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Episode XXX: Bénabar

Au début des années 2000, dans le sillage des Biolay, Bénabar, Delerm and co est apparu une nouvelle génération d'auteur-compositeur-chanteur très vite rangée sous l’appellation médiatiquement contrôlée "nouvelle chanson française". Cette nouvelle vague vocale s’apprête en 2010 à célébrer ses dix ans d’existence. Retour dans le désordre sur les albums phares (une trentaine) des trentenaires talentueux qui à leur manière décompléxée ont repris le flambeau des Murat, Miossec, Dominique A ou Katerine des années 90 dont l’écriture leur avait ouvert d’autres voies

 

benabarRsiquesdumétier.jpgBénabar, Les risques du métier (Jive, 2003)

L'air de rien, il poursuit son bonhomme de chemin. En prise avec le quotidien, Bénabar slalome entre les histoires de peu qui y affleurent et en révèlent beaucoup sur les psychologies enfouies. Des rapports de force ou de séduction entre hommes et femmes, des exclusions symboliques, des vanités merdiques, des comportements pudiques, des tics énervants, des peurs inavouables ou des cache-misère, Bénabar tire plus que jamais la sève de ses chansons. Les Risques du métier, troisième album en six ans de ce titi au bagout bien cadré, fait simplement et clairement état d'un écheveau de sentiments. D'une patine plus mélancolique que ses deux précédentes cargaisons, lestées de dérision et de chansons-saynètes parfois bravaches ("Bon anniversaire" ou "Y'a une fille qu'habite chez moi"), Les Risques du métier rassemble douze nouvelles à l'écoute desquelles on rit moins.

Bénabar, passé maître des basculements entre rires et larmes, traqueur des infimes contradictions du quotidien, se montre paradoxalement moins anxieux qu'au moment de son album éponyme et révélation de 2002. Surmontant allégrement l'écueil de la redite, bridant les échappées des cuivres de sa fanfare autrefois très joyeuse, Bénabar n'abuse pas non plus de l'exubérance théâtrale qui a fait le sel de ses prestations scéniques. Mais n'en oublie pas, fidèle aux principes d'écriture acquis dans les arcanes cinématographiques et cathodiques, de peaufiner l'éclairage de ses chansons. De partir sur un détail avant d'élargir la focale, de faire un arrêt sur image sur des seconds rôles ou des éléments de décor révélateurs.

L'auteur et compositeur parisien, musicien autodidacte qui abhorre la monotonie et les manies routinières, explore ici scrupuleusement le versant sombre d'un univers thématique en équilibre précaire. Onze des douze titres de sa nouvelle livraison affichent une uniformité désabusée. A l'exception de l'épilogue boiteux endossé par "Le zoo de Vincennes", narrant la détresse d'un rhinocéros – "chanson exogène" selon les dires de Bénabar» – l'album glisse sur des coussins chagrins. Tout au long de "Monospace", Bénabar chante de sa voix tabagique que "ce n'est qu'une petite chanson d'amour de plus", ne s'imaginant pas du tout dans le rôle de chef de famille. Il décline les responsabilités inhérentes à la paternité, évoque les compromis qu'il ne ferait même pas auprès d'"un concentré de femme idéale". "Dis-lui oui" est une supplique à une amie pour qu'elle se rabiboche avec son ex et distille subtilement les rebondissements sur des airs de music-hall légers.

Ode à l'oisiveté, «Paresseuse» s'égrène sur des rythmes forcément indolents. "Je suis de celles", apothéose du disque, d'une veine que Brel n'aurait pas reniée, s'attelle à la mécanique de l'exclusion à travers des jeux cruels d'adolescents. Avec un simple piano comme oripeaux, la chanson pleure une sublime tristesse. Chronique qui reflète les préoccupations d'un autre âge, "La coquette" est taillée dans le même bois sobre et éblouissant. Alors que "Monsieur René" lève le voile sur d'autres facettes de la vieillesse, doublé cette fois d'une attendrissante mélodie. Heureusement, l'autopsie d'un "Sac à main", la célébration de l'amitié qu'évoque "L'itinéraire" et "La station Mir" détendent un peu l'atmosphère cafardeuse.

Bénabar varie ici les microclimats régnant sur ses chansons, sans trop opter pour les effets clinquants. Agrémentant juste ses proses fines d'arrangement de cordes, d'un zeste d'accordéon propre au genre populaire et de sons d'orgue, Bénabar renouvelle en douceur son répertoire. Si le succès n'a pas poussé cet humble chansonnier à forcer les traits musicalement, il n'a pas davantage dérogé à la simplicité racée de son écriture. De laquelle jeux de mots faciles et rimes polies sont bannis au profit d'une soigneuse construction à contre-courant de la narration.

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