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Le Montreux Jazz exhibe ses trésors

Au fil d’un beau livre-somme, «50 Summers of Music», le festival helvétique qui fête son jubilé du 30 juin au 16 juillet déroule sa riche histoire en 175 archives photographiques et soixante témoignages originaux.

 

Image: Couverture du livre/Dizzy Gillespie en 1975 au Montreux Palace (montreuxjazzfestival.com/Giuseppe Pino)

 

Un Dizzy Gillespie couché par terre dont la chemise à motifs floraux se confond avec la moquette du Montreux Palace puis surpris en pleine partie de cartes avec Zoot Sims durant l’été 1975, un David Bowie saisi spatules à l’arrêt sur une piste de ski un hiver 1990, un Leonard Cohen qui fait le poirier dans sa chambre d’hôtel en juillet 1976 ou le producteur Norman Granz tendant un sac rempli de dollars à Oscar Peterson et Roy Eldridge. Tels sont quelques-uns des 175 trésors photographiques captés sur scène comme en coulisse révélés par 50 Summers of Music, le beau livre publié à l’occasion du demi-siècle du Montreux Jazz Festival qui sera célébré du 1er au 16 juillet.

 

L’ouvrage choisit aussi de marquer ce jubilé par l’écrit, à travers soixante témoignages originaux de figures emblématiques, affirmant leur attachement à l’événement ou livrant leur vision de la musique définie comme un continuum décloisonné: de Quincy Jones à Wyclef Jean via Barbara Hendricks, Herbie Hancock, Carlos Santana, Gilberto Gil ou les insubmersibles Deep Purple dont le Smoke on the Water écrit sur une nappe a permis d’épingler définitivement ce lacustre Montreux sur la mappemonde. Les textes du journaliste Arnaud Robert, collaborateur du Temps, épaulé par Salomé Kiner, se glissent ici habilement entre les cinq périodes photographiques déclinées pour faire affluer les souvenirs reconnaissants des artistes, où convergent souvent la statue messianique de Miles Davis et les figures mythiques de Nina Simone et B.B. King.

 

Autant de voix et musiciens pionniers dont l’aura hante autant les coulisses du Montreux Jazz que l’esprit de leurs successeurs sur scène, poussés à s’y surpasser malgré une tétanisation avouée (Prince, Bowie, Kraftwerk, Lenny Kravitz, Sting, Matthieu Chedid, Stephan Eicher ou l’effronté Benjamin Booker récompensant d’un doigt d’honneur le public qui l’ignore). Les monstres sacrés ont aussi leurs frasques, à l’image d’un Miles raflant toutes les montres d’un sponsor d’une édition et lésant son camarade de jeu, le batteur Jack DeJohnette.

 

50 summers of music, Montreux Jazz Festival, Editions Textuel

 

 

Folie visionnaire

 

Au fil des savoureux récits de 50 Summers of Music, le poids des figures tutélaires du jazz, du blues, du rock ou de la pop peut ainsi s’alléger grâce à une somme d’anecdotes (in) vraisemblables: les chocolats offerts à Aretha Franklin pour la convaincre de revenir chanter à Montreux ou cette divine diva excentrique de Grace Jones, flûte de champagne à la main, dont on fait retarder l’avion de retour pour la retenir plus longtemps. Des actes en forme de petites attentions ou de coups d’éclat qu’on doit à évidemment à Claude Nobs, défunt fondateur du festival en 1967.

 

La force de persuasion, le panache, la visionnaire folie, l’entregent fédérateur de cet épicurien reviennent à la bouche de chaque témoin. Artistes comme collaborateurs du Montreux Jazz (son successeur Mathieu Jaton, la fidèle Jaquelyne Ledent-Vilain) ou compagnons de route (son partenaire Thierry Amsallem, l’ami Pierre Keller, le cuisinier Frédy Girardet mitonnant en urgence des rognons à Quincy et des cèpes à Bowie) évoquent ce «Zébulon» aussi exigeant qu’accueillant. Un «Funky Claude» qui a permis de transfigurer chaque été une paisible cité vaudoise en Panthéon agité des musiques noires américaines d’abord, puis d’une sono mondiale sans frontières esthétiques, juste en osant traverser l’océan pour frapper à la porte des patrons du label Atlantic (John Coltrane, Ray Charles).

 

Sans cette association de bienfaiteurs du jazz alliée à sa fièvre collectionneuse, sans ce précoce syndrome de Diogème joliment évoqué en épilogue de 50 Summers of music l’ayant vu entasser tout ce qui touche de près ou de loin le Montreux Jazz, nulle mémoire collective et encore moins d’ouvrage de ce type. La petite et grande histoire entremêlée ici rappelle l’exceptionnel rayonnement du festival lémanique et constitue une précieuse archive supplémentaire à verser à son déjà colossal corpus patrimonial audiovisuel, inscrit à l’Unesco.

«50 summers of music» (Ed Montreux Jazz Festival/Textuel, 400 p.) 

Cet article a aussi été publié dans le quotidien suisse Le Temps du 11 juin 2016 

 

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