Dans un cinquième album aux mélancolies atténuées, le Romand installé à Paris insuffle de l’allégresse rythmique à ses doutes tenaces
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Episode IV: Jeanne Cherhal
Au début des années 2000, dans le sillage des Biolay, Bénabar, Delerm and co est apparu une nouvelle génération d'auteur-compositeur-chanteur très vite rangée sous l’appellation médiatiquement contrôlée "nouvelle chanson française". Cette nouvelle vague vocale s’apprête en 2010 à célébrer ses dix ans d’existence. Retour dans le désordre sur les albums phares (une trentaine) des trentenaires talentueux qui à leur manière décompléxée ont repris le flambeau des Murat, Miossec, Dominique A ou Katerine des années 90 dont l’écriture leur avait ouvert d’autres voies
Jeanne Cherhal, L'Eau (Tôt ou tard, 2007)
L'Eau, voilà un titre idéal pour filer les métaphores aquatiques. Le troisième album de Jeanne Cherhal les égrène d'ailleurs de son propre chef. Avec, à son générique, des chansons aussi organiques que "Canicule", "Je suis liquide", "Rondes larmes", "L'eau" ou "Petite soupe". Le disque a en tout cas occasionné des gouttes de sueur à l'auteure et compositrice française qui aura mis une année à en peaufiner textes et musiques dans son coin, après une longue série de tournées-marathons. Pour un résultat d'une extraordinaire luxuriance harmonique, vocale et instrumentale.
Au fil de L'Eau, l'ex-peste du piano-voix a surtout libéré son écriture et sa gorge. Plutôt que de magnifier ludiquement encore les petits riens, à la manière de tout un pan de la jeune scène francophone, la pensionnaire du label Tôt ou Tard (Delerm, Fersen, Franck Monnet, etc.) s'est laissée aller à une écriture plus elliptique et poétique. Paradoxalement davantage universelle alors que plus abstraite. Comme si le fait d'aborder des choses de l'intime, des fêlures, des doutes ou des indignations ont rendu Jeanne Cherhal plus proche encore.
Il y a trois ans à peine, elle avait ses mots: "Bizarrement, plus je parle de moi, plus cela semble toucher les gens." A la faveur de Douze fois par an, album détonnant fondé sur d'insolites chroniques de l'anodin, Jeanne Cherhal avait affirmé tout son chic pour planter des décors cocasses et se mettre dans la peau de situations ou de personnages. D'"Un couple normal" aux "Photos de mariage", via des chansons comme "Ça sent le sapin" ou "Le petit voisin", son écriture choisissait l'angle d'une délicieuse empathie. Autant d'exploits décapants qui ont fini par propulser la Nantaise "Révélation" des Victoires de la musique millésime 2005.
L'Eau de Jeanne Cherhal esquisse surtout les doutes et fardeaux de l'âme d'une femme pas encore trentenaire. Au cœur de ce recueil de chansons sensibles en forme de comptines faussement innocentes, Cherhal touche également grâce à deux chansons aux thématiques plus graves: "On dirait que c'est normal" parle d'excision, "Le tissu" soulève la question du voile. Elle a recouru au même nuancier pour "Le tissu". Au-delà de cette seconde préoccupation sur la soumission féminine, Cherhal y injecte un regard d'une tendresse infinie. C'est son sens des détails qui rejaillit. Sauf qu'il est agencé différemment désormais. En reposant davantage sur des jeux de langue, de sonorités, de climats, de timbres, elle s'ouvre des horizons oniriques, plus charnels et sensuels. Son Eau à elle perlerait ainsi presque des libertés esthétiques du Fil de Camille. Par sa facture à la fois féminine et audacieuse, en raison de son fond intime sous ses formes ludiques qui marrient pop et rock, folk et folklore, rythmiques afro et superpositions de chants.