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The Kills, de rage et de sang froid

Cinquième album d’Alison Mosshart et Jamie Hince, tandem glamour qui cultive son ambivalence rock depuis le début du siècle, «Ash & Ice» (Domino) préfère les tensions à l’incandescence.

(Photo: Domino Records/Kenneth Cappello)

Ash & Ice. Sans doute le titre correspondant le mieux à The Kills, tandem mixte dont l’ambivalence et les atmosphères bipolaires ont rythmé la discographie depuis le furieux Keep on your Mean Side en 2003 qui les voyait jeter en vrac leurs amours du Velvet Underground, de Suicide, Captain Beefheart, Sonic Youth ou PJ Harvey. Janus rock composé de l’Américaine Alison Mosshart et de l’Anglais Jamie Hince, cette hydre à deux têtes pensantes et chantantes avait su réunir flamboyance et froideur dans un même souffle où se télescopaient blues, garage rock et punk.

 

Revues de mode et tabloïds

 

En plein retour en grâce d’un rock’n’roll brut aux sonorités crasses porté par The White Stripes ou The Strokes au début de ce siècle musical pas si neuf, cette entrée en matière bricolée avec une guitare et une boîte à rythmes s’annonçait prometteuse. Avant que The Kills n’oscille entre réussites (No Wow, avec du recul et en oubliant PJ Harvey) et ratés (le discoïde Midnight Boom) tout en s’incrustant autant dans le papier glacé des revues de mode que les tabloïds (l’union en voie de désintégration de Jamie Hince avec Kate Moss).

 

 

Cinquième album du duo fusionnel le plus glamour de ces treize dernières années, cet Ash & Ice conçu entre une villa de Los Angeles et un bunker à New York contient tous les atours d’une mue réussie. Les Kills y refondent leur résistant alliage de soufre et d’oxygène et parviennent à un savant point d’équilibre chimique, en privilégiant paradoxalement davantage les morceaux sous tension et les ballades lancinantes que les titres incandescents. L’effusion des sentiments et les peines de cœur ont relégué au second plan les coups d’éclat impulsifs, injectant au répertoire une rage contenue et une vulnérabilité bienvenues. Sans artifices trop prononcés, la paire fait ainsi oublier le brouillon Blood Pressures (2011) malgré ses transpositions scéniques compensatoires sulfureuses.

 

Climats sombres

 

La formule à la fois fiévreuse et enivrante qui a contribué au succès des Kills, alternant fulgurance et accalmie, distorsion et minimalisme, s’en voit bonifiée parce qu’elle s’avère plus personnelle. Parfois intimiste («That Love» déclaré au piano, «Echo Home» susurré à deux voix, «Let it Drop» magnétique) et écorché même («Hard Habit to Break», «Days of Why and How»), Ash & Ice ne se contente plus d’amalgames de guitares mordantes, de boucles minimalistes, de basses vibrantes et de percussions métronomiques. Alison Mosshart et Jamie Hince conduisent leurs chansons respectives en décélérant plutôt que pied au plancher et par freinages brusques. Ils optent pour un itinéraire clair, activent des climats toujours sombres et obsédants mais dotés d’un plus vaste nuancier.

 

 

Les titres plus enlevés et tumultueux gagnent aussi en profondeur, à l’image de «Doing it to Death», «Heart of a Dog» ou «Whirling Eye» dont les contretemps rythmiques orageux se parent d’éclaircies mélodiques. En treize chansons sinueuses, le rock des Kills retrouve un peu du venin et de l’éclat perdus en chemin dans des riffs saturés et une surproduction manichéenne. Même en peine, il s’agit bien d’une âme que révèle à nouveau cet alchimique Ash & Ice coproduit avec John O’Mahony (LCD Soundsystem, The Strokes).

 

 

Cet article a aussi été publié dans le quotidien suisse Le Temps du 4 juin 2016.

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