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billie holiday

  • Avril 2011

    Dans la profusion des sorties mensuelles, ne retenons que quelques chansons...

    chanson, L, Raphaële Lannadère, Initiale, album, Premières lettres, BabX, Barbara, Billie Holiday, Coltrane, Nougaro, Château Rouge L, Initiale (Tôt ou Tard)

    Une lettre, L, pour une Initiale. Derrière la brièveté du pseudonyme et la simplicité du titre, une lame de fond. Le premier album de Raphaële Lannadère, Française de 30 ans au souffle ardent, recèle douze perles graciles et gracieuses. Des chansons grisantes aux noires atmosphères musicales, où percent une insolente aisance d’écriture, une impressionnante et impressionniste maturité déjà. Presque davantage mis en scène qu’orchestré par son complice David Babin, alias BabX, Initiale révèle une rare alchimie entre forme et fond. Embarquant dans ses longs travellings les penchants de BabX pour le jazz (Billie Holiday, Coltrane, Nougaro), les BO de films noirs, le music-hall, le classique, le rock, l’electro, Barbara ou Ferré.

    Et comme tous deux ont le goût des beaux mots poétiques et partagent des admirations pour Baudelaire, Rimbaud ou Artaud, pas étonnant de voir surgir des «nuits fauves», «aubes sépia» ou des images de bohèmes. En tous les cas, L trimbale avec élégance et prestance ses états d’âme et son désenchantement, ses errances et désirs brûlants au cœur de cet univers sonore tour à tour mystérieux et ensorceleur. «Mes lèvres sont mortes à minuit/Mes lèvres sont mortes d’ivresse/Embrasées dans un tourbillon/Carillonnant plein de promesses/En confettis et cotillons», chante-t-elle en introduction à la manière d’une Cendrillon aux prises avec ses émois. Dans une diction et un débit qui évoquent celui de la Barbara de «La solitude», L vous foudroie pareillement que l’une de ses références absolues en jouant sur l’incessante valse des sentiments.

    Quelques figures et mondes interlopes émergent aussi par moments et renforcent le décor de cet Initiale aux clairs-obscurs sublimes. A l’image du captivant «Château Rouge» qui parvient à recomposer dans le détail l’atmosphère du cosmopolite quartier parisien où cohabitent Africains, dealers, camés, bobos et prostituées. A cette immersion au sein d’odeurs de soufre et de produits exotiques, L ajoute une autre citadine balade nocturne aux parfums plus délétères et aux plans plus cinématographiques encore via «Romance et série noire», titre rappelant le «Crack Maniac» de BabX. Ailleurs, ce sont des spleens («Les corbeaux»), passions (le plus mélodique «Jalouse»), poétiques rêveries (l’autoportrait fictif Initiale, «Pareil», «Mescaline») et de belles trouvailles lexicales comme ce «Je fume pour me rappeler ta voix» qui se trouvent souvent déclinés sur d’exquises lenteurs et moiteurs rythmiques.

    Cette esthétique du film musical en noir et blanc appliqué à Initiale, soigneusement peaufiné, confère à l’album un troublant supplément d’âme. La chanteuse a bien fait de prendre son temps pour écrire ce premier chapitre suivant un prologue esquissé il y a trois ans par le biais de six titres, Premières Lettres. Et d’où émergeait déjà «Petite», chanson émouvante sur l’amour d’un homme pour une fille de joie sans papiers volatilisée. Avec de tels atours stylés et ce son patiné, Initiale et L figurent déjà au rang des précieuses révélations de l’année française de la chanson

    Cet article est aussi paru dans le Quotidien Le Temps du 15 avril 2011

  • Episode XXVIII: Tété

    Au début des années 2000, dans le sillage des Biolay, Bénabar, Delerm and co est apparu une nouvelle génération d'auteur-compositeur-chanteur très vite rangée sous l’appellation médiatiquement contrôlée "nouvelle chanson française". Cette nouvelle vague vocale s’apprête en 2010 à célébrer ses dix ans d’existence. Retour dans le désordre sur les albums phares (une trentaine) des trentenaires talentueux qui à leur manière décompléxée ont repris le flambeau des Murat, Miossec, Dominique A ou Katerine des années 90 dont l’écriture leur avait ouvert d’autres voies

