Allez, joignons-nous au concert funèbre et enterrons-là une fois pour toute...
Bye Margaret Thatcher, bye bye Miss Maggie qui, du côté frenchie de la Manche, aura au moins inspiré un Renaud -bien qu'en méforme - quand au Royaume-Uni elle aura été plus de dix ans durant la meilleure muse-ennemie du rock!
«Y’a pas de gonzesse hooligan, imbécile et meurtrière
Y’en a pas même en Grande-Bretagne, à part bien sûr Madame Thatcher.»
Renaud, "Miss Maggie" (1986)
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Les veloutés chaloupés de Wayne Paul
Wayne Paul, Between The Lines (Absinthe Music)
Une renaissance. Sans exagération, le retour de Wayne Paul en est une. Au terme d'une longue descente aux enfers parsemée de son propre aveu d'alcool et de drogue, de séjours en prison et de cure de désintoxication, l'Anglais retrouve toute l'intensité de son souffle sur un nouvel album baptisé Between The Lines*. Entre âpreté et légèreté proche de l'immatérialité, le timbre de ce Wayne Paul qui avait fait les beaux jours du label Big Dada au milieu des années 90 n'a rien perdu de sa grâce.
Sur un fond de dub et d'electro, de jazz et de hip-hop, de climats excessivement moites imaginés par le sorcier helvète Christophe Calpini (Mobile in Motion, Stade, Alain Bashung, Dog Almond, etc), l'artiste aux origines jamaïcaines bercé précocement par Gregory Isaacs, Dennis Brown, John Holt, Marvin Gaye, le répertoire de la Motown ou la mouvance liée à l'énigmatique Jah Shaka -prince des basses écrasantes, sirènes et chambres d'écho - a retrouvé toutes ses marques. Et distille comme sur un nuage ses veloutés chaloupés.
Au travers de chants volontiers altruistes, humanistes, où il appelle notamment les professeurs à protéger nos enfants car ils sont l'avenir et évoque la nécessité de se souvenir de ses racines pour retrouver la force de vivre, Wayne Paul fait planer toute sa sorcellerie vocale sur quatorze titres syncopés. Il profite aussi de convier à ses retrouvailles God’s Gift, l'un des meilleurs maîtres de cérémonie du courant «grime», le temps de trois morceaux d'anthologie.
Malgré quinze ans d'errances, de vie dissolue, Wayne Paul est ainsi resté le joyau vocal éclatant révélé au fil de Take the Train (Sound of Money/Big Dada, 1994). Celui aussi qu'on croisa, convalescent pourtant mais déjà diablement envoûtant, sur l'album Tactile de Stade (projet en forme de work in progress de Christophe Calpini et Pierre Audétat), aux côtés de Roots Manuva sur disque et en tournée pour Revolution 5 ou encore en fulgurant invité de marque de In Dog we Trust de Dog Almond. Déjà, la pureté et la puissance évocatrice des vocalises de Wayne Paul ne pouvaient laisser de marbre. Il en va de même aujourd'hui au fil de cet organique Between The Lines. Admirable, profond et captivant de bout en bout, c'est une petite merveille hantée.
*Ce texte est celui de la présentation de l'album qu'ai rédigé pour le label suisse Absinthe Music
Wayne Paul est en concert au Cully Jazz Festival (CH) le sa 13 avril 2013
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Mars 2013 (I)
Dans la profusion des sorties mensuelles, ne retenons que quelques chansons...
BabX, Drones personnels (Wagram Music/Cinq 7)
En 2006, dans un premier album épicurien et enchanteur, BabX télescopait savamment son melting-pot d’influences: Ferré, Coltrane, Nougaro, NTM, musiques du monde et BO de films. Trois ans après, on devinait à nouveau ces penchants dans un Cristal Ballroom à la fois fiévreux et mystérieux, et d’une impressionnante richesse instrumentale. Ses dons d’atmosphériste délétère y opéraient à merveille, façon fin de siècle ou plutôt d'empire. Tandis que ses culbutes littéraires, ses entrechocs de sons et de sens étaient chéris au fil d’un ballet de chansons voltigeuses ou juste intimistes sous la seule influence d'un piano.
Aujourd'hui chez BabX, mots et musique continuent d'élégamment déboussoler dans des optiques plus pop. Mais le chanteur français a choisi d'injecter dans Drones personnels une dimension rétro-futuriste poétique et mécanique. Un imaginaire où se côtoieraient à la fois Jules Vernes et Georges Méliès ; même si BabX ressuscite Jonathan Swift (« Dans mon Gulliver »). Les hommes et les machines, l'émotion et la froideur, le rêve et la réalité, l'ombre et la lumière, la raison et la folie, l'amour et ses tourments entre piano électro-mécanique (chamberlin) et synthés, boîtes à rythmes et machines, acoustique et électronique. Ce troisième album joue sur ces dualités tout en mettant la voix chaleureuse de BabX au centre des ébats musicaux. Les partitions sont ici volontiers brumeuses, synthétiques, parasitées, éthérées ou machiniques ; une dernière optique renforcée parfois par des répétitions lexicales ou des mots martelés (« Despote paranoïa »).
Au sein de cet univers étrangement enchanteur, le collaborateur de Camélia Jordana ou L dévoile ses parts d'ombre, sublime ou entérine les femmes, évoque le manque ou l'absence. « Suzanne aux yeux noirs » réveille sa chère défunte grand-mère quand « Tchador Woman » parle de Manal Al Sharif, icône de la révolte féminine en Arabie Saoudite et « Naomie aime » tacle gentiment la top model starisée avide de diamants. Un large spectre de femmes qu'incarne aussi à sa manière fatale une Camelia Jordana venue faire écho au fiel d'un amoureux éconduit sur « Je ne t'ai jamais aimé » (« Et s'il arriva que je fus fou de toi/Ton souvenir n'est plus qu'un souvenir de plus »). Passion et manque s'entremêlent au fil de « 2012 », le gainsbourien « Les Noyés » ou « Helsinki » dans des courses-poursuite aux airs chimériques. Comme si finalement d'ailleurs Drones personnels n'était que recherche du temps perdu.
Babx feat. Camelia Jordana en Deezer Session... par deezer