Coup de projecteur mensuel sur un album aux accents littéraires. Second volet avec Jean-Louis Murat, Léo Ferré et Baudelaire.
Les chanteurs aiment la littérature. Oh bien sûr, de loin pas tous! Mais ceux que l'on a envie d'évoquer au fil de cette chronique – une certaine chanson actuelle - la choie d'une manière singulière. Contemporaines ou modernes, poétiques ou philosophiques ou documentaires, de belles plumes littéraires touchent ces voix francophones qui aiment à les mettre en musiques. Comme avant guerre Verlaine a touché Damia, Jean Cocteau Marianne Oswald ou tel l'état de grâce vécu après guerre du tandem Jacques Prévert-Joseph Kosma auprès de nombreux interprètes, les belles feuilles qu'écrivent chanson et littérature sont aujourd'hui loin d'être mortes.
Jean-Louis Murat, Dominique A, Arman Méliès, Bertrand Belin, Bastien Lallemant, Berry, Barbara Carlotti, Claire Diterzi, Lola Lafon, Rodolphe Burger, BabX et bien d'autres entretiennent une relation forte avec la galaxie littéraire.
Le cas du barde auvergnat Jean-Louis Murat est à cet effet assez exemplaire. En 2007, dans Charles et Léo: Les Fleurs du Mal, il reprenait le chantier que Leo Ferré avait laissé en plan mélodique après deux albums consacrés à Baudelaire. A l'occasion du 150e anniversaire des Fleurs du Mal, le lettré et romantique Murat se glissait dans une ode aux sens, au spleen et aux enfers. Le résultat est d'une finesse pop exemplaire, sans maniérisme ni lyrisme trop prégnant, et supplante les exercices que Murat avait dédiés aux poètes Béranger et Antoinette Deshoulières. Entre amour et damnation, ironie et double sens, il déguste et célèbre les finesses de vers riches et rimes raffinées, plaçant les douze poèmes courts sous un addictif voile mélancolique.
Un an plus tard, c'est Léo Ferré qui allait répliquer d'outre-tombe à Murat. Charles Baudelaire fut un phare pour Léo Ferré. Au fil de près de cinquante ans de création ininterrompue et protéiforme - chansons fleuves, partitions symphoniques ou hallucinées, oratorios, bandes originales de films, orchestrations pop, recueils de poésie, textes en forme de manifestes enflammés, écrits méconnus pour le théâtre -, Ferré est régulièrement revenu à Baudelaire. De ce poète de la subversion, il a mis en musiques une cinquantaine de textes ou poèmes. Des adaptations réparties sur les années 1957, 1967, 1976-1977, dont on ne trouve que de rares traces orchestrées dans le répertoire de Ferré.
En 2008 donc, à l'occasion des quinze ans de la mort de Ferré, vingt et une Fleurs du Mal d'une nudité sublime resurgissaient soudain. Ces versions, enregistrées par l'astre noir de la chanson au seul piano dans son atelier-studio de Toscane, à Castellina in Chianti, incarnent ainsi une belle matière inédite. Les Fleurs du Mal, suite et fin, qui paraît en même temps que la réédition du disque épuisé de 1957, ce sont autant de maquettes dépolies, à la fois arides et fluides, où s'immiscent parfois les bruits ambiants captés par le micro et le magnétophone qui trônaient sur le piano. De lancinantes mélodies portées par ce chant qui semble toujours tout juste s'extirper d'un champ de bataille. Deux visions, autant de versions de Baudelaire qui se complètent aujourd'hui admirablement.