Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

gainsbourg

  • Episode XXVIII: Tété

    Au début des années 2000, dans le sillage des Biolay, Bénabar, Delerm and co est apparu une nouvelle génération d'auteur-compositeur-chanteur très vite rangée sous l’appellation médiatiquement contrôlée "nouvelle chanson française". Cette nouvelle vague vocale s’apprête en 2010 à célébrer ses dix ans d’existence. Retour dans le désordre sur les albums phares (une trentaine) des trentenaires talentueux qui à leur manière décompléxée ont repris le flambeau des Murat, Miossec, Dominique A ou Katerine des années 90 dont l’écriture leur avait ouvert d’autres voies

     

    TétéSacreLemmings.jpgTété, Le sacre des Lemmings (Jive-Epic, 2007)

    Alter-sensibilité, altérité, voilà les thèmes plutôt étonnants du troisième album de Tété, étrangement baptisé Le sacre des Lemmings (et autres contes de la lisière). Le troubadour français d'origine sénégalaise a volontairement choisi un titre métaphorique et chargé de mystère. Après deux albums introspectifs, il s'est tourné vers des sujets de société. "J'ai choisi les lemmings comme prisme, car ces mammifères ont la particularité de réguler leur démographie de manière singulière tous les quatre ans. Quand ils se retrouvent en situation de surpopulation, ils migrent. Durant cette migration, une partie des individus périraient dans la mer sans que l'on sache si ce sont des suicides ou des accidents. Cette allégorie me permet de tracer des parallèles avec nous autres humains. On a tellement de mal collectivement à se trouver des raisons de vivre ensemble que je me demande si nous ne courons pas, nous aussi, à notre perte..."

    Si la réponse demeure ouverte, les lemmings ont en tout cas inspiré à Tété une belle fable sur le genre humain. Ses chansons, entre humeurs folk et ballades pop, ressemblent à des chroniques du quotidien et revêtent toujours une portée universelle. Ce qui intéresse Tété, c'est l'interaction entre les gens. Il y greffe ainsi la question du développement durable et de l'héritage que nous laisserons. Pour fusionner en chansons les interrogations du citoyen et du chanteur Tété.

    En filigrane de ce répertoire, ce sont du coup des questions quant à l'identité, au racisme, à la politique, à la situation des Noirs dans le monde ("Fils de cham"), au paupérisme, à l'exil ("A flanc de certitudes"), à la crise des valeurs, à l'égoïsme ("Madeleine bas-de-laine") qu'il soulève subtilement. L'inconvénient, c'est que les thématiques n'affleurent pas toujours immédiatement. Il faut souvent interpréter entre les lignes les chansons denses, tant lexicalement que musicalement, pour vraiment saisir un propos somme toute très engagé. Une écriture quelque peu cryptique heureusement pas alourdie musicalement: couleurs guillerettes, mélodies et des contre-chants légers accompagnent sentiments et constats plutôt sombres. Et permettent d'offrir deux niveaux de lecture.

    Après avoir chroniqué les cycles saisonniers et les failles cachées dans un précédent opus éthéré, A la faveur de l'automne, Tété aime toujours à saisir ces moments furtifs qui l'ont marqué chemin faisant. Pour Le Sacre des lemmings, c'est l'actualité politique suivie à travers le prisme des médias qui a cette fois nourri son écriture redoutablement imagée qui fonctionne essentiellement par clés, jeux de piste. Etonnant pour un auteur se définissant comme "laborieux" et qui, auparavant, préférait circonscrire ses idées avec l'aide des romanciers (Sartre, Alphonse Allais et les livres, oubliés, de Serge Gainsbourg).

    Afin d'aérer son propos, Tété a par ailleurs imaginé des interludes à son conte chapitré. Il les a baptisés "L'aube des lemmings", "Le sacre des lemmings" et "Le crépuscule des lemmings", histoire d'accentuer l'urgence du temps qui passe. Derrière la désinvolture de ce guitariste qui avait écumé les couloirs du métro parisien avant de se produire dans les bars et de petites salles vite chavirées par son aisance et ses climats intimistes intemporels, le trentenaire montre désormais un volontarisme saisissant. En exposant dans un album d'une étourdissante richesse orchestrale et harmonique - nourri tant des Beatles mélodiquement que du "Strange Fruit" de Billie Holiday pour l'esprit militant - les principes d'une philosophie de vie.

