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  • Les douceurs pop de M

     

    M.jpgL'extraversion après l'introversion. Trois ans après Mister Mystère, révélant la face sombre de Matthieu Chedid, M publie Îl. Un sixième album solo en quinze ans qui fait la part belle au bouillonnement pop-rock, aux langueurs mélodiques et à l'économie de mots. Il s'y déleste de plus en plus de sa panoplie de super-héros. Rencontre avec un homme tranquille.

     

    Après avoir dévoilé votre part d'ombre sur "Mister Mystère", "Îl" constitue-t-il un retour à une douce lumière?

     

    Oui. Même pour être très clair, un retour à une lumière rayonnante, intense, explosive presque, même qu'elle semble douce parfois. J'avais envie d'un lâcher-prise, d'un arc-en-ciel, d'un feu d'artifice, d'une dimension festive. Îl est un disque extraverti, épique, spectaculaire, hollywoodien en un sens comme une suite de courts-métrages. Mister Mystère m'avait permis d'aller chercher une certaine paix, de me faire renaître et de retrouver l'essence de M. C'était comme un voyage initiatique et intérieure. A 40 ans à présent, je voulais revenir de façon plus vive, tout en me reconnectant avec mes débuts. Îl me rappelle aussi mes débuts en 1997 avec Le Baptême, un album de lâcher-prise total où je n'avais rien à perdre.

    "Îl" désigne-t-il davantage l'exotisme îlien ou l'idée de l'autre ?

    Les deux. C'est l'idée de proposer une île, un lieu imaginaire où tout est permis, avec une vision tout à la fois masculine mais ouverte sur l'autre. Même si l'album commence par une chanson intitulée "Elle" et que ma part de féminité reste présente. Mais c'est aussi l'autre, M, qui permet de me réinventer, de ne pas figer ce personnage dans une époque ou une couleur. M se retrouve d'ailleurs davantage aujourd'hui dans mes lunettes que ma coupe de cheveu. Et pour la prochaine tournée, je n'aurais sans doute plus besoin de passer une heure dans ma loge pour me métamorphoser en M : mes fringues et mes lunettes suffiront pour des concerts plus bruts et rock.

    Le besoin de dédoublement, du masque et de la panoplie artistique s'est-il estompé ?

    Oui, je crois assumer de plus en plus ce que je suis et qui je suis, même si l'ai toujours relativement bien assumé. J'ai d'ailleurs appris récemment que Chedid veut dire intense en arabe, alors peut-être que mon nom me donnera un jour raison. Il reste que, paradoxalement, c'est avec un masque qu'on est davantage soi-même. Si je me transforme, c'est que cela me permet d'être encore plus moi. Ce n'est pas une histoire d'apparence mais de fond. J'ai plus un langage de fond que de forme alors que le visuel est fort chez moi. C'est troublant.

    Vous avez endossé quantité de casquettes ces dernières années– arrangeur pour Johnny Hallyday ou votre père Louis Chédid, guitariste au côté de Vanessa Paradis, compositieur de la BO de "Monstre à Paris" -, vous aimez papillonner ?

    Je crois être à l'aise dans la diversité, quand ne suis pas figé dans un rôle. Je prends autant de plaisir en tant que personnage central que musicien ou producteur de l'ombre. Je ressens surtout le besoin artistiquement d'échapper au confort, qui me fait extrêmement peur et signifie la mort de la créativité. En ce moment, j'essaie de faire la musique pour un spectacle de James Thierrée (ndlr : petit-fils de Charlie Chaplin), qui a vécu en Suisse, et me retrouve dans un registre non plus mélodique mais de musique concrète.. Et j'adore cela. Ce qui m'amuse, c'est avant tout d'apprendre et donc d'aller chercher en moi quelque chose de neuf dans des univers différentes.

    Vous vous sentez toujours sur le fil de l'essentiel et du dérisoire ?

    Oui, plus que jamais. Au même titre qu'une chanson est tout et rien à la fois. Et c'est cette fragilité  que j'aime beaucoup dans la musique qui, à l'image de la vie, est autant une grande blague qu'une chose essentielle.

    Sur l'album, il y a pourtant un titre qui dit "Faites-moi souffrir"...

    C'est d'abord une chanson ironique, qui se moque de nous et certaines de nos petites souffrances ridicules. C'est également un prétexte au lâcher-prise, à l'amusement. En sous-texte, il s'agit de dire aussi que dans des grands moments de tristesse on peut toucher artistiquement à la grâce en se libérant totalement.

    Personnellement, vous créez mieux dans la souffrance ou le bonheur ?

    Je dirais que les deux sont bons à prendre. Je vois les choses par-delà le bien et le mal. Dans des moments d'énergie vitale, quand on est en paix, recentré et en phase, on trouve des sources formidables et éclatantes d'inspiration. Et dans les moments de perdition, de souffrance, de tristesse, on a accès à une forme de désespoir inspiré qui peut se révéler d'une absolue beauté.

    Îl (Universal Music)

     

  • Août 2012

    Dans la profusion des sorties mensuelles, ne retenons que quelques chansons...

     

    KancheFerré.jpgMarcel Kanche & I Overdrive Trio interprètent Léo Ferré, Et vint un mec d'outre saison (Cristal Records)

    Moins de deux ans après un septième album vénéneux, Vigiles de l’aube, Marcel Kanche se penche sur le répertoire patrimonial de Léo Ferré. Entreprise casse-gueule dont le plus bel inconnu de la chanson rock francophone – plume de M ou de Vanessa Paradis – se tire à merveille aux côtés d’un I Overdrive Trio croisé auparavant sur un haletant hommage à Syd Barrett. Saturations de guitares rock, batterie jazz ou trompette soulignant les mélodies et parlé-chanté frotté sur papier émeri participent à cette inspirée et brûlante réappropriation de Ferré, où brillent entre autres "Le chien" dans une version tendue entre free jazz et post-rock, le magnétisme trouble de l’inédit "Le chemin d’enfer" et un "Epilogue" tout en crescendo rêche.

