Hommage tardif, mais mieux vaut..., à une plume reconnue et célébrée par la profession mais trop méconnue du grand public. Depuis qu'il a mis fin à ses jours le 15 août dernier à Antraigues (Ardèche) à l'âge de 57 ans, Allain Leprest a regagné quelque peu les honneurs des radios, lui qui n'y passait pratiquement jamais; pas plus qu'à la télévision d'ailleurs.
C'était un portraitiste hors-pair qui n'avait pas son pareil pour poser des décors, suggérer des atmosphères, tordre la grammaire ou pousser des coups de gueule. Il excellait à obscurcir les tableaux ou à coller des mots sur le chagrin, la souffrance, l'errance physique ou existentielle. Avec toujours une dose d'humanisme, de tendresse pour la détresse de la condition humaine. Allain Leprest se nourrissait beaucoup de ses rencontres, disait y trouver quantité d'autoportraits.
Ce sont certaines voix de l'alternative chantée comme Loïc Lantoine, La Rue Ketanou, Jamait qui lui vouaient surtout un culte, avant que deux albums hommage paraissent en 2008 et 2009 (Chez Leprest) avec Adamo, Higelin, Guidoni, Sanseverino, Nilda Fernandez, Michel Fugain ou Olivia Ruiz et mettent davantage en lumière ce chanteur d'ombres.
Pourtant, Allain Leprest avait tout de même refourgué quelques vers de vague à l'âme à Juliette Gréco («Le pullover», mis en musique par Jean Ferrat), Francesca Solleville, Isabelle Aubret ou Romain Didier et son talent avait été loué par Nougaro ou Jean d'Ormesson qui l'a qualifié un jour de "Rimbaud du XXe siècle"...
Trafiquant de mélancolie et d'ironie depuis trente ans et dix albums, Leprest a charrié un répertoire sombre, taillé de mots et maux au cordeau chanté d'une voix d'outre-tombe. Il admirait Ferré et Ferrat. Avait un faible pour les gueules cassées, les destins fracassés, les âmes en peine. C'est le chanteur Henri Tachan, celui qui poussait des coups de gueule contre les bombardements US au Vietnam, qui lui avait mis le pied à l'étrier dans les années 80 après avoir découvert un recueil de ses poésies.
Son parcours ressemble ensuite à celui d'un chanteur-poète quelque peu maudit. Il est découvert au Printemps de Bourges en 85, sort premier disque en 86, écrit pour d'autres, chante à la Fête de l'Humanité qu'il connaît bien parce qu'il se revendique lui-même communiste. Quelques années de vache maigre suivent tout de même avant qu'un deuxième album en 1992 imaginé avec l'accordéoniste Richard Galliano ne remette Leprest en selle.
Ce regain de popularité ne durera que quelques années. Et Leprest de disparaître du feu des projecteurs à nouveau, avant de réapparaître enfin avec des chansons originales en 2005, Donne-moi de tes nouvelles, au terme de sept ans de silence. Suit en 2009 Quand auront fondu les banquises, album automnal qui lorgne du côté de Paul Verlaine et de Charles Trenet. L’une des chansons s’appelle «Quand j’étais mort».
Entre-temps, il aura aussi connu l'enfer ethilique et un cancer des poumons. Jusqu'à cette ultime aube tragique qu'il aimait tant chanter.
A lire: Allain Leprest, Je viens vous voir: de Thomas Sandoz, Editions Christian Pirot (2003).