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the cure

  • Episode XXIX: M

    Au début des années 2000, dans le sillage des Biolay, Bénabar, Delerm and co est apparu une nouvelle génération d'auteur-compositeur-chanteur très vite rangée sous l’appellation médiatiquement contrôlée "nouvelle chanson française". Cette nouvelle vague vocale s’apprête en 2010 à célébrer ses dix ans d’existence. Retour dans le désordre sur les albums phares (une trentaine) des trentenaires talentueux qui à leur manière décompléxée ont repris le flambeau des Murat, Miossec, Dominique A ou Katerine des années 90 dont l’écriture leur avait ouvert d’autres voies

     

    MQuidenous2.jpgM, Qui de nous deux (Delabel, 2003)

    Jeu de rôle, quête identitaire. Matthieu Chedid et M, son double fantasque, apparaissent enfin tour à tour, se dévisagent et s'interrogent pour mieux brouiller les pistes. Qui de nous deux, troisième album studio en sept ans de M depuis l'inaugural Le Baptême, pose enfin la question: "Qui de nous deux inspire l'autre?" Mais si Matthieu Chedid lève quelque peu le voile sur une schizophrénie volontaire élevée au rang d'esthétique ludique et kitsch, l'homme et l'artiste ne semblent toujours pas prêts à fusionner en une seule entité. Ainsi, si les quinze titres de cet opus à la douceur inédite se répondent par miroirs interposés, les paradoxes subsistent, et démêler l'écheveau du vrai-faux reste une mission périlleuse.

    M peine à abandonner sa peau de super-héros, tellement ce costume intimement lié à l'imaginaire de l'enfance lui ouvre les portes dérobées de son existence musicale excentrique. Pourtant, difficile de ne pas voir de symétries confessionnelles entre "Mon ego" et "Ton écho" ou "Qui de nous deux" et "Je me démasque", chanson écrite par sa grand-mère écrivaine Andrée Chedid, dont c'est la deuxième intrusion dans le répertoire bariolé du petit-fils. Une histoire de famille qui ne s'arrête pas là, puisque l'ombre de la quatrième génération plane sur les chansons d'un M ayant écrit et composé à proximité et sous la haute influence de son nourrisson Billie.

    Bien que Qui de nous deux décline le rose clinquant dans sa ligne visuelle, l'album divulgue plus de profondeur que les distrayantes superficialités pop passées. C'est plutôt un M morose, intime, parfois sérieux, qui se laisse ici apprivoiser. Où "l'icône à la con" de "Mon ego" prend une consistance supplémentaire. Sans que l'âme d'"adulescent" et les quelques chansons-gadgets du récent père aient pleinement cédé leur place au sein de l'univers d'un trentenaire qui dit se sentir "sur le fil du dérisoire et de l'essentiel en permanence".

    Dans la galaxie hexagonale des chanteurs fantaisistes et détendus – Katerine, Mathieu Boogaerts, Thierry Stremler ou Pascal Parisot – Mathieu Chedid occupe une place de choix. Même si elle s'est avant tout mesurée à l'aune de son succès commercial. Les talents de mélodiste de ce guitariste virtuose, fan irréductible de Hendrix, des Beatles et The Cure, se sont affinés au fil des albums et au contact de la scène, cocon idéal de M où l'expression de sa folie gagne l'assistance à vitesse grand V. Personnalité introvertie réduite à son dédoublement contagieux pas pris très au sérieux, Matthieu Chedid semblait donc condamné à abuser de sa panoplie pour séduire. De manière criarde, son précédent disque studio Je dis aime (1999) laissait entrevoir les traces d'un raffinement à venir. Par endroits déjà, avec une chanson comme «Qui est le plus fragile», des inhibitions tombaient. Côté élaboration des musiques, les instrumentaux de Labo M offraient également des pistes pour saisir la richesse et la diversité de sa panoplie de compositeur. Un work in progress qu'il considère comme un luxe et "un terrain de jeu créatif", lui permettant de ne pas s'"enfermer dans les stéréotypes" d'une industrie du disque réglementée à l'extrême en termes de cadences de production. Et de dire une fois de plus qu'il s'est toujours senti "musicien avant d'être chanteur".

    Cette dimension insaisissable chère à M autant qu'à Matthieu Chedid, il la confirme tout au long de Qui de nous deux. Entre autodérision et révélation, jeux de mots homophoniques et assonances, slogans et interrogations, ses vignettes pop-funk ont mûri. Sur tous les plans: de la luxuriance des ambiances (Philippe Zdar de Cassius) à l'ingéniosité des sons, de l'écriture aux subtiles impostures ("Gimmick" notamment). Excepté la voix, délibérément et plus que jamais celle d'un fausset, M surprend et nous suspend à son vol papillonnant. En compagnie de sa bande habituelle de musiciens-amis excellents (dont l'incontournable violoncelliste Vincent Segal) qui contrebalancent sa nature instinctive, il alterne les styles (funk, soul, pop, rock) et multiplie les ballades intimistes ("La corde sensible"). Et en profite aussi au passage pour dédier un titre ("La bonne étoile") à son ami de longue date Boogy, alias le lunaire Mathieu Boogaerts qui avait tendrement jalousé son succès sur "Matthieu" en chantant: "Je me démène dans tes flammes/Comme ton feu me crame/Comme ton feu m'entame/comme ton feu me fane." Un ressentiment qui n'a jamais brouillé deux hommes qui partagent une identique honnêteté. Dans la vie comme en chanson.

