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  • Episode XXXIII: Renaud Papillon Paravel

    Au début des années 2000, dans le sillage des Biolay, Bénabar, Delerm and co est apparu une nouvelle génération d'auteur-compositeur-chanteur très vite rangée sous l’appellation médiatiquement contrôlée "nouvelle chanson française". Cette nouvelle vague vocale célèbre en 2010 ses dix ans d’existence. Retour dans le désordre sur les albums phares (une trentaine) des trentenaires talentueux qui à leur manière décompléxée ont repris le flambeau des Murat, Miossec, Dominique A ou Katerine des années 90 dont l’écriture leur avait ouvert d’autres voies...

    Renaud Papillon Paravel, Subliminable (Impala-RCA, 2004)

    PapillonParavel.jpgLa chanson comme hygiène de l'esprit. Une prose parfois détraquée mais saine à entendre, des mélodies évidentes, un art du désenchantement détaché niché dans un perpétuel flux et reflux sonore qui brasse les styles avec élégance. Renaud Papillon Paravel fait plus que jamais figure d'ovni jouissif dans le paysage musical francophone. Au fil de ses miniatures parlées-chantées, il porte aux nues sa roborative et agile science du collage. Tant lexicale que musicale, avec des mélopées orientales, du jazz, du funk, du reggae, du classique, du hip-hop ou de l'électronique. Une pratique butinée qui avait émergé sans crier gare deux ans plus tôt dans La Surface de réparation. Un disque en forme de hors-d'œuvre porté par "J'aime tonku", chanson aussi salace que délicieuse, sorte de "J'veux du cuir" de Souchon en plus explicite et drôle. Ce premier album autoproduit, bourré de références aussi évidentes que piquées à d'autres et intelligemment détournées, était justement sous-titré Original Motion Picture Soundtrack of My Bizarre Life.

    A la fois cru, baroque et organique, l'exercice de style décomplexé de cet ex-graphiste et photographe indépendant trouve un double prolongement désinvolte avec Subliminable. Objet facilement identifiable à ses chansons-fleuves, belles-bizarres et grinçantes, qui scotchent cette fois sur deux faces. Vingt titres explorant la psyché d'un Renaud Papillon qui semble toujours écrire comme ça lui vient. En alternant âneries futées, autodérision et fulgurances poétiques. Dans un langage à la fois simple et fleuri, ces allégories de vies minables ou fantastiques multiplient aussi les jeux de mots et les airs reposants avec une sidérante aisance. "Malgré l'euro j'aurai toujours des blagues à deux francs", peut-on entendre sur l'attachante chanson douce-amère "Mon petit élément" qui pourrait faire figure de slogan à cet inspiré bricoleur du dimanche.

    En persifleur impénitent, conteur hors pair ou griot d'un autre temps, Renaud Papillon Paravel évolue au rythme de son amertume feinte. Feinte et décalée, tellement l'environnement qu'il se plaît à décrire ne semble que l'effleurer, glisser sur sa peau d'ours mal léché, effronté. Dans la peau d'un acteur porno de campagne, en pourfendeur subtil de l'hypocrisie du business musical, en père sensible ou en homme sans illusions, en contemplatif béat ou misanthrope, ce Toulousain exilé au bord de la Méditerranée dépose sans complexe les histoires les plus improbables. En vers ou en prose, envers et contre toute logique couplet-refrain surtout, l'autodidacte auteur a imaginé ses chansons comme il créait jadis des pochettes de disque ou des affiches de concert. Il fusionne des éléments disparates, sample à tout va, copie-colle des mots façon Bashung, récite hypnotiquement à la manière de Rodolphe Burger ou Arthur H. Mais assemble tout de même avec un souci d'harmonie et de fraîcheur ses couleurs sonores et rythmiques. Regardant sur la profondeur de champ de ses chansons en forme de mini-fictions scénarisées avec une précision chirurgicale. Entre electro licencieuse, tempos sensuels, bande-son panoramique et ambiances étouffantes, Renaud Papillon brosse des climats successivement incarnés et décharnés. Auxquels sa voix claire ou rêche, donnant moins souvent dans les talk-over gainsbouriens qu'à l'intérieur de La Surface de réparation, apporte toute une gamme de nuances.

