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le fil

  • Episode XVII: Camille

    Au début des années 2000, dans le sillage des Biolay, Bénabar, Delerm and co est apparu une nouvelle génération d'auteur-compositeur-chanteur très vite rangée sous l’appellation médiatiquement contrôlée "nouvelle chanson française". Cette nouvelle vague vocale s’apprête en 2010 à célébrer ses dix ans d’existence. Retour dans le désordre sur les albums phares (une trentaine) des trentenaires talentueux qui à leur manière décompléxée ont repris le flambeau des Murat, Miossec, Dominique A ou Katerine des années 90 dont l’écriture leur avait ouvert d’autres voies

     


    Camille - Le Fil.jpgCamille, Le Fil (Virgin, 2005)

    Un Fil aux mille et une voix et à l'ébouriffante richesse harmonique qui orchestre une sidérante plongée intime entre soul, jazz, pop et chanson. Un ovni discographique dans le paysage chansonnier dont les facettes oscillent entre sophistication et candeur, esprit ludique et états d'âme poignants, traits de jouvence et maturité solide. Le fil d'Ariane de Camille - Parisienne de 27 ans qui tirait la langue aux cérémoniales Victoires de la musique où elle avait été sacrée deux fois en 2006 et qui joue parfois à la punkette surexcitée-grimée en scène- réussit ainsi à parcourir toute la gamme des émotions musicales. De la hargne funk à l'abandon lyrique des années 30 façon Piaf, via les transes africaines et la sensualité feutrée de la nu-soul américaine.

    Avec, en guise de basse continue et de train fantôme, une seule note de voix tenue sur toute la longueur de l'album. A la sortie de ce Fil aussi équilibriste qu'équilibré, la caméléone et virtuose chanteuse détaillait ainsi la genèse de cette idée originale: "Si l'on prend toutes les musiques du monde, on s'aperçoit que la plupart utilisent un bourdon, une tonalité qui ne change pas. Cette capacité à se poser sur une ligne, à garder une base forte, c'est quelque chose qui manque à la musique occidentale. Et peut-être même à la culture occidentale dans son ensemble."

    Camille en a réhabilité le principe sous nos cieux. Elle en a par ailleurs profité pour y suspendre tout autour ses métaphores existentielles, ses airs de "jeune fille aux cheveux blancs" qui ne lassent toujours pas. "Avec cette image toute simple, je voulais décrire à la fois le propos musical et la teneur de mes textes, qui parlent beaucoup de ruptures, de la façon dont on garde le fil tout en traversant toutes sortes d'états. Le fil conducteur, c'est cet espace extrêmement ténu qui nous accompagne quoi qu'il arrive." Contorsionniste, funambule, élastique, transformiste certes, mais avec toujours une ligne d'horizon fluide en tête, Camille déverse avec la même souplesse et candeur gros mots et drôleries, incongruités et truismes ou vérités.

    De jeux de rôle en jeux de langue et langage, elle a affirmé les multiples visages que sa jeune carrière a révélés depuis Le sac des filles, premier disque espiègle et insolent paru en 2002. Qu'elle campe les choristes de luxe et désinvoltes pour le précieux Jean-Louis Murat ou les trop discrets Gérard Manset et Franck Monnet; qu'elle interprète en anglais des reprises de tubes new wave façon bossa-nova pour le projet au succès faramineux Nouvelle Vague ou qu'elle prête son souffle aux chansons de son ancien guitariste Sébastien Martel, elle surprend souvent. Et détonne toujours. Posée et téméraire, caractérielle et lunaire, polyglotte, Camille sait être tout cela. Une saine et profitable versatilité pour ce phénomène indolent.

  • Episode IV: Jeanne Cherhal

    Au début des années 2000, dans le sillage des Biolay, Bénabar, Delerm and co est apparu une nouvelle génération d'auteur-compositeur-chanteur très vite rangée sous l’appellation médiatiquement contrôlée "nouvelle chanson française". Cette nouvelle vague vocale s’apprête en 2010 à célébrer ses dix ans d’existence. Retour dans le désordre sur les albums phares (une trentaine) des trentenaires talentueux qui à leur manière décompléxée ont repris le flambeau des Murat, Miossec, Dominique A ou Katerine des années 90 dont l’écriture leur avait ouvert d’autres voies

     

    CherhalLEau.jpgJeanne Cherhal, L'Eau (Tôt ou tard, 2007)

    L'Eau, voilà un titre idéal pour filer les métaphores aquatiques. Le troisième album de Jeanne Cherhal les égrène d'ailleurs de son propre chef. Avec, à son générique, des chansons aussi organiques que "Canicule", "Je suis liquide", "Rondes larmes", "L'eau" ou "Petite soupe". Le disque a en tout cas occasionné des gouttes de sueur à l'auteure et compositrice française qui aura mis une année à en peaufiner textes et musiques dans son coin, après une longue série de tournées-marathons. Pour un résultat d'une extraordinaire luxuriance harmonique, vocale et instrumentale.

    Au fil de L'Eau, l'ex-peste du piano-voix a surtout libéré son écriture et sa gorge. Plutôt que de magnifier ludiquement encore les petits riens, à la manière de tout un pan de la jeune scène francophone, la pensionnaire du label Tôt ou Tard (Delerm, Fersen, Franck Monnet, etc.) s'est laissée aller à une écriture plus elliptique et poétique. Paradoxalement davantage universelle alors que plus abstraite. Comme si le fait d'aborder des choses de l'intime, des fêlures, des doutes ou des indignations ont rendu Jeanne Cherhal plus proche encore.

    Il y a trois ans à peine, elle avait ses mots: "Bizarrement, plus je parle de moi, plus cela semble toucher les gens." A la faveur de Douze fois par an, album détonnant fondé sur d'insolites chroniques de l'anodin, Jeanne Cherhal avait affirmé tout son chic pour planter des décors cocasses et se mettre dans la peau de situations ou de personnages. D'"Un couple normal" aux "Photos de mariage", via des chansons comme "Ça sent le sapin" ou "Le petit voisin", son écriture choisissait l'angle d'une délicieuse empathie. Autant d'exploits décapants qui ont fini par propulser la Nantaise "Révélation" des Victoires de la musique millésime 2005.

    L'Eau de Jeanne Cherhal esquisse surtout les doutes et fardeaux de l'âme d'une femme pas encore trentenaire. Au cœur de ce recueil de chansons sensibles en forme de comptines faussement innocentes, Cherhal touche également grâce à deux chansons aux thématiques plus graves: "On dirait que c'est normal" parle d'excision, "Le tissu" soulève la question du voile. Elle a recouru au même nuancier pour "Le tissu". Au-delà de cette seconde préoccupation sur la soumission féminine, Cherhal y injecte un regard d'une tendresse infinie. C'est son sens des détails qui rejaillit. Sauf qu'il est agencé différemment désormais. En reposant davantage sur des jeux de langue, de sonorités, de climats, de timbres, elle s'ouvre des horizons oniriques, plus charnels et sensuels. Son Eau à elle perlerait ainsi presque des libertés esthétiques du Fil de Camille. Par sa facture à la fois féminine et audacieuse, en raison de son fond intime sous ses formes ludiques qui marrient pop et rock, folk et folklore, rythmiques afro et superpositions de chants.