  • Episode XXI: Adrienne Pauly

    Au début des années 2000, dans le sillage des Biolay, Bénabar, Delerm and co est apparu une nouvelle génération d'auteur-compositeur-chanteur très vite rangée sous l’appellation médiatiquement contrôlée "nouvelle chanson française". Cette nouvelle vague vocale s’apprête en 2010 à célébrer ses dix ans d’existence. Retour dans le désordre sur les albums phares (une trentaine) des trentenaires talentueux qui à leur manière décompléxée ont repris le flambeau des Murat, Miossec, Dominique A ou Katerine des années 90 dont l’écriture leur avait ouvert d’autres voies

     

    AdriennePauly.jpgAdrienne Pauly, Adrienne Pauly (2006)

    Avec Mademoiselle K, Nadj ou Katel, Adrienne Pauly a teinté de guitares électriques des mots crus. D'émois en désastres amoureux sur un mode plutôt rock'n'roll, toutes ont redoré à leur façon le blason du blouson noir porté bombé. Sauf qu'Adrienne Pauly a un truc en plus. Ex-comédienne, cette Française a la gueule et les allures délurées d'une perdante magnifique. Elle dit d'ailleurs qu'elle a longtemps eu l'impression d'être une ratée. La chanson est venue à son secours, exutoire temporaire des quelques souffrances et désillusions accumulées quatre ans durant. Période "j'ai touché le fond".

    Son premier album recèle une addictive crise de nerfs. "J'veux un mec", titre emblématique d'un répertoire nourri tant de la dramaturgie d'une Fréhel que de l'opérette, du rock à la Rita Mitsouko ou de la poésie à la Trenet, de Gainsbourg comme de Chevalier ("Si vous connaissiez ma poule").

    Le style Pauly s'appuie sur une écriture au cordeau, imagée. Celui d'une fille qui se prend pour un mec. Avec davantage de poésie dans la déchéance animale. Son personnage de romantique à fleur de peau, de brune dominatrice en scène, elle l'a cultivé en picolant dans les bars de Paname. Au lieu de s'y faire des amis, la noiraude y glane des histoires interlopes, des récits de soirées pourries et une magnifique déconvenue au pieu ("L'amour avec un con"). Reflets d'un quotidien aussi foireux que déluré en somme. Un père metteur en scène pour la télé, une mère scénariste font peut-être qu'elle sait cadrer la focale de chansons qui ont le goût âcre du quotidien. Sans s'y complaire. Avec une salutaire désinvolture et une bonne dose de fêlure vocale collant bien aux aventures mi-glam mi-trash de cette furie- chipie d'Adrienne Pauly.

  • Episode XVI: Berry

    Au début des années 2000, dans le sillage des Biolay, Bénabar, Delerm and co est apparu une nouvelle génération d'auteur-compositeur-chanteur très vite rangée sous l’appellation médiatiquement contrôlée "nouvelle chanson française". Cette nouvelle vague vocale s’apprête en 2010 à célébrer ses dix ans d’existence. Retour dans le désordre sur les albums phares (une trentaine) des trentenaires talentueux qui à leur manière décompléxée ont repris le flambeau des Murat, Miossec, Dominique A ou Katerine des années 90 dont l’écriture leur avait ouvert d’autres voies

     

     

    BerryMademoiselle.jpgBerry, Mademoiselle (Mercury, 2008)

    Berry dévoile des mots aux fêlures touchantes. Et paraît aussi fragile que les chansons de son Mademoiselle, galop d’essai discographique sensible et délicat. Vêtu de peu (avec une dominante de cordes soyeuses), la frêle demoiselle égrène son indolente poésie des sentiments amoureux. Avec pudeur et sens des métaphores, Berry habite ses fragilités de cœur avec quelques détours par le blues et le jazz sur ses (dé)routes folk-pop.

