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tôt ou tard

  • Février 2014: Têtes raides, idées claires

    Dans la profusion des sorties mensuelles, ne retenons que quelques chansons...

    Les Têtes Raides, Les Terriens (Tôt ou Tard)

    Les Têtes Raides, Les Terriens, Tôt ou TardIntrépide sémaphore de l’alternative chansonnière depuis trente ans, les Têtes Raides s'en reviennent avec un douzième album studio fidèle à leur esprit franc-tireur. Toujours un peu pareil mais en même temps toujours un peu différent, leur répertoire poétique empruntant autant à Fréhel que Brel, Ferré, Leprest, Tom Waits ou The Clash creuse cette fois quelques pistes plus électriques. Où la prose néo-réaliste des Terriens, alternant militantisme (« La tâche ») et faux air de fête (« Les Terriens »), élans amoureux (« Alice », « Mon carnet ») et désillusions (« Oublie-moi»), se pare de belles profondeurs de champ et crissements guitaristiques.

    Après un coffret regroupant des orchestrations de textes de Rimbaud, Genet, Prévert ou Apollinaire (Corps de mots, 2013) et un disque très épuré (L'An demain, 2011), Christian Olivier distille habilement sa « po-éthique » existentialiste à fleur de bitume et de peau. Désormais moins politisés que poétisés, Les Terriens des Têtes Raides ont les idées claires mais toujours aussi peu de certitudes. Une lucidité égrenée avec lenteur musicale plutôt que torpeur et qui ne s'empêche pas d'affirmer : « Vers où je vas, vers où je vais/J'espère que jamais je ne le saurai ». Carpe diem.

    Cette chronique a également été publiée dans le quotidien suisse Le Courrier du 22.2.2014 

     

     

  • Episode XXIII: Vincent Delerm

    Au début des années 2000, dans le sillage des Biolay, Bénabar, Delerm and co est apparu une nouvelle génération d'auteur-compositeur-chanteur très vite rangée sous l’appellation médiatiquement contrôlée "nouvelle chanson française". Cette nouvelle vague vocale s’apprête en 2010 à célébrer ses dix ans d’existence. Retour dans le désordre sur les albums phares (une trentaine) des trentenaires talentueux qui à leur manière décompléxée ont repris le flambeau des Murat, Miossec, Dominique A ou Katerine des années 90 dont l’écriture leur avait ouvert d’autres voies

     

     

    Delerm2002.jpgVincent Delerm, Vincent Delerm (Tôt ou Tard, 2002)

    Nouvelle plume française cinéphile, Vincent Delerm réussit son entrée parmi les auteurs intimistes. Si la langue est sobre, parfois affectée aussi, les métaphores sont luxuriantes au cours de cette suite d'histoires douces-amères ou décalées. Entre clins d'œil à des figures du septième art ("Fanny Ardant et moi", "Deauville sans Trintignant"), compte rendu drolatique de l'ennui ("Le monologue shakespearien") ou inventaire amoureux à la Prévert ("Cosmopolitan", avec l'actrice Irène Jacob), Delerm ballade sa voix, linéaire et qui ne sonne pas toujours juste, guidé par un piano. Ainsi que des pincées de cordes et de ténues notes cuivrées.

    "Il peut y avoir autant de romantisme et de lyrisme dans le fait de faire ses courses qu'à se trouver en haut d'un volcan ou au bord d'un lac." La formule du fils de l'écrivain Philippe Delerm contient tout entière le credo qu'il a adopté et travaillé en chanson. Son répertoire parvient d'ailleurs à rendre émouvante une "blanquette de veau", à sublimer les détails du quotidien. Si bien que beaucoup voient déjà en lui le renouveau de la chanson française. Peu après la publication de ce premier disque, le jeune premier de 26 ans féru de François Truffaut et d'Alain Souchon n'a d'ailleurs plus eu une minute à lui. L'humour fin de ce Normand à l'écriture singulière, les touches de deuxième degré plus saillantes et la mise en scène originale de son spectacle ont fait de sa tournée un rendez-vous plébiscité.

    Ex-étudiant en lettres se destinant à une carrière de professeur, baigné "dans une culture familiale portée sur la chanson et le cinéma intimiste", Delerm cultive un goût pour "une écriture sociale, très britannique" dès l'adolescence. "A l'époque, il y avait déjà une grande proximité entre ce que je vivais et écrivais. Tout en mettant de la distance, de l'ironie, parler de moi m'intéressait particulièrement. L'alternance et l'équilibre entre ces deux axes d'une même vie me fascinent."

