La quinzaine de Montreux a rythmé quasi dix ans de ma vie professionnelle, chaque été. Le début de mes années 2000 y sont intimement liés. Indirectement ou directement, Claude Nobs et les programmateurs de son festival auront élargi mes horizons sonores, participé à l'éducation et l'émancipation de mes oreilles. Keith Jarett, B.B. King, Santana, Solomon Burke, Gilberto Gil, Wyclef Jean et tant d'autres noms du rhythm'n'blues, du jazz, de la soul, de la bossa ou des musiques du monde, ce n'était pas vraiment pas la tasse de thé d'un trentenaire alors branché pop, rock, chanson ou hip-hop. Là aussi pourtant, j'ai et on a été des enfants gâtés.
soul
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Un adieu à Claude Nobs
Triste fin de soirée jeudi 10 janvier 2013. Claude Nobs, âme et co-fondateur du Montreux Jazz Festival (MJF), s'éteint. A 76 ans, au terme de quinze jours de coma, le « Funky Claude » immortalisé par Deep Purple rejoint ces étoiles musicales qu'il a contribué à faire briller sur sa Riviera vaudoise tant chérie. Les eaux du Léman de « Smoke on the Water » se troublent. La nuit à Montreux, si propice aux éclats, n'a jamais été si noire.Le MJF est orphelin ; une légion de musiciens et mélomanes à travers le monde aussi. Rien ne sera plus comme avant. Hélas. Les souvenirs affluent et se télescopent. Les légitimes hommages à cette figure bonhomme, enthousiaste, passionnée, rêveuse, utopiste pleuvent de tous les recoins de la planète. Bien au-delà des toqués de cette note bleue qu'il a défendue sur les scènes de Montreux et ailleurs. Encore un pan d'histoire qui s'effrite.
La quinzaine de Montreux a rythmé quasi dix ans de ma vie professionnelle, chaque été. Le début de mes années 2000 y sont intimement liés. Indirectement ou directement, Claude Nobs et les programmateurs de son festival auront élargi mes horizons sonores, participé à l'éducation et l'émancipation de mes oreilles. Keith Jarett, B.B. King, Santana, Solomon Burke, Gilberto Gil, Wyclef Jean et tant d'autres noms du rhythm'n'blues, du jazz, de la soul, de la bossa ou des musiques du monde, ce n'était pas vraiment pas la tasse de thé d'un trentenaire alors branché pop, rock, chanson ou hip-hop. Là aussi pourtant, j'ai et on a été des enfants gâtés.Je n'oublierai jamais les marathons inouïs de Bowie, Leonard Cohen et, surtout, Prince jouant les prolongations en bout de nuit et qu'ai failli rater à cause des appels de Morphée; les élans de grâce d'Antony and the Johnson ou le magnétisme sombre et vénéneux de Tricky. Comme bien sûr ne pourrai rayer de ma mémoire - la perfection n'existe pas -, les ratés grotesques et pénibles de Sly and The Family Stone, The Black Eyed Peas, Korn, de certaines soirées hommage ou les déceptions personnelles. Mais au moins, Nobs aura-t-il osé jeter les passerelles musicales les plus insensées, brouiller les grammaires établies et remettre sans cesse en question la formule quadragénaire d'un festival resté unique en son/ses genre/s. Certes pas toujours pour les bonnes raisons, mais qu'importe. En ce funèbre jour, on oubliera même les légendaires colères de Nobs. Préférant retenir les coups de coeur du passeur que ses coups de sang. R.I.P donc.Dire que le Père Noël m'a amené le 24 un coffret de 20 albums originaux d'Atlantic Records sans qui le Montreux Jazz n'aurait jamais existé et que pas plus tard qu'hier Aretha Franklin, Percy Sledge, Ray Charles, Otis Redding, Wilson Pickett et Sam Dees ont bercé de soul ma journée de travail. A 23 heures quand j'apprenais le décès de Nobs, me serai franchement passé de la coïncidence. -
Episode XVII: Camille
Au début des années 2000, dans le sillage des Biolay, Bénabar, Delerm and co est apparu une nouvelle génération d'auteur-compositeur-chanteur très vite rangée sous l’appellation médiatiquement contrôlée "nouvelle chanson française". Cette nouvelle vague vocale s’apprête en 2010 à célébrer ses dix ans d’existence. Retour dans le désordre sur les albums phares (une trentaine) des trentenaires talentueux qui à leur manière décompléxée ont repris le flambeau des Murat, Miossec, Dominique A ou Katerine des années 90 dont l’écriture leur avait ouvert d’autres voies
Camille, Le Fil (Virgin, 2005)Un Fil aux mille et une voix et à l'ébouriffante richesse harmonique qui orchestre une sidérante plongée intime entre soul, jazz, pop et chanson. Un ovni discographique dans le paysage chansonnier dont les facettes oscillent entre sophistication et candeur, esprit ludique et états d'âme poignants, traits de jouvence et maturité solide. Le fil d'Ariane de Camille - Parisienne de 27 ans qui tirait la langue aux cérémoniales Victoires de la musique où elle avait été sacrée deux fois en 2006 et qui joue parfois à la punkette surexcitée-grimée en scène- réussit ainsi à parcourir toute la gamme des émotions musicales. De la hargne funk à l'abandon lyrique des années 30 façon Piaf, via les transes africaines et la sensualité feutrée de la nu-soul américaine.
Avec, en guise de basse continue et de train fantôme, une seule note de voix tenue sur toute la longueur de l'album. A la sortie de ce Fil aussi équilibriste qu'équilibré, la caméléone et virtuose chanteuse détaillait ainsi la genèse de cette idée originale: "Si l'on prend toutes les musiques du monde, on s'aperçoit que la plupart utilisent un bourdon, une tonalité qui ne change pas. Cette capacité à se poser sur une ligne, à garder une base forte, c'est quelque chose qui manque à la musique occidentale. Et peut-être même à la culture occidentale dans son ensemble."
Camille en a réhabilité le principe sous nos cieux. Elle en a par ailleurs profité pour y suspendre tout autour ses métaphores existentielles, ses airs de "jeune fille aux cheveux blancs" qui ne lassent toujours pas. "Avec cette image toute simple, je voulais décrire à la fois le propos musical et la teneur de mes textes, qui parlent beaucoup de ruptures, de la façon dont on garde le fil tout en traversant toutes sortes d'états. Le fil conducteur, c'est cet espace extrêmement ténu qui nous accompagne quoi qu'il arrive." Contorsionniste, funambule, élastique, transformiste certes, mais avec toujours une ligne d'horizon fluide en tête, Camille déverse avec la même souplesse et candeur gros mots et drôleries, incongruités et truismes ou vérités.
De jeux de rôle en jeux de langue et langage, elle a affirmé les multiples visages que sa jeune carrière a révélés depuis Le sac des filles, premier disque espiègle et insolent paru en 2002. Qu'elle campe les choristes de luxe et désinvoltes pour le précieux Jean-Louis Murat ou les trop discrets Gérard Manset et Franck Monnet; qu'elle interprète en anglais des reprises de tubes new wave façon bossa-nova pour le projet au succès faramineux Nouvelle Vague ou qu'elle prête son souffle aux chansons de son ancien guitariste Sébastien Martel, elle surprend souvent. Et détonne toujours. Posée et téméraire, caractérielle et lunaire, polyglotte, Camille sait être tout cela. Une saine et profitable versatilité pour ce phénomène indolent.