    Rien de révolutionnaire certes, mais le style sans manière est d’une folle et surannée élégance. Comme un écho aux débuts vaporeux et plein de spleen de Keren Ann ou Coralie Clément ou à une plus lointaine Françoise Hardy. Pourtant, côté francophone, la jeune femme originaire de Poitiers préfère citer Barbara, Brassens et, surtout, Gainsbourg, "son absolue passion". Gainsbourg s’enflamme-t-elle, "il ne se passe pas une semaine où je ne l’écoute pas! Il a été à l’adolescence le lien entre tout ce que j’avais écouté. Barbara, Brassens, les Stones, les Beatles, Joni Mitchell, Marianne Faithfull. Et qui surtout n’appartenait pas à mes parents. Il faisait un pont entre mes influences anglo-saxonne et francophone, tout en étant subversif; parfait pour l’adolescence. C’est un ami qui n’a cessé depuis de m’accompagner. Il s’est personnifié. Et comme je suis de nature plutôt fidèle et très obsessionnelle, voire monomaniaque, je l’écoute systématiquement. Je le chante même avant de monter sur scène avec mes musiciens".

    Fil conducteur d’une vie qui est passée par le théâtre avant d’embrasser quelque peu par hasard la chanson, Gainsbourg s’entend ou se devine d’ailleurs en toile de fond de Mademoiselle. De façon flagrante musicalement comme dans "Chéri", premier des deux poèmes de Verlaine extrait du recueil Chansons pour elle et autres poèmes érotiques que Berry a adapté. Et plus incidemment textuellement sur "Enfant de salaud", où parmi des insultes plus abominables qu’elle profère d’une voix douce, Berry évoque "un vieux scélérat".

    La poésie, Berry l’a en tout cas dans la peau. Griffonnant des textes sur des bouts de papier depuis l’enfance, ayant dévoré et usé Cantilène en gelée, recueil de Boris Vian daté 1949. Elle nourrit une véritable fascination pour la poésie. Apollinaire et Verlaine, dont elle a adapté littéralement les poèmes les moins "pornos" de Chansons pour elle, figurent aussi dans son panthéon.

    Si une jolie formule telle "Un Smith & Wesson qui colle à la tête comme un homme" ("Mademoiselle") aurait pu être écrite par Gainsbourg, Berry impose heureusement son propre sceau sur ses maux de l’âme qui sont à mille lieues de toute description du quotidien. Un spleen plein de charme innerve ses douze premières chansons très intimes paradoxalement portées par un tube intitulé "Le bonheur".

  • Episode XV: Thomas Winter & Bogue

    Au début des années 2000, dans le sillage des Biolay, Bénabar, Delerm and co est apparu une nouvelle génération d'auteur-compositeur-chanteur très vite rangée sous l’appellation médiatiquement contrôlée "nouvelle chanson française". Cette nouvelle vague vocale s’apprête en 2010 à célébrer ses dix ans d’existence. Retour dans le désordre sur les albums phares (une trentaine) des trentenaires talentueux qui à leur manière décompléxée ont repris le flambeau des Murat, Miossec, Dominique A ou Katerine des années 90 dont l’écriture leur avait ouvert d’autres voies

     

    Winter&Bogue.jpg

    Thomas Winter & Bogue, Sur la colline (Virgin, 2005)

    L'écriture est aussi rêche qu'allusive, et souvent désabusée. Thomas Winter et Bogue, duo parisien cultivant des fleurs de poésie dans les interstices du bitume urbain, s'étaient révélés d'un coup mi-2003 grâce à un chapelet de chansons séditieuses. Sur fond d'électro-rock chaotique, le tandem privilégiait les métriques épileptiques dans un premier album éponyme gorgé d'une sourde mélancolie et d'une certaine rancœur sociale. Entre cassures de rythme et prose elliptique ou effrontée, voix de tabac froid passée au vocodeur, accouplements d'électricité, d'acoustique et d'électro-disco froide, les chansons de Winter et Bogue esquivaient alors toutes les suavités.

