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deauville

  • Episode XXIII: Vincent Delerm

    Au début des années 2000, dans le sillage des Biolay, Bénabar, Delerm and co est apparu une nouvelle génération d'auteur-compositeur-chanteur très vite rangée sous l’appellation médiatiquement contrôlée "nouvelle chanson française". Cette nouvelle vague vocale s’apprête en 2010 à célébrer ses dix ans d’existence. Retour dans le désordre sur les albums phares (une trentaine) des trentenaires talentueux qui à leur manière décompléxée ont repris le flambeau des Murat, Miossec, Dominique A ou Katerine des années 90 dont l’écriture leur avait ouvert d’autres voies

     

     

    Delerm2002.jpgVincent Delerm, Vincent Delerm (Tôt ou Tard, 2002)

    Nouvelle plume française cinéphile, Vincent Delerm réussit son entrée parmi les auteurs intimistes. Si la langue est sobre, parfois affectée aussi, les métaphores sont luxuriantes au cours de cette suite d'histoires douces-amères ou décalées. Entre clins d'œil à des figures du septième art ("Fanny Ardant et moi", "Deauville sans Trintignant"), compte rendu drolatique de l'ennui ("Le monologue shakespearien") ou inventaire amoureux à la Prévert ("Cosmopolitan", avec l'actrice Irène Jacob), Delerm ballade sa voix, linéaire et qui ne sonne pas toujours juste, guidé par un piano. Ainsi que des pincées de cordes et de ténues notes cuivrées.

    "Il peut y avoir autant de romantisme et de lyrisme dans le fait de faire ses courses qu'à se trouver en haut d'un volcan ou au bord d'un lac." La formule du fils de l'écrivain Philippe Delerm contient tout entière le credo qu'il a adopté et travaillé en chanson. Son répertoire parvient d'ailleurs à rendre émouvante une "blanquette de veau", à sublimer les détails du quotidien. Si bien que beaucoup voient déjà en lui le renouveau de la chanson française. Peu après la publication de ce premier disque, le jeune premier de 26 ans féru de François Truffaut et d'Alain Souchon n'a d'ailleurs plus eu une minute à lui. L'humour fin de ce Normand à l'écriture singulière, les touches de deuxième degré plus saillantes et la mise en scène originale de son spectacle ont fait de sa tournée un rendez-vous plébiscité.

    Ex-étudiant en lettres se destinant à une carrière de professeur, baigné "dans une culture familiale portée sur la chanson et le cinéma intimiste", Delerm cultive un goût pour "une écriture sociale, très britannique" dès l'adolescence. "A l'époque, il y avait déjà une grande proximité entre ce que je vivais et écrivais. Tout en mettant de la distance, de l'ironie, parler de moi m'intéressait particulièrement. L'alternance et l'équilibre entre ces deux axes d'une même vie me fascinent."

    Pas de narcissisme dans cette démarche, juste l'envie de donner corps à ses désirs. Des cours de théâtre permettent à l'auteur et compositeur d'exprimer plus facilement cette idée en public. "Faire de la chanson, ce n'est pas être qu'une bulle d'émotion qui se livre. Il faut tenter d'éviter les écueils dans un récital. Calculer les effets, même si le mot effraie les artistes."

    Chanteur lucide, le protégé de Thomas Fersen réunit ses chansons-tableaux sur disque. Un carton. Soucieux de cohérence, il ne garde qu'une poignée de textes abusant de noms propres et de références – "pour exister au début, il faut enfoncer le clou" – et prend soin du son. Les ambiances reflètent un état d'esprit mélancolique identique aux mots: "Ce n'est pas de la tristesse. Mais de la joie dans la mélancolie, liée à une forme d'ennui." Qui ravit souvent, agace parfois par son omniprésence. Mais ne laisse rarement indifférent.

    (Les citations de Vincent Delerm sont extraites d'un papier personnel paru dans le quotidien Le Temps du 7 février 2003)