    A côté d'une facette très abrupte, Renaud Papillon cultive aussi admirablement bien l'absurde et le burlesque. Sur «Le chanteur bien cuit», il se rit avec finesse de ses ennemis jurés de la variété avariée: "Pour une fois que j'ai un refrain trop classe, quelques vers nazes, le tout glissant comme du beurre, que tout le monde connaîtra vite par cœur, un truc tout creux sans âme, avec ça je dépasse Jean-Jacques Goldman […] Pour une fois que j'ai une mélodie qui va plaire, c'est comme si j'étais déjà l'ami de Drucker […] Je ramasse le blé et marque l'avoine, ah! ah! ah!, assez facile je sais mais on fait que passer, on lâche nos caisses de chansons nazes et on se casse." Dans le même temps, ludique, il ne recule devant aucune facilité, en repiquant ailleurs et pour un refrain de fin: "Mais au bout du compte, on se rend compte, qu'on est toujours tout seul au monde." L'habileté du Papillon, ne jamais se la péter.

     (L'article dont est principalement extrait ce texte est consultable sur le site du Quotidien suisse "Le Temps")

  • Episode XVIII: Pierre Lapointe

    Au début des années 2000, dans le sillage des Biolay, Bénabar, Delerm and co est apparu une nouvelle génération d'auteur-compositeur-chanteur très vite rangée sous l’appellation médiatiquement contrôlée "nouvelle chanson française". Cette nouvelle vague vocale s’apprête en 2010 à célébrer ses dix ans d’existence. Retour dans le désordre sur les albums phares (une trentaine) des trentenaires talentueux qui à leur manière décompléxée ont repris le flambeau des Murat, Miossec, Dominique A ou Katerine des années 90 dont l’écriture leur avait ouvert d’autres voies

     

    Lapointe.jpgPierre Lapointe, Pierre Lapointe (Audiogram, 2005)

    "Dites-moi que vous m'aimez, que je suis le plus beau et le meilleur. Autrement, je vous crache au visage et je quitte cette scène." La réplique arrogante a contribué à révéler l'une des plumes les plus raffinées de la nouvelle vague québécoise. On pouvait l'entendre dans les premiers tours de chant de Pierre Lapointe, dandy épris des sixties et des seventies pop découvert de ce côté-ci de la francophonie au crépuscule de l'an 2000. Et qui, comble de l'ironie, n'avait jamais spécialement songé à chanter, attiré plutôt par l'acte de création pur mais dans le domaine des arts visuels. En scène, pieds nus et attitude précieuse, son rôle de roitelet imbu de lui-même lui a pourtant ouvert les portes de son nouveau paradis terrestre. La posture frisant l'imposture de cet auteur-compositeur et interprète, âgé alors de tout juste 20 ans, n'était destinée en fait qu'à planquer une maladive timidité: "Pour l'atténuer, j'étais obligé de créer ce personnage. Et puis j'avais suivi des cours de théâtre jusque-là surtout. Cela me permettait aussi d'aller chercher les gens par le rire pour les emmener vers mes chansons inconnues."

    Au Québec, où faire rire les spectateurs entre les chansons semble plus important qu'en Europe, le répertoire trempé de surréalisme et de souvenirs nostalgiques qu'échafaude Pierre Lapointe fait rapidement mouche. L'univers fin que forment ses couplets littéraires et maniérés charriant une certaine désuétude de plume recueille une moisson de prix dans différents festivals québécois. Adoubement général passant par le capital Festival international de la chanson de Granby en 2001, là où ont été récompensés par le passé Jean Leloup et d'autres talents.

    Artiste réellement moderne, touche-à-tout citant alors Fantaisie militaire de Bashung et Les Palaces de Brigitte Fontaine comme albums lui ayant donné envie d'écrire, Barbara et Gainsbourg comme chocs musicaux de sa prime adolescence et Charlebois comme Dufresne pour le volet canadien, le premier album éponyme de Pierre Lapointe est paru en mai 2004 au Québec. Il s'y est écoulé à plus de 50 000 exemplaires et a valu au jeune homme le fameux Prix Felix-Leclerc des jeunes talents. Avant de gagner la France plus discrètement l'année suivante. Les chansons de Lapointe, "Le Columbarium" ou "La Reine Emilie", ont servi de tapis sonore à un spectacle de Diane Dufresne; le romantisme classique, entre cordes, piano et percussions frottées, qui enveloppent l'absurde "Octogénaires" évoquant de vieux nymphomanes kidnappant sa mère, s'instille vite dans le cortex. Charme et limpidité mélodique sont aussi omniprésents sur des titres narrant une "Reine Emilie" hermaphrodite ou au fil du poignant et beau "Tel un seul homme" axé sur la solitude et la mort: "Cette mère marie, mère chimère de patrie/Celle qui viendra nous arracher la vie, celle qui comme l'enfant nous tend la main pour mieux tordre le cou du destin."

