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punk

  • Daniel Darc, au bout de la nuit

    Si je me souviens de quelques concerts magistraux et touchants de Daniel Darc, je me rappelle aussi une âme en peine. En souffrance. Comme celle croisée un jour d'hiver à Paris, en 2008, à l'occasion d'un entretien promotionnel pour son album '"Amours suprêmes" qu'il aurait sans doute mieux valu remettre à de meilleurs lendemains (lire ci-dessous).
    Reste que dans ses fêlures et ses fulgurances, Darc semblait bien être un garçon des plus entiers et rock'n'roll. Après avoir perdu l'aile protectrice de Bashung, voilà que ce drôle d'oiseau s'envole à son tour. Crève-coeur que son décès le 28 février 2013, à l'âge de 53 ans.
     
     
     daniel darc,chanson,rock,crève-coeur,punk,elvis,alain bashung,bible,croyant,sex pistols,kerouac"Daniel vivait sa vie comme s'il était le héros de son propre roman. Il a vécu son existence d'artiste à la limite de ses fêlures, de la manière la plus romantique qui soit. On s'habitue à ce que certains êtres flirtent avec la mort, mais cette mort est toujours inacceptable. Je suis bouleversé"
    ETIENNE DAHO, 1er mars 2013, qui avait produit le single "La Ville" de son cher disparu Daniel Darc en 1986.
     
     

    La lapidaire noirceur de Daniel Darc

    Après le bouleversant «Crèvecœur» d'il y a trois ans, l'ex-Taxi Girl signe le sublime «Amours suprêmes», en compagnie encore de son complice musical Frédéric Lo. La mort, l'amour et les remords y rôdent. Rencontre parisienne. (Archive du 11 janvier 2008)

    Paranoïa? La rencontre commence en «off» avec des anecdotes sur son passé de loubard addictif. Daniel Darc veut qu'on taise autant ses démêlés avec des Hell's Angels que ses accrochages scolaires ou ses histoires de jeune anar à Paris! «Avant d'être ce qu'on appelait un punk, j'étais d'abord un petit voyou. Un feu follet qui vivait sa vie de façon rock. Rock'n'roll, c'est un état d'esprit, bien davantage qu'une musique, qu'un simple do-mi-sol.» L'ex-chanteur de Taxi Girl, qui ne parvient toujours pas à se départir de l'ombre du succès fulgurant qu'a été «Chercher le garçon» au début des années 80, laissera toutefois filer plus tard des récits de baston à la chaîne de moto ou d'agressions à la lame de rasoir et de tabassages à la ceinture sans exiger le «off the record».

    Daniel Darc cultive les paradoxes, les contradictions. Au même titre que son écriture chérit les oxymores. Et ce n'est pas Amours suprêmes, son nouvel album comportant un titre tel «La vie est mortelle», qui déroge à la règle. Son existence chaotique, le délitement de Taxi Girl jalonné d'une tentative de suicide sur scène, sa descente aux enfers personnelle avant la rédemption qu'a constituée son bouleversant album Crèvecœur voilà trois ans (récompensé d'une Victoire de la musique), les oscillations perpétuelles entre gouffres et lueurs d'espoir, tout cela se métamorphose encore sous nos yeux. On saisit mieux la noirceur lapidaire d'un survivant qui, en guise d'Amours suprêmes, consigne remords et plaies béantes de l'âme. Alors que le mal-être et le spleen de Darc semblaient apaisés sur Crèvecœur, l'écorché vif nous ressaute à la figure.

    Au fil décousu de l'entretien à la fois surréaliste et touchant, avec de rares éclairs de lucidité et de troublante intimité dévoilée entre absences et digressions récurrentes, on mesure mieux l'ampleur des ravages.

    Le presque quinquagénaire qui a brûlé sa vie sans jamais penser aux lendemains est loin encore d'avoir exorcisé tous ses démons: «Ça ne sert à rien/Bien sûr on peut compter encore/Ça ne sert à rien/Compter le nombre des morts/Ça ne sert à rien/Ça va, ça vient/Viens, prends ma main/Ça ne sert à rien.»

    Celui qui est né Daniel Rozoum, à Paris le 20 mai 1959 mais s'est choisi pour pseudonyme Daniel Darc, parce qu'il goûtait aux doubles initiales et au côté obscur des patronymes artistiques, se laisse difficilement apprivoiser. Origines juives russes côté paternel et mère catholique ont peut-être été un carcan éducationnel qui a forgé son insoumission et sa rébellion futures. On n'en saura rien. Toutes les tentatives de réorienter la discussion sont vaines. Darc est absorbé ailleurs, il dessine sur une feuille, s'excuse d'oublier la question, tente de se reconcentrer. Tout finit presque par un désastre absolu. Comme si les quinze années d'héroïne et d'alcool écoulées dans ses veines, qui lui ont laissé des séquelles physiques, semblaient à ce moment précis lui ôter toute faculté de discernement.

    On sait en revanche que le «King» Presley, Patti Smith, Kerouac, les Sex Pistols, Fitzgerald, Salinger, la Beat Generation, Céline ou Coltrane sont des obsessions adolescentes et durables qui ont catapulté son  entrée en rock et en poésie. Et aussi que son sublime quatrième disque tourne encore autour de l'amour et de la mort, les deux principaux voire seuls thèmes ayant occupé l'écriture chirurgicale, la vie et la mémoire de Daniel Darc depuis la fin des années 70. Avec la Bible ou la chrétienté auxquelles il faisait déjà allusion sur Crèvecœur.

    Au terme d'une heure de bavardage avec cette silhouette arquée arborant un gilet noir zippé serti d'un «100% Dead», une liquette charbon siglée IRA, une ceinture foncée ELVIS, des tatouages imposants et des cheveux gominés, on n'aura pas percé à jour le mystère Daniel Darc. Celui du mythe underground, de l'ange maudit qui ressemble maintenant à ces fantômes, mannequins trépassés dont il chantait, dans une autre vie, la raideur solitaire.

    Sur cette mort qui hante Amours suprêmes et dont il veut croire à la bonne fée en murmurant «J'irai au paradis car c'est en enfer que j'ai passé ma vie», Darc lâchera tout de même - au bord des larmes et en cherchant parfois ses mots: «Elle m'obsède bien sûr. Elle est insidieuse et sa plus grande force est qu'elle arrive à nous faire croire qu'elle n'existe presque pas. Mais ce qui m'obsède surtout, c'est ce qui arrive avant la mort: c'est la diminution physique et intellectuelle qui précède. Cette vieillesse qui déjà m'habite. A partir du moment où tu as besoin de quelqu'un pour chier à l'hôpital par exemple. Quand on me dit «Oh, monsieur Rozoum, y va bien?» «Il a fait sous lui aujourd'hui, mais c'est pas grave!» d'un air condescendant et infantilisant. Tu te dis, putain merde, et t'as envie de te foutre en l'air. Alors que quand t'es chrétien, c'est galère l'idée de se foutre en l'air.» N'allez jamais lui prêcher que «l'amour est plus fort que la mort»! Insulte garantie.

    Cet article avait été publié dans le quotidien suisse Le Temps du 11 janvier 2008