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printemps de bourges

  • Episode XXXI: Loïc Lantoine

    Au début des années 2000, dans le sillage des Biolay, Bénabar, Delerm and co est apparu une nouvelle génération d'auteur-compositeur-chanteur très vite rangée sous l’appellation médiatiquement contrôlée "nouvelle chanson française". Cette nouvelle vague vocale s’apprête en 2010 à célébrer ses dix ans d’existence. Retour dans le désordre sur les albums phares (une trentaine) des trentenaires talentueux qui à leur manière décompléxée ont repris le flambeau des Murat, Miossec, Dominique A ou Katerine des années 90 dont l’écriture leur avait ouvert d’autres voies

     

    LantoineCalme.jpgLoïc Lantoine, Tout est calme (Mon Slip, 2006)

    Avec son frère d'âme François Pierron à la contrebasse, Loïc Lantoine a tissé, sur le fil du rasoir, un tour de «po-éthique» à la fois fraternel, corrosif, bourré de tendresse et de coups de sang. Où ses scansions ne sont jamais illustrées par les cordes de Pierron mais plutôt rudoyées. Cet art des contrepoints fervents finissant toujours par dialoguer et signifier un langage à part. Tellement attentivement à l'écoute du souffle de l'autre qu'on ne pouvait imaginer Loïc Lantoine autrement que sous la forme de ce duo alchimique; hydre à deux têtes où chaque lexique amène sa part à l'édifice. Pourtant, après trois ans de scène commune et la publication de la poésie remuante de Badaboum (2003), le tandem a élargi ses horizons musicaux avec Tout est calme.

    Un deuxième album où percussions, guitares, cuivres et hautbois habillent ou déshabillent les vers percutants de ce Lantoine qui a commencé à brailler ou déclamer ses vers dans les bistrots. Sauf que le brouhaha a sans doute poussé la voix de Loïc Lantoine dans les graves. A parler-chanter avec intensité, quitte à développer une raucité proche de celle d'Arno ou Tom Waits. Les textes, sa voix qui en impose et les orchestrations plus étoffées restent heureusement subtilement entremêlés. Le propos n'a de calme que les apparences: les mots sont chevauchés sur le mode du parlé-chanté ou du récitatif pur par le biais d'interludes.

    "Aujourd'hui dans ce grand bordel/J'essaie d'gueuler en souriant/Et de tracer à tire-d'aile/Un dess(e) in qui unit les gens", affirme Lantoine dans "Cosmonaute". Un élan volontariste qui entrecoupe ses coups de gueule, ses désenchantements, ses engagements. Autant d'histoires citoyennes qui débordent toujours de vie, de fraternité, de trahisons et de contestations. Les sarcasmes de Lantoine - sur les chapelles, sur le milieu artistique ou sur la résignation en général - continuent aussi de faire mouche. Ainsi encore de ceux, à hurler de rire, dispensés malignement sur Johnny Hallyday dans "NNY".

    Au-delà du disque, c'est toutefois sur scène que les imprécations de Lantoine, ses mimiques, ses airs de clown (triste ou non), ses railleries et son immense tendresse prennent toute leur (dé)mesure. Parce que cet homme du Nord, protégé d'Allain Leprest, appelle l'émotion en se livrant sans artifice. La générosité non apprêtée de Lantoine, son écriture précipitée-oxygénée, les fulgurances sonores et la théâtralité globale presque naturelle de ses spectacles font mouche. Un moment d'intensité et de vérité rêvées. Lui qui voulait au départ éviter d'être interprète pour se concentrer sur le fond, sur l'écriture, est désormais l'une des voix les plus captivantes de la chanson francophone. Il aura fallu cinq ans, une première partie des Rita Mitsouko un soir à Paris, des tournées avec les bonimenteurs mélancoliques de La Rue Kétanou et Mon Côté Punk ou briller comme découverte au festival du Printemps de Bourges en 2004 pour enfin voir Lantoine s'imposer. Ce disque au verbe vif et tranchant s'appropriant encore au passage les maux de Christian Olivier, âme des Têtes Raides et patron de son label, devrait sonner la fin de l'accalmie.