    Lapointe a l'élégance anachronique de l'âge d'or chansonnier. A son entrée en chanson, il s'est ainsi vu qualifier de chanteur à textes. Il continue de renier vigoureusement aujourd'hui ce malentendu: "Excepté ma théâtralité, je ne vois pas l'affiliation." Et il a raison. Il serait plutôt du côté de Gainsbourg que de Brel, de la famille des Benjamin Biolay ou Albin de la Simone actuels que de Bénabar ou Delerm. Elevé à Gatineau, dans l'Outaouais québécois, ce Lapointe-là apprécie aussi les spectacles conceptuels: Petites chansons laides, Dans la forêt des Mal-Aimés (concert avec un ensemble de musique contemporaine qui inspirera son album suivant) et Pépiphonique aujourd'hui.

    En phagocytant les esthétiques, en expérimentant sans cesse, il se voit "comme un punk faisant de la peinture". L'abstraction, le côté sensoriel, phonétique et rythmique des mots priment pour Pierre Lapointe, qui pense «mieux savoir expérimenter sur scène que sur disque». Il travaille d'ailleurs avec un collectif de photographes et de sculpteurs pour des visuels scéniques et chérit plus que tout les télescopages musicaux entre avant-garde et pop. Autant de fusions qui filteront sur les deux albums suivants de ce dandy pop.

    (Les citations de Pierre Lapointe sont extraites d'un papier personnel paru dans le quotidien "Le Temps" du 6 août 2005)

  • Episode XIV: Joseph d'Anvers

    Au début des années 2000, dans le sillage des Biolay, Bénabar, Delerm and co est apparu une nouvelle génération d'auteur-compositeur-chanteur très vite rangée sous l’appellation médiatiquement contrôlée "nouvelle chanson française". Cette nouvelle vague vocale s’apprête en 2010 à célébrer ses dix ans d’existence. Retour dans le désordre sur les albums phares (une trentaine) des trentenaires talentueux qui à leur manière décompléxée ont repris le flambeau des Murat, Miossec, Dominique A ou Katerine des années 90 dont l’écriture leur avait ouvert d’autres voies

     

     

    D'AnversChosesEnFace.jpgJoseph d'Anvers, Les Choses en face (Atmosphériques, 2006)

    "Le jour se lève sur vos vies, un peu plus usées aujourd'hui". Et pourtant... la vie de Joseph d'Anvers se trouve assurément à l'aube d'un jour nouveau. Même si d'autres rimes-déprimes du jeune homme originaire de Nevers, dans cette Nièvre tout sauf mièvre, peuvent susciter d'aigus malentendus: «La vie est une putain qui nous prend par la main/La vie est une putain qui n'attend pas demain». Après bien des doutes et dévers, il n'a pourtant jamais renoncé. Et le premier corpus de quatorze chansons que dévoile Les Choses en face ne broie pas que des idées noires. Au détour des maux à vif, des «matins blêmes» et des émois nocturnes surviennent aussi lueurs d'espoir et petits enchantements.

    Le rock sombre engendre une pop aux mélodies sautillantes; cordes et cuivres nuancent les zones obscures pour chasser en catimini les airs chagrins et de subtils éclairages rythmiques déglacent en contrechamps les pesantes atmosphères. Joseph d'Anvers, en auteur-compositeur-interprète aussi accompli que malin, sait juxtaposer les dualités, déjouer les pièges de l'uniformité sonore. En funambule sur le fil de ses démons intérieurs (amour-absence-solitude), en chroniqueur réaliste de la grisaille qui environne son périmètre parisien, il débrouille les nœuds de ses mélancolies enfouies. Convictions et talent parachèvent cette première œuvre aux clairs-obscurs captivants. En exil parisien, le chanteur de 29 ans se profile comme l'un des voix à suivre au sein de la nouvelle scène.

    Le cheminement aura été long pourtant avant que Joseph d'Anvers puisse enfin entrevoir l'endroit d'un état d'esprit laminé. Quelques années d'errance à la lisière de Pigalle et Barbès, quand les nuits sont toujours plus belles que les jours. De nombreux détours dans les bars aussi, de concerts en bouts de comptoirs. Avant que tour à tour les conseils de Daniel Darc, le Fair (Fonds d'action et d'initiative rock qui a soutenu IAM, M, Katerine, Louise Attaque, Alexis HK ou Dionysos) et la compilation CQFD 2005 des Inrocks remettent d'Anvers d'aplomb.

