Entre « Offshore », nouvel album de chansons, des escapades avec Piano Seven et une création au côté de la formation electro-jazz KiKu, Pascal Auberson multiplie les pistes sonores. Rencontre avec « l'éternel touche-à-tout que tout touche ».
«Revenu de tout, mais sans cesse en partance/Ayant passé ma vie à noyer le poisson», résume-t-il en introduction de «Seul sous la douche», chanson générique en mode écriture automatique humoristique de Offshore, son nouvel album exclusivement numérique. Pascal Auberson, grâce à un pertinent regard holistique, y égrène dans son franc parlé-chanté ses incessants et vitaux changements de casquette artistique.
Soit quarante-cinq ans d’un parcours truffé de détours et allers-retours entre percussions et composition, chanson et danse, cinéma et théâtre, big band et piano, tuba et improvisation sans borne ou comptage des mesures dans les fosses d’orchestre. «C’est presque une caricature de moi-même, celle d’une personnalité touche-à-tout qui a passé sa vie à faire le zouave et à faire croire. J’ai toujours été un cheval qui ne supporte par le mors.»
Autant de bouteilles à la mer
Dans son historique atelier du quartier du Flon à Lausanne voué à la destruction, des peintures géantes sur panneaux en aluminium témoignent encore d’une nouvelle passion créative du «touche-à-tout que tout touche». L’auteur-compositeur, interprète-acteur, comédien-danseur et vice-versa évoque pour l’heure avec fougue les dix-neuf titres composant ce Offshore, en forme de condensé lui aussi des différents visages d’Auberson que la chanson a connus depuis le mitan des années 1970 et les succès en francophonie et sur le plateau du "Grand Echiquier" de Jacques Chancel d'«Ophélie», «L’Paradis», «Il faut que ça swingue» ou «Jamaïca».
Autant de bouteilles à la mer conjurant l’amer mais aussi l’extraordinaire, conjuguant variété et expérimentation, économie et faste, jazz et électro, lyrisme et mélancolie, slam et pop, amour et mort, second degré et thèmes sociétaux sérieux dans la veine urbaine de Kélomès (2009). Avec, en guise de provocation drôle charriant un fond de vérité, un «J’suis un chanteur populaire» s’épanchant ainsi: «J’suis un chanteur populaire mais de qualité, qui veut toujours défaire tout recommencer/Qui veut marier Schubert avec Bob Marley/Parker avec Fauré, rastaquouères et paumés.»
A 62 ans, le chanteur ne se lasse en tout cas pas de butiner, allant jusqu’à imaginer pour le site internet flambant neuf qui accompagne la sortie de ces morceaux inédits une troublante visite virtuelle à 360o de son espace de création où il se dédouble à foison, dans chaque pièce et derrière tous ses instruments. Et si Auberson offre une première version scénique d’Offshore samedi à Fribourg, la seconde attendra puisqu’il prend le large en novembre avec Piano Seven pour une tournée d’adieu passant par Bangkok et Singapour. Avant d’aller repousser les frontières du jazz et de l’electro au sein de KiKu, pour une création en fin d’année. «C’est un peu l’anarchie mais il faut croire que j’aime ça», relève-t-il lucidement.
Ne pas sombrer dans la nostalgie
Cette soif de grands écarts et de liberté de ton, l’homme-orchestre l’étanche pleinement au fil de cet album-mosaïque, imaginé comme une œuvre amenée à évoluer et à se voir complétée par des visuels ou des titres inédits. Arrangé par le fidèle Christophe Calpini (Bashung, Stade), photographie d’un an et demi d’enregistrements aux côtés de différents musiciens (Barbouze de chez Fior, Daniel Bourquin, Cyril Regamey, Laurent Poget ou les enfants et le frère de Pascal Auberson) ravivant les plumes poétiques de Verlaine («Sagesse»), Jean-Villars Gilles («Dollar») et accueillant les premières chansons d’auteures romandes (Catherine Richard et Nicole Gaillard), ce Offshore que seul l’océan immatériel pouvait absorber révèle bien toutes les facettes de son géniteur. «Je suis obsédé par le renouvellement pour ne pas sombrer dans la nostalgie. C’est aussi la raison pour laquelle je diversifie les collaborations.»
L'improvisation, moteur de création
En quête perpétuelle d’alchimies libertaires, une main chassant sa longue chevelure en proie à la canitie, Auberson détaille ce répertoire disparate où il accoste de nombreux rivages stylistiques et vocaux. Des jeux de mots écornant la mythologie rock’n’roll et l’acharnement artistique de certaines de ses figures («Faut s’faire à l’idée») à l’exercice de style poétique en verlan phonétique («La Nuit Yunal») via un titre en anglais affublé d’un accent français volontairement risible («Swansong»), un clin d’œil à la chanson italienne et au «Gelato al Limon» de Paolo Conte en particulier («Bella Vita»), des rimes sur les mers et terres souillés («Arrière!») ou un sujet de société délicat («Don d’organe»), l’enfant de Chavornay ose tout.
L’improvisation y est souvent moteur de création. Et la voix d’Auberson, embrassant un large spectre d’inflexions, se met au diapason de ce sens dessus dessous musical entre acoustique et électronique, free jazz ou rock, d’où se distingue un vibrant hommage à l’élégance de Bashung, «Rien ne rime, tout se tient»: «De derrière tes lunettes, tu vomis l’ordinaire/D’un décor en plastic, d’un soleil à l’envers/Eh! tu t’amuses des mots, des hameçons des baisers/Tu les suces tu les craches, les ranimes les cravaches.» Un credo suspendu à l’âme-son d’Auberson, qui constate avec plaisir que son personnage versatile semble enfin accepté en Romandie: «Même si on peine à me cerner encore!»