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camille

  • Episode XIII: Daphné

    Au début des années 2000, dans le sillage des Biolay, Bénabar, Delerm and co est apparu une nouvelle génération d'auteur-compositeur-chanteur très vite rangée sous l’appellation médiatiquement contrôlée "nouvelle chanson française". Cette nouvelle vague vocale s’apprête en 2010 à célébrer ses dix ans d’existence. Retour dans le désordre sur les albums phares (une trentaine) des trentenaires talentueux qui à leur manière décompléxée ont repris le flambeau des Murat, Miossec, Dominique A ou Katerine des années 90 dont l’écriture leur avait ouvert d’autres voies

     

     

    DaphnéCarmin.jpgDaphné, Carmin (V2, 2007)

    Daphné avait déjà livré le splendide L'Emeraude au printemps 2005. Recueil de contes d'une chanteuse aux idées poétiques et au timbre sensuel, L'Emeraude se parait de luxuriantes orchestrations. En empruntant autant au classique qu'à la pop, au swing qu'aux raffinements de l'électronique, elle créait des climats oscillant entre démesure et recueillement, éther et terre. Une ambiance enchanteresse que Daphné a réactivé tout au long de Carmin, deuxième jet plein de sève et de chair qui décline le rouge sur tous les tons. Lyriques, romantiques, oniriques et parfois désespérées, les chansons vives de Carmin évoquent intensément la passion amoureuse, le vague à l'âme au féminin, la mort autant que son antichambre. Une vie qui dans l'esprit de Daphné se doit d'être des plus bouillonnantes et organiques pour valoir la peine d'être vécue: «Mourir d'un œil» exhume comme un clin d'œil le «Je voudrais pas crever» de Boris Vian avant que la chanson ne file au final dans une autre et surprenante direction.

    Arborant comme Camille un répertoire insolemment libre tant dans les formes et textures sonores qu'au regard des textes songeurs, Carmin ne table sur aucun faux-semblant. La voix de Daphné, qui a des airs de Camille, voire Beth Gibbons de Portishead parfois, est aussi capable de toutes les transfigurations sur fond de cordes, chœurs, de piano et percussions au lyrisme subtil. Dans les aigus comme dans les graves, son chant vise l'ensorcellement. Dans «Big Daddy Boy», chanson à part de Carmin en «mémoire du peuple indien massacré et exilé de ses terres», sa voix vous conduit vers d'insoupçonnés ailleurs.

    Aussi ardente que flamboyante du haut de ses 31 ans, Daphné sait aussi évoluer dans des climats plus feutrés et proches d'un certain classicisme de la chanson. C'est le cas de «L'Homme piano», dont tant le titre que l'écriture et la mise en musique rappellent irrémédiablement l'auteure de «La Femme piano», Barbara. Une filiation revendiquée à demi-mot mais qui lui sied à merveille, tant l'écriture organique de Daphné y renvoie en lui greffant des bandes sons proches de celles activées par Kate Bush ou Björk.

     

  • Episode IV: Jeanne Cherhal

    Au début des années 2000, dans le sillage des Biolay, Bénabar, Delerm and co est apparu une nouvelle génération d'auteur-compositeur-chanteur très vite rangée sous l’appellation médiatiquement contrôlée "nouvelle chanson française". Cette nouvelle vague vocale s’apprête en 2010 à célébrer ses dix ans d’existence. Retour dans le désordre sur les albums phares (une trentaine) des trentenaires talentueux qui à leur manière décompléxée ont repris le flambeau des Murat, Miossec, Dominique A ou Katerine des années 90 dont l’écriture leur avait ouvert d’autres voies

     

    CherhalLEau.jpgJeanne Cherhal, L'Eau (Tôt ou tard, 2007)

    L'Eau, voilà un titre idéal pour filer les métaphores aquatiques. Le troisième album de Jeanne Cherhal les égrène d'ailleurs de son propre chef. Avec, à son générique, des chansons aussi organiques que "Canicule", "Je suis liquide", "Rondes larmes", "L'eau" ou "Petite soupe". Le disque a en tout cas occasionné des gouttes de sueur à l'auteure et compositrice française qui aura mis une année à en peaufiner textes et musiques dans son coin, après une longue série de tournées-marathons. Pour un résultat d'une extraordinaire luxuriance harmonique, vocale et instrumentale.

    Au fil de L'Eau, l'ex-peste du piano-voix a surtout libéré son écriture et sa gorge. Plutôt que de magnifier ludiquement encore les petits riens, à la manière de tout un pan de la jeune scène francophone, la pensionnaire du label Tôt ou Tard (Delerm, Fersen, Franck Monnet, etc.) s'est laissée aller à une écriture plus elliptique et poétique. Paradoxalement davantage universelle alors que plus abstraite. Comme si le fait d'aborder des choses de l'intime, des fêlures, des doutes ou des indignations ont rendu Jeanne Cherhal plus proche encore.

    Il y a trois ans à peine, elle avait ses mots: "Bizarrement, plus je parle de moi, plus cela semble toucher les gens." A la faveur de Douze fois par an, album détonnant fondé sur d'insolites chroniques de l'anodin, Jeanne Cherhal avait affirmé tout son chic pour planter des décors cocasses et se mettre dans la peau de situations ou de personnages. D'"Un couple normal" aux "Photos de mariage", via des chansons comme "Ça sent le sapin" ou "Le petit voisin", son écriture choisissait l'angle d'une délicieuse empathie. Autant d'exploits décapants qui ont fini par propulser la Nantaise "Révélation" des Victoires de la musique millésime 2005.

    L'Eau de Jeanne Cherhal esquisse surtout les doutes et fardeaux de l'âme d'une femme pas encore trentenaire. Au cœur de ce recueil de chansons sensibles en forme de comptines faussement innocentes, Cherhal touche également grâce à deux chansons aux thématiques plus graves: "On dirait que c'est normal" parle d'excision, "Le tissu" soulève la question du voile. Elle a recouru au même nuancier pour "Le tissu". Au-delà de cette seconde préoccupation sur la soumission féminine, Cherhal y injecte un regard d'une tendresse infinie. C'est son sens des détails qui rejaillit. Sauf qu'il est agencé différemment désormais. En reposant davantage sur des jeux de langue, de sonorités, de climats, de timbres, elle s'ouvre des horizons oniriques, plus charnels et sensuels. Son Eau à elle perlerait ainsi presque des libertés esthétiques du Fil de Camille. Par sa facture à la fois féminine et audacieuse, en raison de son fond intime sous ses formes ludiques qui marrient pop et rock, folk et folklore, rythmiques afro et superpositions de chants.