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georges moustaki

  • Moustaki, "Métèque" et mat

    Il y a cinq ans, il avait commencé à évoquer sa maladie respiratoire, le coeur un peu serré (lire l'interview de 2008 exhumée ci-dessous*). Logique quand on dédié la majorité de son temps et sa passion à la chanson et que les bronches ne suivent plus. Avec la disparition de Georges Moustaki à 79 ans, c'est un pan d'un large patrimoine qui s'effondre, courant du Brésil à la France et de l'Egypte à la Grèce. Le "Juif errant" aura comme peu ressassé ses thèmes chers qu'étaient l'amour, les femmes et le vagabondage. "Métèque" et mat d'un grand voyageur, solitaire et aimant.

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    *"Je suis un serviteur de la révolution"

    Georges Moustaki publie un nouvel album, "Solitaire", et raconte ses fièvres de poète errant.

    Existence et errance ont toujours été liées chez Georges Moustaki. Plus d'un demi-siècle que l'auteur-compositeur, mais aussi écrivain, peintre, polyglotte et féru de tennis de table chante ce qu'il respire. Les voyages et les rencontres ont formé davantage que sa jeunesse. De ses vagabondages inspirants, il a cette fois ramené Solitaire. Celui qui est né Grec dans un monde d'Egyptiens où il a appris le français y duettise avec Delerm, Cali, Stacey Kent et China Forbes. Dans un voile de douceur, de légèreté nostalgique ou mélancolique, Moustaki reprend et rénove encore des titres phares («Ma solitude» ou «Sans la nommer»). Si les élégantes chansons de Moustaki n'ont jamais révélé une grande voix, elles sont un peu gâchées ici par un manque de couleurs et de souffle qu'il aborde sans détour.

    Georges Moustaki: J'ai un problème relativement récent d'emphysème pulmonaire auquel je n'arrête pas de penser. Mais je ne veux pas modifier ma vie en fonction de cette pathologie, même si je la ressens au quotidien. Le problème est que je ne sais pas combien de temps je pourrai compter sur ma voix. Ma pathologie est très préjudiciable. C'est très mystérieux aussi cette question vocale car je fais des concerts de deux heures où je me sens paradoxalement mieux en fin de spectacle. La détérioration de ma voix en raison de l'âge est une conséquence audible. Mais le problème de souffle, malheureusement, ne tient hélas pas à l'âge mais à la maladie contractée. Je le tiens à bout de bras car je n'ai pas encore épuisé toutes les possibilités médicales.

    - Quarante ans et autant de mois de mai séparent «Métèque», votre premier succès, de votre nouvel album,«Solitaire». Cela revêt-il une symbolique particulière?

    - Non. Mes producteurs ont tenté de le faire croire. Mais c'est du pur marketing. Je ne renie pas, ne récuse pas ni désavoue 1968 mais je ne me retrouve pas dans cette célébration. Mes souvenirs de 1968 sont très beaux. Il faut qu'ils restent purs et justes. Ma chanson «Sans la nommer», qui évoque la «révolution permanente», ne parle ainsi pas de mai 1968 en particulier. Mais de toutes ces révolutions du siècle dernier qui ont fait bouger le monde: la révolution russe, cubaine, celle des œillets au Portugal, etc. Toutes les révolutions sont admirables quand elles ne dégénèrent et ne se pervertissent pas.

    - Cet esprit libertaire qui a fleuri en 1968 a-t-il été une balise artistique et intellectuelle?

    - Je vivais bien avant avec les valeurs revendiquées en 1968. Même si elles étaient moins bien définies. Elles continuent de me sembler importantes, même si le vent a tourné et que les jeunes gens d'aujourd'hui semblent manifester pour travailler plus et gagner plus...

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    - La première chanson de «Solitaire», «Le temps de nos guitares», évoque des amitiés artistiques. Vous y évoquez notamment Henri Salvador, à qui l'album est aussi dédié. Qu'a-t-il représenté?

    - Au-delà de l'amitié, de l'admiration que je lui porte, du travail effectué ensemble, Henri a surtout été le plus guitariste de tous les chanteurs que j'énumère. Il me fallait distinguer son talent supplémentaire. Et puis nous partagions un amour pour le Brésil, la sieste, les belles femmes, les bonnes adresses gastronomiques. Nous partagions aussi un immense amour pour les beaux textes, les belles mélodies, et pour toutes les musiques. Pas seulement celles du Brésil, même si cela reste un pays de référence vu sa richesse exceptionnelle.

    - Vous partagez désormais le micro avec Cali ou Delerm, une autre génération de chanteurs.

    - Ce sont des affinités effectives et affectives, musicales, idéologiques, complices, amicales et éminemment artistiques qui nous ont réunis aussi. Mais c'est moi le frère aîné à présent. C'est différent.

    - Avec Cali, vous vous retrouvez sur des valeurs communes, le soutien entre autres à Ségolène Royal aux dernières présidentielles?

    - Oui. C'est venu en plus mais ce n'était pas prépondérant. Reste que le choix d'interpréter «Sans la nommer» a été fait en fonction de nos convictions communes.

    - De la «révolution permanente»?

    - Oui, Mais on peut tout lui faire dire aussi à cette révolution permanente. C'est celle des cœurs, de l'âme, de l'esprit, des idées, d'un pays. Je me souviens avoir chanté cette chanson dans les années 70 au sud de l'Inde, une partie restée un peu francophone. Eux y entendaient une révolution spirituelle. Tout était logique dans cette connotation aussi. Chacun y a puisé une signification différente. C'est ce qui fait sa beauté, je crois.

    - L'un de vos biographes, Cécile Barthélemy, dit que Moustaki «attire ainsi, insensiblement, parce qu'il n'est pas un révolutionnaire violent, ni même avoué, dans son univers». Cela résonne en vous?

    - Il y a des gens qui ne veulent pas le voir car je ne suis pas très éloquent. Mais s'ils regardent ce que j'écris, vis et dis, ils verront que je suis davantage un serviteur de la révolution. Je ne monte pas au créneau systématiquement. La révolution, c'est aussi une jolie femme que l'on a envie d'aimer et d'accompagner. Cette discrétion est aussi l'effet de mes doutes. Je ne suis pas non plus toujours convaincu à mille pour-cent d'une chose pour la clamer. Je la propose, la formule. Mais comprend et y souscrit qui veut. Je suis étonné du crédit que l'on peut donner à des gens pas toujours qualifiés pour être des maîtres à penser. Les écrivains qui m'ont marqué, comme Henri Miller, avaient cette grande liberté d'esprit de se contredire. C'est peut-être d'avoir fréquenté dans la vie et littérairement des gens de cette espèce qui me rend méfiant vis-à-vis de tout ce qui est emphatique et affirmatif.

    Cet article est paru dans le quotidien Le Temps du 7 juin 2008.