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L'incongruité de 2010

 

Katerine, vices et vertuskaterine_album-66b0f.jpg

Le Français revient avec un disque barré, où il cultive l’absurde jusqu’à la déraison. A la fois jouissif et urticant

Depuis au moins «Poulet N° 728120», vie et mort furtives d’une volaille bien avant la peur panique de grippe aviaire, on sait que Katerine n’a jamais craint le grotesque. Le chanteur a toujours su cultiver comme peu sa folie et sa créativité, explorer des territoires aussi inattendus que saugrenus. Et surtout, Katerine sait jouir sans complexe des futilités de l’existence. Comme l’ont prouvé ses moqueries de VIP ou son délire paranoïaque autour d’une blonde qui s’avérait être Marine Le Pen. Avec Philippe Katerine, le Vendéen franchit un cap supplémentaire dans la mise en scène des insignifiances en taillant ses textes et ­slogans jusqu’à l’os, voire en préférant l’onomatopée au verbe, dans des morceaux toqués.

Un minimum syndical assez décapant, découpé en 26 saynètes où il loue à nouveau les vertus de l’oisiveté avec ce «Non, je ne voudrais plus jamais travailler/Plutôt crever» («La Banane») ou débite l’alphabet après avoir jadis déjà énuméré des chiffres sans queue ni tête. On rit ici fréquemment, partagé entre l’envie de crier au génie ou de hurler à l’escroquerie. En Facteur Cheval facétieux de la chanson francophone, et à mille lieues de ses stéréotypes et joliesses, Katerine a souvent chéri les répétitions, les agencements et formules improbables. Cette fois, il en abuse jusqu’à l’extrême. ­Remettant en question un brin vulgairement la sainte trinité tricolore «Liberté, égalité, fraternité» ou réitérant le coup de son fameux «Je vous emmerde» par «Bonjour, je suis la reine d’Angleterre et je vous chie à la raie». Pour trousser ses morceaux de peu, il va jusqu’à s’appuyer sur la simple signature phonique de Windows XP, sur son prénom, une moustache ou des bisous.

Scatologie, exhibitionnisme, travestissement, schizophrénie, frivolité, dadaïsme, absurdité, grossièreté, rien n’effraie Katerine. Les tabous n’ont pas cours dans ce septième album studio qui rappelle les collages démoniaques découverts au fil de Doublez votre mémoire (Denoël, 2007), journal graphique en forme de carnet de bord de sa délirante tournée ­Robots après tout. Evidemment, dans ses jeux de rôle où il fait chanter ses parents alors qu’il leur déclare vouloir tourner un film «avec une femme nue et des handicapés», Katerine se moque autant de lui que des autres. L’historique désinvolture pop et ludique de Katerine depuis dix-huit ans vire ici à l’aberration quasi permanente, d’où n’émergent que de rares plages ressemblant à des chansons conventionnelles.

Manière d’art brut musical, ­Philippe Katerine ne laisse en revanche jamais entrevoir directement de profondeur de champ derrière ses extravagances: hormis peut-être sur «Juifs arabes». A l’inverse de Robots après tout où se nichait davantage de sens derrière la forme et les formules anecdotiques. Mais peut-être que sans ­jamais censurer ce qui lui passe par la tête, Katerine s’est-il juste fait le miroir de la vacuité contemporaine. Génie ou escroc? La réponse se trouverait-elle dans «Morts-vivants» et sa litanie d’un panthéon artistique: Duchamp, Picasso, Henri Michaux, Tarantino, ­Lennon, Daft Punk, Satie, Jean Eustache, etc.?

L'album Philippe Katerine (Barclay) est paru en septembre 2010

Cet article est paru dans le Quotidien Le Temps le 25 septembre 2010

Commentaires

  • Encore un autre qui a fait un tube avant de se noyer dans la mer de l’oubli musical. Je pensais qu’il allait percer dans son univers. Dommage. Très bon blog en passant.

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