  • Episode XV: Thomas Winter & Bogue

    Au début des années 2000, dans le sillage des Biolay, Bénabar, Delerm and co est apparu une nouvelle génération d'auteur-compositeur-chanteur très vite rangée sous l’appellation médiatiquement contrôlée "nouvelle chanson française". Cette nouvelle vague vocale s’apprête en 2010 à célébrer ses dix ans d’existence. Retour dans le désordre sur les albums phares (une trentaine) des trentenaires talentueux qui à leur manière décompléxée ont repris le flambeau des Murat, Miossec, Dominique A ou Katerine des années 90 dont l’écriture leur avait ouvert d’autres voies

     

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    Thomas Winter & Bogue, Sur la colline (Virgin, 2005)

    L'écriture est aussi rêche qu'allusive, et souvent désabusée. Thomas Winter et Bogue, duo parisien cultivant des fleurs de poésie dans les interstices du bitume urbain, s'étaient révélés d'un coup mi-2003 grâce à un chapelet de chansons séditieuses. Sur fond d'électro-rock chaotique, le tandem privilégiait les métriques épileptiques dans un premier album éponyme gorgé d'une sourde mélancolie et d'une certaine rancœur sociale. Entre cassures de rythme et prose elliptique ou effrontée, voix de tabac froid passée au vocodeur, accouplements d'électricité, d'acoustique et d'électro-disco froide, les chansons de Winter et Bogue esquivaient alors toutes les suavités.

    Un côté animal émanait de cet accouplement improbable de Brel, Gainsbourg, Taxi Girl, Suicide, The Cure, Noir Désir et de hard rock. Au sein duquel les fausses versifications concassées pouvaient prendre des allures telles que "Allez, viens vite/Mets-lui la langue/Ne sois pas farouche/Ouvre grand la bouche/Allez viens petite/Il faut qu'ça tangue/Ne sois pas farouche/Les sens-tu qui se touchent?" ("Allez, viens petite"). La paire excentrique, déroutante plus que détonante, pratiquait aussi à merveille l'autoflagellation et les complaintes aux arrière-goûts désenchantés, voire outrageusement sexuels. Ainsi de «Batifole», titre phare au final orgasmique dont le clip vidéo aurait très bien pu être classé X, avec l'apparition de Thomas Winter, bras en croix, en jouet charnel de deux stars pulpeuses du porno.

    Au cours de ce deuxième disque au gentillet nom de Sur la colline, Thomas Winter (chant, textes) et Bogue (guitares, compositions) ont plutôt penché pour une forme plus classique de chanson. En faisant œuvre de dépouillement instrumental d'abord, puis en s'appuyant davantage encore sur la voix sensuellement rauque de Winter, le répertoire laisse davantage sur le bas-côté les effets et les styles sonores de l'ex-contre-culture rock. Une émancipation qui n'altère en rien la force crue des mots, la pertinence de compositions bâties sur des mélodies évidentes.

    Sur la colline sent une fois de plus le vécu de Thomas Winter à plein nez. Un disque de chair, de sueur, de désillusions, de ruptures et de momentanées éclaircies. Deuxième extrait du carnet de bord que cet ancien jardinier municipal et ouvrier agricole saisonnier a imaginé au sortir de dures journées de labeur, Sur la colline intègre aussi des textes écrits plus récemment. Au "Balayeur", à "L'automne" ou à "J'me sens vidé", chansons éloquentes du premier album, répondent à présent des chansons où l'air se fait moins suffocant: "Partir", "L'océan", "Libre".

    Autant d'instantanés fugaces, comme des poèmes retaillés pour une forme chantée, qui n'excluent pourtant nullement les maux et les regrets de leurs horizons éphémères. Un souffle vénéneux qui constitue sans doute aussi la marque de fabrique de Thomas Winter, trentenaire tatoué au visage d'ange rock déchu capable de faire jaillir des étincelles de poésie dépitée dans la grisaille d'une zone industrielle, de s'imaginer sans ridicule en «French lover» romantique dans un morceau de surf rock à la californienne, de conter des amours sordides avec une élégance sidérante.

    Mais c'est sans doute au fil de "Je suis", chanson-ADN, que Thomas Winter se révèle le mieux: "Je suis un mélancolique en demeure/Je suis l'osmose sexuelle refoulée/Je suis un toxicomane potentiel/Je suis le rêveur amnistié/Je suis un branleur conditionné/Je suis l'artiste de mon malheur/Je suis l'overdose qui t'écœure/Je suis un poète de fond de panier/Je suis l'écrivain périmé/Je suis une bite pour les grosses pouffes/Je suis un spasme qui t'étouffe/Je suis la vérité à renier […]". Inventaire vertigineux, défiguration d'une âme en peine, chanson vérité ou fantasmée par un homme maudit, "Je suis" constitue le sommet versatile et intense de Sur la colline. Chez Thomas Winter et Bogue, hélas ou tant mieux, les mots finissent toujours par peser malgré des climats musicaux d'humeur moins maussade. Cet univers sans faux semblants, ces dérives aussi réalistes qu'existentialistes ont en tout cas plu à Benjamin Biolay, qui souffle quelques notes apaisées de trompette et s'est occupé des arrangements de cordes sur deux titres. Histoire de contenir la tornade de sentiments marqués au fer rouge crachés par cette alliance jamais contre nature que forment Winter et Bogue.