    Pas de narcissisme dans cette démarche, juste l'envie de donner corps à ses désirs. Des cours de théâtre permettent à l'auteur et compositeur d'exprimer plus facilement cette idée en public. "Faire de la chanson, ce n'est pas être qu'une bulle d'émotion qui se livre. Il faut tenter d'éviter les écueils dans un récital. Calculer les effets, même si le mot effraie les artistes."

    Chanteur lucide, le protégé de Thomas Fersen réunit ses chansons-tableaux sur disque. Un carton. Soucieux de cohérence, il ne garde qu'une poignée de textes abusant de noms propres et de références – "pour exister au début, il faut enfoncer le clou" – et prend soin du son. Les ambiances reflètent un état d'esprit mélancolique identique aux mots: "Ce n'est pas de la tristesse. Mais de la joie dans la mélancolie, liée à une forme d'ennui." Qui ravit souvent, agace parfois par son omniprésence. Mais ne laisse rarement indifférent.

    (Les citations de Vincent Delerm sont extraites d'un papier personnel paru dans le quotidien Le Temps du 7 février 2003)

  • Episode IV: Jeanne Cherhal

    Au début des années 2000, dans le sillage des Biolay, Bénabar, Delerm and co est apparu une nouvelle génération d'auteur-compositeur-chanteur très vite rangée sous l’appellation médiatiquement contrôlée "nouvelle chanson française". Cette nouvelle vague vocale s’apprête en 2010 à célébrer ses dix ans d’existence. Retour dans le désordre sur les albums phares (une trentaine) des trentenaires talentueux qui à leur manière décompléxée ont repris le flambeau des Murat, Miossec, Dominique A ou Katerine des années 90 dont l’écriture leur avait ouvert d’autres voies

     

    CherhalLEau.jpgJeanne Cherhal, L'Eau (Tôt ou tard, 2007)

    L'Eau, voilà un titre idéal pour filer les métaphores aquatiques. Le troisième album de Jeanne Cherhal les égrène d'ailleurs de son propre chef. Avec, à son générique, des chansons aussi organiques que "Canicule", "Je suis liquide", "Rondes larmes", "L'eau" ou "Petite soupe". Le disque a en tout cas occasionné des gouttes de sueur à l'auteure et compositrice française qui aura mis une année à en peaufiner textes et musiques dans son coin, après une longue série de tournées-marathons. Pour un résultat d'une extraordinaire luxuriance harmonique, vocale et instrumentale.

    Au fil de L'Eau, l'ex-peste du piano-voix a surtout libéré son écriture et sa gorge. Plutôt que de magnifier ludiquement encore les petits riens, à la manière de tout un pan de la jeune scène francophone, la pensionnaire du label Tôt ou Tard (Delerm, Fersen, Franck Monnet, etc.) s'est laissée aller à une écriture plus elliptique et poétique. Paradoxalement davantage universelle alors que plus abstraite. Comme si le fait d'aborder des choses de l'intime, des fêlures, des doutes ou des indignations ont rendu Jeanne Cherhal plus proche encore.

    Il y a trois ans à peine, elle avait ses mots: "Bizarrement, plus je parle de moi, plus cela semble toucher les gens." A la faveur de Douze fois par an, album détonnant fondé sur d'insolites chroniques de l'anodin, Jeanne Cherhal avait affirmé tout son chic pour planter des décors cocasses et se mettre dans la peau de situations ou de personnages. D'"Un couple normal" aux "Photos de mariage", via des chansons comme "Ça sent le sapin" ou "Le petit voisin", son écriture choisissait l'angle d'une délicieuse empathie. Autant d'exploits décapants qui ont fini par propulser la Nantaise "Révélation" des Victoires de la musique millésime 2005.

    L'Eau de Jeanne Cherhal esquisse surtout les doutes et fardeaux de l'âme d'une femme pas encore trentenaire. Au cœur de ce recueil de chansons sensibles en forme de comptines faussement innocentes, Cherhal touche également grâce à deux chansons aux thématiques plus graves: "On dirait que c'est normal" parle d'excision, "Le tissu" soulève la question du voile. Elle a recouru au même nuancier pour "Le tissu". Au-delà de cette seconde préoccupation sur la soumission féminine, Cherhal y injecte un regard d'une tendresse infinie. C'est son sens des détails qui rejaillit. Sauf qu'il est agencé différemment désormais. En reposant davantage sur des jeux de langue, de sonorités, de climats, de timbres, elle s'ouvre des horizons oniriques, plus charnels et sensuels. Son Eau à elle perlerait ainsi presque des libertés esthétiques du Fil de Camille. Par sa facture à la fois féminine et audacieuse, en raison de son fond intime sous ses formes ludiques qui marrient pop et rock, folk et folklore, rythmiques afro et superpositions de chants.