     

    TétéSacreLemmings.jpgTété, Le sacre des Lemmings (Jive-Epic, 2007)

    Alter-sensibilité, altérité, voilà les thèmes plutôt étonnants du troisième album de Tété, étrangement baptisé Le sacre des Lemmings (et autres contes de la lisière). Le troubadour français d'origine sénégalaise a volontairement choisi un titre métaphorique et chargé de mystère. Après deux albums introspectifs, il s'est tourné vers des sujets de société. "J'ai choisi les lemmings comme prisme, car ces mammifères ont la particularité de réguler leur démographie de manière singulière tous les quatre ans. Quand ils se retrouvent en situation de surpopulation, ils migrent. Durant cette migration, une partie des individus périraient dans la mer sans que l'on sache si ce sont des suicides ou des accidents. Cette allégorie me permet de tracer des parallèles avec nous autres humains. On a tellement de mal collectivement à se trouver des raisons de vivre ensemble que je me demande si nous ne courons pas, nous aussi, à notre perte..."

    Si la réponse demeure ouverte, les lemmings ont en tout cas inspiré à Tété une belle fable sur le genre humain. Ses chansons, entre humeurs folk et ballades pop, ressemblent à des chroniques du quotidien et revêtent toujours une portée universelle. Ce qui intéresse Tété, c'est l'interaction entre les gens. Il y greffe ainsi la question du développement durable et de l'héritage que nous laisserons. Pour fusionner en chansons les interrogations du citoyen et du chanteur Tété.

    En filigrane de ce répertoire, ce sont du coup des questions quant à l'identité, au racisme, à la politique, à la situation des Noirs dans le monde ("Fils de cham"), au paupérisme, à l'exil ("A flanc de certitudes"), à la crise des valeurs, à l'égoïsme ("Madeleine bas-de-laine") qu'il soulève subtilement. L'inconvénient, c'est que les thématiques n'affleurent pas toujours immédiatement. Il faut souvent interpréter entre les lignes les chansons denses, tant lexicalement que musicalement, pour vraiment saisir un propos somme toute très engagé. Une écriture quelque peu cryptique heureusement pas alourdie musicalement: couleurs guillerettes, mélodies et des contre-chants légers accompagnent sentiments et constats plutôt sombres. Et permettent d'offrir deux niveaux de lecture.

    Après avoir chroniqué les cycles saisonniers et les failles cachées dans un précédent opus éthéré, A la faveur de l'automne, Tété aime toujours à saisir ces moments furtifs qui l'ont marqué chemin faisant. Pour Le Sacre des lemmings, c'est l'actualité politique suivie à travers le prisme des médias qui a cette fois nourri son écriture redoutablement imagée qui fonctionne essentiellement par clés, jeux de piste. Etonnant pour un auteur se définissant comme "laborieux" et qui, auparavant, préférait circonscrire ses idées avec l'aide des romanciers (Sartre, Alphonse Allais et les livres, oubliés, de Serge Gainsbourg).

    Afin d'aérer son propos, Tété a par ailleurs imaginé des interludes à son conte chapitré. Il les a baptisés "L'aube des lemmings", "Le sacre des lemmings" et "Le crépuscule des lemmings", histoire d'accentuer l'urgence du temps qui passe. Derrière la désinvolture de ce guitariste qui avait écumé les couloirs du métro parisien avant de se produire dans les bars et de petites salles vite chavirées par son aisance et ses climats intimistes intemporels, le trentenaire montre désormais un volontarisme saisissant. En exposant dans un album d'une étourdissante richesse orchestrale et harmonique - nourri tant des Beatles mélodiquement que du "Strange Fruit" de Billie Holiday pour l'esprit militant - les principes d'une philosophie de vie.