    De ce passé affecté, le chanteur a extirpé des couplets-refrains sans faille. Même si l'obsession des rimes parfaites finit parfois par alourdir les chansons. Au cœur de ces Choses en face, touchantes de sentiments peinés autant que de peines pas tout à fait cicatrisées et d'illusions retrouvées, cet ancien chef-opérateur aspiré par le désir de chansons prend aussi une belle revanche sur une première destinée hasardeuse. Du cinéma à la chanson, il n'y avait qu'un pas. Fait sans faux pas ni imposture, son répertoire s'aère et trouve quelques béquilles à son désarroi. A l'instar de Bénabar et d'autres passionnés du septième art qui ont trouvé dans les versifications scénarisées un joli décor pour une vie chantée rêvée, d'Anvers séquence son film existentiel.

    Sans ironie toutefois, sans accents balloche ou musette, Les Choses en face s'appuie plutôt sur des compositions aux teintes pop, rock et folk anglo-américaine. Avec quelques touches de cordes dont le lyrisme pesé souligne les traits d'amertume du vocabulaire. Recueil d'écueils instantanés, ces chansons du fond du cœur surgissent sans faux-semblants: "A Contretemps", "On reste seuls au monde", "Les Trêves", "La Brèche", "Les Cicatrices". Ailleurs, Joseph d'Anvers observe le triste cirque du monde: "La Valse des gens", "Pigalle" ou le magnifique "La Vie est une putain", dont le refrain dédoublé par la voix charbon ou criarde de Miossec constitue l'un des climax de ce disque-mise au point.

  • Episode XI: Arman Méliès

     

    Au début des années 2000, dans le sillage des Biolay, Bénabar, Delerm and co est apparu une nouvelle génération d'auteur-compositeur-chanteur très vite rangée sous l’appellation médiatiquement contrôlée "nouvelle chanson française". Cette nouvelle vague vocale s’apprête en 2010 à célébrer ses dix ans d’existence. Retour dans le désordre sur les albums phares (une trentaine) des trentenaires talentueux qui à leur manière décompléxée ont repris le flambeau des Murat, Miossec, Dominique A ou Katerine des années 90 dont l’écriture leur avait ouvert d’autres voie

     

    MélièsNéonsblancs.jpgArman Méliès, Néons blancs & Asphaltine (Bizarre K7,2005)

    Effrayé par Ennio Morricone dans sa jeunesse, Arman Méliès s'est remis de ce traumatisme. Mais a néanmoins vu resurgir le spectre de l'ensorcelant compositeur dans son répertoire des années plus tard avec le recours aux guitares western. Si John Barry n'est jamais loin non plus, le jeune auteur-compositeur et chanteur français ne s'en cache point, bien qu'il ait déjà trouvé sa propre voie avec Néons blancs & Asphaltine. Un premier long format tout de grâce folk-pop aussi étale que mélancolique et raffinée. Arman Méliès cite encore le leader de Talk Talk, Mark Hollis, comme inépuisable source d'inspiration et lui dédie un titre magnifiquement dépouillé, «Hollisong», en guise d'épilogue instrumental. Cinéphile tardif, boulimique culturel, il a également emprunté à la poésie muette d'un réalisateur célèbre pour ses trucages, Georges Méliès, son patronyme artistique. Ainsi que la griffe graphique de ses pochettes CD artisanales, où se côtoient des gamins tirant un cerf-volant ou un zeppelin, éoliennes, phares, hommes et femmes masqués comme Fantomas.

    Malgré cette profusion de généalogies – il mentionne encore sur le plan rock les expérimentaux Blonde Redhead ou Low –, le multi-instrumentiste s'est forgé une captivante identité, solide et distinguée, dans le paysage sonore francophone. Comme en témoigne brillamment Néons blancs & Asphaltine: de rêveries hypnotiques en crescendos accrocheurs, d'harmonies célestes en jeux de timbres alanguis, de respirations en haletantes saturations. Le résident parisien joue les dissidents parmi une scène chanson hexagonale qui peine à faire son deuil des cuivres et mélodies fanfaronnes des Bénabar et consorts.

    Enfant du rock, de la génération Bashung-Noir Désir-Dominique A, Arman Méliès a postulé avec ses compositions bricolées que le mariage entre influences anglo-américaines (de Cat Power à Calexico via Bonnie «Prince» Billy et Lambchop), mélodies épurées et langue française était aussi chose louable et possible. Sans jamais y perdre son âme ni son originalité. Créant quelque chose d'à la fois brut et soigné, intégrant des bruits ambiants dans ses chansons (le souffle d'un ampli, une voiture au loin, un parquet qui craque, des sifflements) qui permettent de conserver une dimension bricolée tout en peaufinant les arrangements. En matière textuelle, les accidents intégrés sont plus rares. Même si Méliès procède par collages, détours et abstractions pour maintenir une ouverture, restituer une humaine complexité et, surtout, ne pas se faire donneur de leçons. Ces déclencheurs, puisés également au cinéma et en musique, ce «vampirique» les cultive depuis son émancipation solo en l'an 2000, après une expérience pop furtive au sein d'un groupe défunt.

