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Un seigneur pour 2010

 

Bertrand Belin, esthète racé

Au fil d’un troisième album épuré, Hypernuit, le Breton à la voix et aux airs indolents magnifie sans afféteries son bagage poétique. Rencontre

Bertrand-Belin-Hypernuit_reference.jpgIl a dévoré Philippe Jaccottet, Raymond Roussel, Francis Ponge, Henri Michaux ou Kazuo Ishiguro. Le même appétit l’a guidé vers des traités d’orchestration, des partitions de Prokoviev ou Bartók. Deux dernières expériences qui ont engendré La Perdue (2007), précédent disque de Bertrand Belin en forme de petit laboratoire pour pièces orchestrales centré sur «le travail des timbres, des contrepoints, des contre-chants». Aujourd’hui pourtant, Hypernuit fait table rase des élans wagnériens de Belin pour privilégier plutôt les épures à la Satie. «Contrairement à la rutilance de La Perdue, avec force cordes et vents, je me suis interdit les effets sur Hypernuit. J’ai évité les afféteries et les coquet­teries de langue, les allitérations aussi.» Signifier sans boursoufler, prône désormais celui qui a étudié tardivement les harmonies et le solfège dans une école de jazz après quinze ans de guitare en autodidacte au sein de quantité de formations.

Si le répertoire neuf d’Hypernuit se veut le versant «asséché, osseux» du luxuriant et lyrique La Perdue, aucune des qualités d’écriture passées de Belin n’ont été reniées. Pas plus que ses propensions à générer l’évasion. «En toile de fond figurent toujours mes préoccupations récurrentes, à quelques exceptions près: la fuite du temps, la manière dont on s’arrange avec la solitude ou la vieillesse, la façon dont on s’accommode avec notre bout de lorgnette dans ce monde complexe», précise sereinement Belin. Et de confesser écrire encore et toujours pour développer sa «survie, créer des latéralités».

A pénétrer l’univers enchanteur de Bertrand Belin depuis cinq ans et un premier album à la poésie vagabonde se promenant de «Porto» à «Barcelone», on y croit les yeux fermés. Ce sont en effet des instants de grâce suspendus que son chant raffiné et sa plume aussi alerte que littéraire génèrent. Ce Breton d’origine à la voix indolente, qui a grandi non loin des côtes sauvages du Morbihan, les provoque en mariant lyrisme et onirisme, classicisme et modernité, swing et valse, pop et orchestrations classiques, ballade et saccade mélodique. Tout en conservant une dimension épique et délicieusement mélancolique entre ses stances élégantes et parfois surannées. «Ce côté micro-mallarméen, hermétique, est aussi l’un de mes défauts», admet-il avec un léger sourire.

A l’aube de ses 40 automnes, l’esthète Belin se montre toujours oblique, insaisissable et proche à la fois. Mystérieux et incarné; organique dans l’elliptique ou l’hermétisme. A l’image de la pudeur affichée par ce Parisien d’adoption qui aime à porter veston et chemise sur un jean. Pour parvenir à ses fins en ce miroir sans tain de La Perdue qu’est Hypernuit, Belin a ainsi privilégié l’oralité. Il a bâti ses nouvelles chansons directement dans la musique et par la voix. «Un exercice qui ressemble à celui de l’écriture automatique, avec construction sur des motifs, des répétitions.»

Les chansons aux syntaxes alambiquées de Belin s’avèrent autant en quête de sens que d’amour. Les personnages d’Hypernuit défilent dans un paysage loin d’être aussi désolé qu’eux. Moins clairement égarés qu’en un temps pas si éloigné mais toujours attentifs à leur environnement, ils déambulent au cœur de forêts, marchent sur des lacs gelés, perdent leur boussole interne sous une chaleur étouffante ou une neige frigorifiante. La belle errance de clochards pas tout à fait célestes que magnifie un lexique volontiers symbolique. La faune indéfinie d’Hypernuit s’égare puis repart, de maison en bicoque. Et l’art pointilliste de Belin y fait à nouveau merveille entre les lignes de fuite tracées par des guitares et une rythmique aux souplesses entêtantes.

Figures de style malgré tout, poésie des sens, images figuratives, silences, sous-entendus et impressionnisme, fugacité lyrique, Belin continue de manier le verbe comme peu en francophonie dans son registre. Dans son fablier audacieux et passionnant, c’est la patte d’un moderniste qui éclate au moindre recoin. Comme Florent Marchet, Camille, Daphné ou JP Nataf, Belin participe au ravalement de façade du chanter en français initié par un Dominique A. Des accointances avec Murat ou Kanche pour la précieuse veine poétique, avec Bashung pour les collusions et richesses de vocable ainsi que les précipités métaphoriques parfont sa généalogie artistique.

En dépit de cet héritage présumé, Belin trouve avant tout son intarissable source d’inspiration dans la littérature: «J’ai conscience du poids de mes lectures sur mon écriture. En tous les cas sur la forme. J’ai des passions très fortes pour certains auteurs et j’aime autant lire des polars que des essais et de la poésie. Le registre de mon vocabulaire, le contour de mon champ lexical appartiennent beaucoup à une poésie naïve, naturaliste. Même si, avec Hypernuit, j’essaie de le dépasser.»

Après maints seconds rôles, en tant que coréalisateur du récent album Le Verger de Bastien Lallemant ou comme guitariste dans des spectacles de Philippe Decouflé où il jouait du Debussy ou aux côtés de François Morel, Bénabar et Néry, le multi-instrumentiste touche-à-tout s’offre enfin avec ce troisième album très personnel son premier grand rôle de choix.

Hypernuit (Cinq7) est paru en septembre 2010

Cet article est paru dans le Quotidien Le Temps du 8 octobre 2010

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