  • Episode XXIX: M

    Au début des années 2000, dans le sillage des Biolay, Bénabar, Delerm and co est apparu une nouvelle génération d'auteur-compositeur-chanteur très vite rangée sous l’appellation médiatiquement contrôlée "nouvelle chanson française". Cette nouvelle vague vocale s’apprête en 2010 à célébrer ses dix ans d’existence. Retour dans le désordre sur les albums phares (une trentaine) des trentenaires talentueux qui à leur manière décompléxée ont repris le flambeau des Murat, Miossec, Dominique A ou Katerine des années 90 dont l’écriture leur avait ouvert d’autres voies

     

    MQuidenous2.jpgM, Qui de nous deux (Delabel, 2003)

    Jeu de rôle, quête identitaire. Matthieu Chedid et M, son double fantasque, apparaissent enfin tour à tour, se dévisagent et s'interrogent pour mieux brouiller les pistes. Qui de nous deux, troisième album studio en sept ans de M depuis l'inaugural Le Baptême, pose enfin la question: "Qui de nous deux inspire l'autre?" Mais si Matthieu Chedid lève quelque peu le voile sur une schizophrénie volontaire élevée au rang d'esthétique ludique et kitsch, l'homme et l'artiste ne semblent toujours pas prêts à fusionner en une seule entité. Ainsi, si les quinze titres de cet opus à la douceur inédite se répondent par miroirs interposés, les paradoxes subsistent, et démêler l'écheveau du vrai-faux reste une mission périlleuse.

    M peine à abandonner sa peau de super-héros, tellement ce costume intimement lié à l'imaginaire de l'enfance lui ouvre les portes dérobées de son existence musicale excentrique. Pourtant, difficile de ne pas voir de symétries confessionnelles entre "Mon ego" et "Ton écho" ou "Qui de nous deux" et "Je me démasque", chanson écrite par sa grand-mère écrivaine Andrée Chedid, dont c'est la deuxième intrusion dans le répertoire bariolé du petit-fils. Une histoire de famille qui ne s'arrête pas là, puisque l'ombre de la quatrième génération plane sur les chansons d'un M ayant écrit et composé à proximité et sous la haute influence de son nourrisson Billie.

    Bien que Qui de nous deux décline le rose clinquant dans sa ligne visuelle, l'album divulgue plus de profondeur que les distrayantes superficialités pop passées. C'est plutôt un M morose, intime, parfois sérieux, qui se laisse ici apprivoiser. Où "l'icône à la con" de "Mon ego" prend une consistance supplémentaire. Sans que l'âme d'"adulescent" et les quelques chansons-gadgets du récent père aient pleinement cédé leur place au sein de l'univers d'un trentenaire qui dit se sentir "sur le fil du dérisoire et de l'essentiel en permanence".

    Dans la galaxie hexagonale des chanteurs fantaisistes et détendus – Katerine, Mathieu Boogaerts, Thierry Stremler ou Pascal Parisot – Mathieu Chedid occupe une place de choix. Même si elle s'est avant tout mesurée à l'aune de son succès commercial. Les talents de mélodiste de ce guitariste virtuose, fan irréductible de Hendrix, des Beatles et The Cure, se sont affinés au fil des albums et au contact de la scène, cocon idéal de M où l'expression de sa folie gagne l'assistance à vitesse grand V. Personnalité introvertie réduite à son dédoublement contagieux pas pris très au sérieux, Matthieu Chedid semblait donc condamné à abuser de sa panoplie pour séduire. De manière criarde, son précédent disque studio Je dis aime (1999) laissait entrevoir les traces d'un raffinement à venir. Par endroits déjà, avec une chanson comme «Qui est le plus fragile», des inhibitions tombaient. Côté élaboration des musiques, les instrumentaux de Labo M offraient également des pistes pour saisir la richesse et la diversité de sa panoplie de compositeur. Un work in progress qu'il considère comme un luxe et "un terrain de jeu créatif", lui permettant de ne pas s'"enfermer dans les stéréotypes" d'une industrie du disque réglementée à l'extrême en termes de cadences de production. Et de dire une fois de plus qu'il s'est toujours senti "musicien avant d'être chanteur".

    Cette dimension insaisissable chère à M autant qu'à Matthieu Chedid, il la confirme tout au long de Qui de nous deux. Entre autodérision et révélation, jeux de mots homophoniques et assonances, slogans et interrogations, ses vignettes pop-funk ont mûri. Sur tous les plans: de la luxuriance des ambiances (Philippe Zdar de Cassius) à l'ingéniosité des sons, de l'écriture aux subtiles impostures ("Gimmick" notamment). Excepté la voix, délibérément et plus que jamais celle d'un fausset, M surprend et nous suspend à son vol papillonnant. En compagnie de sa bande habituelle de musiciens-amis excellents (dont l'incontournable violoncelliste Vincent Segal) qui contrebalancent sa nature instinctive, il alterne les styles (funk, soul, pop, rock) et multiplie les ballades intimistes ("La corde sensible"). Et en profite aussi au passage pour dédier un titre ("La bonne étoile") à son ami de longue date Boogy, alias le lunaire Mathieu Boogaerts qui avait tendrement jalousé son succès sur "Matthieu" en chantant: "Je me démène dans tes flammes/Comme ton feu me crame/Comme ton feu m'entame/comme ton feu me fane." Un ressentiment qui n'a jamais brouillé deux hommes qui partagent une identique honnêteté. Dans la vie comme en chanson.