Au début des années 2000, dans le sillage des Biolay, Bénabar, Delerm and co est apparu une nouvelle génération d'auteur-compositeur-chanteur très vite rangée sous l’appellation médiatiquement contrôlée "nouvelle chanson française". Cette nouvelle vague vocale s’apprête en 2010 à célébrer ses dix ans d’existence. Retour dans le désordre sur les albums phares (une trentaine) des trentenaires talentueux qui à leur manière décompléxée ont repris le flambeau des Murat, Miossec, Dominique A ou Katerine des années 90 dont l’écriture leur avait ouvert d’autres voies
Fabien Martin. Comme un seul homme (Universal Music, 2006)
Fabien Martin, un blaze anodin pour un Français de 32 ans qui exige pourtant attention. Surtout depuis qu'il a eu l'intelligence d'élargir la focale de l'écriture sentimentalo-cocasse que charriait Ever Everest (2005). Quand il s'était fait remarquer en détournant "La vie en rose", le standard chanté par Edith Piaf, dans une version tragi-comique rebaptisée "La vie morose". Un beau fait d'armes que son premier album ne confirmait hélas pas pleinement.
Moins portés sur ce second degré à la longue aussi niaiseux que pénible, Comme un seul homme puise musicalement surtout aux sources du rock et de la pop anglo-américaine. Du coup, son répertoire gagne en âpreté. Tandis que les textes se sont quant à eux bonifiés en contours imagés, en empathie sociale, en profondeur et en climats aussi, bref en maturité. Ce qui faisait de cet originaire de Chatenay-Malabry un cousin lointain et aventureux des Bashung, Noir Désir, Kat Onoma, Dominique A ou autres Yann Tiersen. De quelques-uns des interprètes qui ont réussi le mariage d'une grammaire rock avec une forme de chanson à texte.
Avec son titre d'ouverture, un manifeste mélodique baptisé "Toute une vie" traitant sous ses airs légers du désarroi contemporain, Comme un seul homme annonce à merveille les clairs-obscurs à venir. La force de Fabien Martin tient ainsi à sa capacité d'évoquer et de questionner singulièrement les affres et contradictions de nos courtes et parfois tristes vies terrestres sous un vernis d'innocence: "Entendre de belles paroles/Pas seulement le cours du pétrole/Nos vies valent bien plus que ça." Pour souligner ce parti pris, il aime d'ailleurs à citer une petite perle de Jean-Luc Godard: "On est tous les enfants de Karl Marx et Coca-Cola."
Album aux résonances actuelles, Comme un seul homme voit pourtant l'auteur et compositeur plonger souvent dans le passé. Tout en gardant l'humain au centre de ses réflexions chantées. Dans "1936", il a ainsi imaginé une ballade vertigineuse à partir d'une phrase empruntée à un combattant républicain lors de la guerre d'Espagne: "Nous avons perdu toutes les batailles, mais c'est nous qui avions les plus belles chansons." Cette marche fraternelle sur le ressenti d'un type en instance d'exécution, Martin dit l'avoir enregistrée les yeux bandés et les mains attachées!
Ailleurs, le chanteur qui affiche une voix plus ample et assurée que sur son disque inaugural s'offre aussi un retour plus léger dans le Paris d'avant-guerre. Sans tomber dans le piège de la nostalgie "accordéonisée" à tout va. Son "Paris Gangster" retrace les difficultés d'adaptation. Les fins d'époque comme nos peurs ou nos utopies mises à mal inspirent subtilement la plume de Fabien qui, tel un Martin Guerre réveillant les regards sur la condition humaine, s'attache à ce qui fait hier comme aujourd'hui basculer les destins. A l'image de "La grande aventure", chanson-épopée existentialiste au crescendo lyrique asphyxiant. Le passé pour révéler le présent, il y a aussi recours en adaptant deux poèmes du méconnu Paul-Jean Toulet (1867-1920). Chansons libres formellement, révoltes sourdes...voilà au final un captivant insoumis.