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mauvais sentiments

  • Les inconvenances jouissives de Batlik

    Le Français à la prose corrosive publie « Mauvais sentiments » (A brûle-pourpoint), neuvième album le plus jusqu'au boutiste en dix ans. Coup de fil.

     

     

    batlik_mauvais_sentiments-d5326.jpgLa bienséance, le conformisme ou le politiquement correct sont ses ennemis déclarés. Avec Mauvais sentiments, Batlik conserve une dimension sociétale comme focale de ses chansons incisives et parfois jouissives. Pour ce neuvième album en dix ans, le Français chasse habilement la bien-pensance sous toutes ces coutures. « On vit dans une société gargarisée de bons sentiments. Les chansons de mon disque ont été pensées comme des contre-pieds à toutes ces idées reçues qui découlent souvent de la doctrine capitaliste omnipotente », détaille Batlik au bout du fil, militant à sa modeste façon.

     

    Pour en arriver à cette explication, il aura pourtant fallu tirer les vers du nez au chanteur qui se contente souvent de l'autodérision pour évoquer les déclencheurs de ses inspirations, genre: « Il y avait huit autres albums qui poussaient celui-ci. C'est une mécanique, une machine qu'il faut alimenter tout le temps quand on est un artisan indépendant de la chanson ». Un ton qui innerve jusqu'à sa biographie officielle, où affleure par exemple : « En 2006, Batlik décline une proposition de signature chez Warner ainsi qu'une proposition chez Wagram en 2007. Il se bat pour le titre de l’artiste le plus contre-productif d’Europe ».

     

    Au vrai, il y a de ça chez ce chanteur de 37 ans resté l'un des éternels espoir de la chanson francophone après avoir été révélé par le circuit des cafés-concerts. Surtout depuis Utilité (2007), petite merveille de douceur folk mélodique rythmé par une singulière guitare slappée et un timbre joliment brisé. Un répertoire troublant au coeur duquel Batlik déclinait déjà des thèmes surprenants, fustigeant le bonheur à crédit ou la spirale de l'endettement et se distinguait par un hymne à l'insuccès ou une non-déclaration d'amour. Des promesses folks demeurées quasi lettre morte en termes de consécration commerciale.

     

    Reste que ce goût marqué pour les contre-pieds, Batlik n'a jamais cessé de les cultiver jusqu'à ce jour. Dans le style, Mauvais sentiments est sans doute juste le plus jusqu'au boutiste. A l'image des strophes crues et cruelles de « Désir de vengeance », où un type mène à bien sa vendetta amoureuse en couchant avec la mère et la fille de son meilleur ennemi dans le sillage d'une réplique repiquée à Le bon, la brute et le truand. « Il aurait voulu le faire avec sa femme aussi mais a manqué de courage ! Les gens qualifient souvent cette chanson d'abjecte et des amis se sont même fâchés avec moi. Mais c'est pourtant celle que je trouve largement la mieux écrite du disque et dont suis le plus fier ». Un sommet en effet, rien que pour le couplet « mais rentrer par où t'es sorti/M'a vengé de toi en partie ». 

     

    Une écriture pleine de reliefs et de surprises, enveloppée par des compositions resserrées autour de guitares, percussions, claviers et une contrebasse, qui évite d'enfoncer les portes ouvertes en se coltinant pourtant des thèmes aussi casse-gueule que le libéralisme. De « AAA » à « Mademoiselle » via « Les persuadés », il est ainsi plutôt question de ses effets nocifs : croyances et opinions mises à mal, libre-arbitre entamé, violence des normes ou révoltes aussitôt absorbées par un système. 

     

    Esquissant en creux toutes les transgressions possibles, Batlik libère grâce à Mauvais sentiments une sève salutaire. En sourdine, l'autodérision qui lui portait parfois préjudice ne se mue par pour autant en une forme de militantisme creux. Sans dieu ni maître, pas plus Ferré que Ferrat qu'il a repris un jour, Batlik trace sa voie singulière de chanteur concerné par le monde et les gens qui l'entoure. D'autant plus que Mauvais sentiments trouve un écho dans Les Monstres pratiques, un livre en forme de fragments du réel écrit par son épouse, Elsa Caruelle, psychanalyste pour enfants. « Le disque et le livre, qui ont aussi été inspirés par des discussions avec des amis proches, issus d'un milieu de gauche plutôt en porte-à-faux avec le capitalisme, a bizarrement blessé nombre d'entre eux », déplore Batlik, perplexe. Espérons qu'à défaut d'amis, ces corrosives inconvenances lui valent enfin davantage de suffrages publics.

     

    Cet article est aussi paru dans le quotidien suisse Le Courrier du 12.3.2014