    Guitariste mué en chanteur et parolier, adepte du «less is more», Arman Méliès s'est toutefois construit sa propre famille sonore: de Cyann & Ben à Sébastien Schuller, d'affinités électives en découvertes musicales (Syd Matters). Les mélancolies de Méliès, en tous les cas, paient.

  • Episode VI: Fabien Martin

    Au début des années 2000, dans le sillage des Biolay, Bénabar, Delerm and co est apparu une nouvelle génération d'auteur-compositeur-chanteur très vite rangée sous l’appellation médiatiquement contrôlée "nouvelle chanson française". Cette nouvelle vague vocale s’apprête en 2010 à célébrer ses dix ans d’existence. Retour dans le désordre sur les albums phares (une trentaine) des trentenaires talentueux qui à leur manière décompléxée ont repris le flambeau des Murat, Miossec, Dominique A ou Katerine des années 90 dont l’écriture leur avait ouvert d’autres voies

     

    MartinFabien.jpgFabien Martin. Comme un seul homme (Universal Music, 2006)

    Fabien Martin, un blaze anodin pour un Français de 32 ans qui exige pourtant attention. Surtout depuis qu'il a eu l'intelligence d'élargir la focale de l'écriture sentimentalo-cocasse que charriait Ever Everest (2005). Quand il s'était fait remarquer en détournant "La vie en rose", le standard chanté par Edith Piaf, dans une version tragi-comique rebaptisée "La vie morose". Un beau fait d'armes que son premier album ne confirmait hélas pas pleinement.

    Moins portés sur ce second degré à la longue aussi niaiseux que pénible, Comme un seul homme puise musicalement surtout aux sources du rock et de la pop anglo-américaine. Du coup, son répertoire gagne en âpreté. Tandis que les textes se sont quant à eux bonifiés en contours imagés, en empathie sociale, en profondeur et en climats aussi, bref en maturité. Ce qui faisait de cet originaire de Chatenay-Malabry un cousin lointain et aventureux des Bashung, Noir Désir, Kat Onoma, Dominique A ou autres Yann Tiersen. De quelques-uns des interprètes qui ont réussi le mariage d'une grammaire rock avec une forme de chanson à texte.

    Avec son titre d'ouverture, un manifeste mélodique baptisé "Toute une vie" traitant sous ses airs légers du désarroi contemporain, Comme un seul homme annonce à merveille les clairs-obscurs à venir. La force de Fabien Martin tient ainsi à sa capacité d'évoquer et de questionner singulièrement les affres et contradictions de nos courtes et parfois tristes vies terrestres sous un vernis d'innocence: "Entendre de belles paroles/Pas seulement le cours du pétrole/Nos vies valent bien plus que ça." Pour souligner ce parti pris, il aime d'ailleurs à citer une petite perle de Jean-Luc Godard: "On est tous les enfants de Karl Marx et Coca-Cola."

    Album aux résonances actuelles, Comme un seul homme voit pourtant l'auteur et compositeur plonger souvent dans le passé. Tout en gardant l'humain au centre de ses réflexions chantées. Dans "1936", il a ainsi imaginé une ballade vertigineuse à partir d'une phrase empruntée à un combattant républicain lors de la guerre d'Espagne: "Nous avons perdu toutes les batailles, mais c'est nous qui avions les plus belles chansons." Cette marche fraternelle sur le ressenti d'un type en instance d'exécution, Martin dit l'avoir enregistrée les yeux bandés et les mains attachées!

    Ailleurs, le chanteur qui affiche une voix plus ample et assurée que sur son disque inaugural s'offre aussi un retour plus léger dans le Paris d'avant-guerre. Sans tomber dans le piège de la nostalgie "accordéonisée" à tout va. Son "Paris Gangster" retrace les difficultés d'adaptation. Les fins d'époque comme nos peurs ou nos utopies mises à mal inspirent subtilement la plume de Fabien qui, tel un Martin Guerre réveillant les regards sur la condition humaine, s'attache à ce qui fait hier comme aujourd'hui basculer les destins. A l'image de "La grande aventure", chanson-épopée existentialiste au crescendo lyrique asphyxiant. Le passé pour révéler le présent, il y a aussi recours en adaptant deux poèmes du méconnu Paul-Jean Toulet (1867-1920). Chansons libres formellement, révoltes sourdes...voilà au final un captivant insoumis.