicieuse du répertoire de ses débuts, il y a onze ans, l'espoir de la scène suisse romande, brièvement baptisé Monsieur Obsolète, trempe prose et rime dans l'encre de ses fragilités et peurs assumées. Tel ce constat empli de poésie qu'un Souchon ne renierait point: «La vie m'a donné un cœur en papier qui brûle à l'orage levé». Tout m'échappe voit le temps des remises en question et de l'innocence déboucher plutôt sur des embruns d'amertume et de fausses ingénuités caressés d'airs folks, d'un piano suranné ou de motifs cuivrés.

    Entre regards sépia et clins d'œil haut en couleur, Kisling se promène sans trop de vague à l'âme sur un océan de promesses neuves. S'il s'imagine «capitaine abandonné" au détour d'un "Retour du pirate», on le voit bien garder cette fois le cap contre vents et marées. Fendre les eaux troubles.

    Sortie française: avril 2013.

    Cet article a également été publié dans "Sortir", supplément culturel du quotidien suisse Le Temps.

     

  • Episode XXIII: Vincent Delerm

    Au début des années 2000, dans le sillage des Biolay, Bénabar, Delerm and co est apparu une nouvelle génération d'auteur-compositeur-chanteur très vite rangée sous l’appellation médiatiquement contrôlée "nouvelle chanson française". Cette nouvelle vague vocale s’apprête en 2010 à célébrer ses dix ans d’existence. Retour dans le désordre sur les albums phares (une trentaine) des trentenaires talentueux qui à leur manière décompléxée ont repris le flambeau des Murat, Miossec, Dominique A ou Katerine des années 90 dont l’écriture leur avait ouvert d’autres voies

     

     

    Delerm2002.jpgVincent Delerm, Vincent Delerm (Tôt ou Tard, 2002)

    Nouvelle plume française cinéphile, Vincent Delerm réussit son entrée parmi les auteurs intimistes. Si la langue est sobre, parfois affectée aussi, les métaphores sont luxuriantes au cours de cette suite d'histoires douces-amères ou décalées. Entre clins d'œil à des figures du septième art ("Fanny Ardant et moi", "Deauville sans Trintignant"), compte rendu drolatique de l'ennui ("Le monologue shakespearien") ou inventaire amoureux à la Prévert ("Cosmopolitan", avec l'actrice Irène Jacob), Delerm ballade sa voix, linéaire et qui ne sonne pas toujours juste, guidé par un piano. Ainsi que des pincées de cordes et de ténues notes cuivrées.

    "Il peut y avoir autant de romantisme et de lyrisme dans le fait de faire ses courses qu'à se trouver en haut d'un volcan ou au bord d'un lac." La formule du fils de l'écrivain Philippe Delerm contient tout entière le credo qu'il a adopté et travaillé en chanson. Son répertoire parvient d'ailleurs à rendre émouvante une "blanquette de veau", à sublimer les détails du quotidien. Si bien que beaucoup voient déjà en lui le renouveau de la chanson française. Peu après la publication de ce premier disque, le jeune premier de 26 ans féru de François Truffaut et d'Alain Souchon n'a d'ailleurs plus eu une minute à lui. L'humour fin de ce Normand à l'écriture singulière, les touches de deuxième degré plus saillantes et la mise en scène originale de son spectacle ont fait de sa tournée un rendez-vous plébiscité.

    Ex-étudiant en lettres se destinant à une carrière de professeur, baigné "dans une culture familiale portée sur la chanson et le cinéma intimiste", Delerm cultive un goût pour "une écriture sociale, très britannique" dès l'adolescence. "A l'époque, il y avait déjà une grande proximité entre ce que je vivais et écrivais. Tout en mettant de la distance, de l'ironie, parler de moi m'intéressait particulièrement. L'alternance et l'équilibre entre ces deux axes d'une même vie me fascinent."

    Pas de narcissisme dans cette démarche, juste l'envie de donner corps à ses désirs. Des cours de théâtre permettent à l'auteur et compositeur d'exprimer plus facilement cette idée en public. "Faire de la chanson, ce n'est pas être qu'une bulle d'émotion qui se livre. Il faut tenter d'éviter les écueils dans un récital. Calculer les effets, même si le mot effraie les artistes."

    Chanteur lucide, le protégé de Thomas Fersen réunit ses chansons-tableaux sur disque. Un carton. Soucieux de cohérence, il ne garde qu'une poignée de textes abusant de noms propres et de références – "pour exister au début, il faut enfoncer le clou" – et prend soin du son. Les ambiances reflètent un état d'esprit mélancolique identique aux mots: "Ce n'est pas de la tristesse. Mais de la joie dans la mélancolie, liée à une forme d'ennui." Qui ravit souvent, agace parfois par son omniprésence. Mais ne laisse rarement indifférent.

    (Les citations de Vincent Delerm sont extraites d'un papier personnel paru dans le quotidien Le Temps du 7 février 2003)