  • Episode XXVII: Orly Chap'

    Au début des années 2000, dans le sillage des Biolay, Bénabar, Delerm and co est apparu une nouvelle génération d'auteur-compositeur-chanteur très vite rangée sous l’appellation médiatiquement contrôlée "nouvelle chanson française". Cette nouvelle vague vocale s’apprête en 2010 à célébrer ses dix ans d’existence. Retour dans le désordre sur les albums phares (une trentaine) des trentenaires talentueux qui à leur manière décompléxée ont repris le flambeau des Murat, Miossec, Dominique A ou Katerine des années 90 dont l’écriture leur avait ouvert d’autres voies


    OrlyChapBouilledelune.jpgOrly Chap', Bouille de lune (Polydor, 2005)

    A fleur de peau et à bout de voix. De son répertoire incandescent à son timbre fêlé à l'androgynie naturelle – captivant pendant féminin de Bertrand Cantat –, Orly Chap' explore corps et âme des sentiers et sentiments ardents ou fracassés. Repérée au fil de premières parties d'Arno ou des Têtes Raides, consacrée déjà par la profession chansonnière au festival Alors… chante! de Montauban en 2002 après avoir été l'une des découvertes du Printemps de Bourges 2001, ce petit bout de femme hors normes possède l'explosivité d'un volcan en perpétuelle éruption. De concerts en un mini-album autoproduit, la rumeur a enflé autour de cette rockeuse au blues viscéral. L'identité affirmée, affinée aussi, voilà enfin que cette Bretonne d'origine dévoile au grand jour, par l'intermédiaire de la major Universal, Bouille de lune. Un premier album aux charmes séditieux, au rock sous haute tension, aux mots crus, cris stridents, laissant affleurer l'écriture d'un pur sang qui se joue aussi avec délice des conventions de composition.

    Pour sa lune de miel discographique, Orly Chap' signe avec Bouille de lune plutôt une lune de fiel pleine de sève vénéneuse, de climats passionnels. Dans une diction chavirante, elle est capable d'embraser ses chansons en un feulement, en quelques formules, allitérations ou assonances percutantes: "Mon petit vers têtu vêtu d'un léger gilet de laitue/Vers sais-tu que l'envers de ton cœur c'est ton cul/Alors si t'as des vers au cul t'as vermine au cœur/Faut-il te tirer les vers du nez pour te tirer vers moi mon cœur" ("Mon petit vers"). Poésie grossière, au ras des pâquerettes rétorqueront les esprits chagrins. Réponse par un couplet plus rimbaldien: "Nos âmes siamoises mille fois souillées boitent la chamade sans un rabais/J'ai rêvé d'un mauve saule pleureur sous lequel nos âmes s'éveillaient sans peur/Sur une balançoire de violettes en sueur nos peaux à l'alarme du bonheur" ("Désert acte II").

    D'une ode malsaine à Bacchus qui réchauffe sa voix "en lui donnant, l'espace d'une nuit, un avant-goût d'éternité" ("Bacchus") aux brûlures voraces de l'amour-passion ("Bouille de lune", "Comme rien", "J'ai le flegme", "Granola Poupou", "Que te dire de plus"), de proses évasives et légères ("Larme de loup", "Ecchymose d'été") en chansons acérées ("Vide"), Orly Chap' a trouvé un ton aussi détonnant que singulier.

    Musicalement, cet album co-réalisé et arrangé par Julien Ribot notamment (auteur pop de La Métamorphose de Caspar Dix) ose pour ses mélancolies suggérées les télescopages entre rock, blues, jazz et électronique. Cordes amères, crissements des guitares, rythmiques et programmations épileptiques s'entremêlent habilement à la légèreté des vents ou à une acoustique boisée. Entre furie et accalmie, densité rock et ballades aux mélodies déliées, la liberté d'écriture et les collusions de vocabulaire d'Orly Chap' se fraient de captivants chemins de traverse. Couplé à la théâtralité parcimonieuse de la jeune femme et l'étendue nuancée des harmonies, Bouille de lune mérite de briller durablement et, surtout, débarrassé du spectre trompeur de Noir Désir.