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  • Episode XXXII: Claire Diterzi

    Au début des années 2000, dans le sillage des Biolay, Bénabar, Delerm and co est apparu une nouvelle génération d'auteur-compositeur-chanteur très vite rangée sous l’appellation médiatiquement contrôlée "nouvelle chanson française". Cette nouvelle vague vocale s’apprête en 2010 à célébrer ses dix ans d’existence. Retour dans le désordre sur les albums phares (une trentaine) des trentenaires talentueux qui à leur manière décompléxée ont repris le flambeau des Murat, Miossec, Dominique A ou Katerine des années 90 dont l’écriture leur avait ouvert d’autres voies


    DiterziTableauchasse.jpgClaire Diterzi, Tableau de chasse (Naïve, 2008)

    Touche-à-tout qui a toujours cherché "du sens dans les tabous et les relations humaines", Claire Diter­zi chante, aigu parfois, des mini-traités de sexologie, les déroutes amoureuses, les rencontres express, le dessous des ébats, les peaux en voie de flétrissure, les blessures intimes. Pour situer l'origine de son répertoire au corps à corps electro-rock, elle aime à citer le film Intimité de Patrice Chéreau.

    Pour Tableau de chasse, son troisième album solo en incluant sa B.O. de Requiem for Billy the Kid, l'ex-chanteuse du groupe rock Forguette Mi Note recadre encore davantage ses propos. Avec un souffle et un culot aussi déconcertants que jouissifs, elle s'est inspirée de sculptures et tableaux pour nourrir son écriture des plus charnelles. Sur fond d'electro, de pop et d'électricité excentrique. La beauté des dix œuvres retenues, de Rodin à Claudel via Toulouse-Lautrec ou Fragonard, a aussi pour trait commun la femme. En lumineuse obsessionnelle compulsive, Claire Diterzi aborde une fois de plus ce thème chéri qui lui permet d'évoquer le sexe, l'amour et la sensualité. Et cherche sans cesse à le chanter avec intelligence.

    Tableau de chasse y parvient sans mal. Entre libertinages et moqueries, coquetteries et franches manières, humour et méchanceté. Dans "L'odalisque", elle s'abandonne ainsi corps et âme, obéit au doigt et à l'œil en femme soumise de harem sans le moindre trémolo dans la voix. Diter­zi se fait "pour l'éternité, ta nana et ta madone, ta diva et ton odalisque". Les saccades rythmiques, les montées dans les aigus peu farouches créent une atmosphère inouïe à cette pièce sonore aussi rococo que la toile XVIIIe de François Boucher. "Je veux être ta chose, que tu me hisses au sommet de ton torse", chante-t-elle plus loin d'une voix douce et innocente. Dans un abandon qui désire oublier l'étreinte du temps.

    Au même titre qu'elle joue en mots des sens, Diterzi s'est amusée à superposer à l'envi ses chants caméléons, à créer des millefeuilles de chœurs aussi. En modelant l'extraordinaire plasticité d'une voix utilisée comme un véritable matériau, en taillant dans la chair rythmique et mélodique, cette éternelle gladiatrice de la chanson dompte son répertoire façonné sur des gestuelles des beaux-arts. "Je voulais qu'on entende le ciseau sur la pierre", résume-t-elle dans une formule magique.

    Evocateur au-delà du raisonnable, Tableau de chasse alterne avec une touchante et renversante folie les époques et les climats. Entre les teintes romantiques et les ambiances lascives figurent aussi quelques atmosphères dégénérées. Comme sur "A quatre pattes" – calqué sur une œuvre d'Allen Jones montrant une femme en cuir dénudée servant de support au plateau d'une table basse – où la libertaire Diterzi brocarde l'obscénité de l'imagerie hip-hop et R & B. Avec une irrésistible "voix de bimbo" en prime! Elle rit aussi de Mireille Mathieu meublant les interminables repas de famille dominicaux, prétexte à dégommer le politiquement correct et, partant, la réanimation par Sarkozy des has been populaires du "patrimoine" chanté. "L'art, c'est résister", selon Diterzi.

    Pour représenter un autre âge, il y a aussi cette troublante "Vieille chanteuse" évoquant son tenace goût de l'amour. Chanson pour laquelle Diterzi prend l'accent traînant des goualantes réalistes de l'entre-deux-guerres. Ou enfin, avec réminiscences du Mystère des Voix bulgares, cette chanson dans la peau d'une femme divorcée. Du beau art grâce à une écriture tout feu tout flamme.