    Un côté animal émanait de cet accouplement improbable de Brel, Gainsbourg, Taxi Girl, Suicide, The Cure, Noir Désir et de hard rock. Au sein duquel les fausses versifications concassées pouvaient prendre des allures telles que "Allez, viens vite/Mets-lui la langue/Ne sois pas farouche/Ouvre grand la bouche/Allez viens petite/Il faut qu'ça tangue/Ne sois pas farouche/Les sens-tu qui se touchent?" ("Allez, viens petite"). La paire excentrique, déroutante plus que détonante, pratiquait aussi à merveille l'autoflagellation et les complaintes aux arrière-goûts désenchantés, voire outrageusement sexuels. Ainsi de «Batifole», titre phare au final orgasmique dont le clip vidéo aurait très bien pu être classé X, avec l'apparition de Thomas Winter, bras en croix, en jouet charnel de deux stars pulpeuses du porno.

    Au cours de ce deuxième disque au gentillet nom de Sur la colline, Thomas Winter (chant, textes) et Bogue (guitares, compositions) ont plutôt penché pour une forme plus classique de chanson. En faisant œuvre de dépouillement instrumental d'abord, puis en s'appuyant davantage encore sur la voix sensuellement rauque de Winter, le répertoire laisse davantage sur le bas-côté les effets et les styles sonores de l'ex-contre-culture rock. Une émancipation qui n'altère en rien la force crue des mots, la pertinence de compositions bâties sur des mélodies évidentes.

    Sur la colline sent une fois de plus le vécu de Thomas Winter à plein nez. Un disque de chair, de sueur, de désillusions, de ruptures et de momentanées éclaircies. Deuxième extrait du carnet de bord que cet ancien jardinier municipal et ouvrier agricole saisonnier a imaginé au sortir de dures journées de labeur, Sur la colline intègre aussi des textes écrits plus récemment. Au "Balayeur", à "L'automne" ou à "J'me sens vidé", chansons éloquentes du premier album, répondent à présent des chansons où l'air se fait moins suffocant: "Partir", "L'océan", "Libre".

    Autant d'instantanés fugaces, comme des poèmes retaillés pour une forme chantée, qui n'excluent pourtant nullement les maux et les regrets de leurs horizons éphémères. Un souffle vénéneux qui constitue sans doute aussi la marque de fabrique de Thomas Winter, trentenaire tatoué au visage d'ange rock déchu capable de faire jaillir des étincelles de poésie dépitée dans la grisaille d'une zone industrielle, de s'imaginer sans ridicule en «French lover» romantique dans un morceau de surf rock à la californienne, de conter des amours sordides avec une élégance sidérante.

    Mais c'est sans doute au fil de "Je suis", chanson-ADN, que Thomas Winter se révèle le mieux: "Je suis un mélancolique en demeure/Je suis l'osmose sexuelle refoulée/Je suis un toxicomane potentiel/Je suis le rêveur amnistié/Je suis un branleur conditionné/Je suis l'artiste de mon malheur/Je suis l'overdose qui t'écœure/Je suis un poète de fond de panier/Je suis l'écrivain périmé/Je suis une bite pour les grosses pouffes/Je suis un spasme qui t'étouffe/Je suis la vérité à renier […]". Inventaire vertigineux, défiguration d'une âme en peine, chanson vérité ou fantasmée par un homme maudit, "Je suis" constitue le sommet versatile et intense de Sur la colline. Chez Thomas Winter et Bogue, hélas ou tant mieux, les mots finissent toujours par peser malgré des climats musicaux d'humeur moins maussade. Cet univers sans faux semblants, ces dérives aussi réalistes qu'existentialistes ont en tout cas plu à Benjamin Biolay, qui souffle quelques notes apaisées de trompette et s'est occupé des arrangements de cordes sur deux titres. Histoire de contenir la tornade de sentiments marqués au fer rouge crachés par cette alliance jamais contre nature que forment Winter et Bogue.