Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Coup de coeur - Page 3

  • Un "Babel" de clarté pour Murat & The Delano Orchestra

    Dans la profusion des sorties mensuelles, ne retenons que quelques chansons...

    Babel (Scarlett Productions)

    Jean-Louis Murat, The Delano Orchestra, Babel, chanson, folk-rock, albumDe son repaire des montagnes auvergnates, dans une ferme à 40 kilomètres de Clermont-Ferrand, Jean-Louis Murat a trouvé de nouveaux complices de jeu avec The Delano Orchestra. En voisins inspirés comme lui par les codes classieux d'une certaine folk-pop-rock anglo-américaine, le petit orchestre de cordes et cuivres élargit son champ/chant d'horizon. Après l'économe et relativement plat Toboggan (2013) en mode guitares-claviers, Babel permet donc au barde proclamé et désormais attitré de reprendre de la hauteur. Et à ses nouvelles belles-lettres rock d'acquérir une épaisseur et ampleur inédites.

    En vingt chansons comme autant de précis poétiques toujours stylisés, Murat brosse un tableau désenchanté du monde. A commencer par sa campagne à l'agonie (magnifique « Chacun vendrait des grives ») dont la chronique ouvre ce double album partagé entre mélancolie et sourires en coin. Le naturalisme impressionniste du lexique, parfois ancré dans un terroir très limitrophe, n'empêche point d'évoquer des destinées humaines offensées, fracassées ou mises à mal (« Le jour se lève sur Chamablanc », « Neige et pluie au Sancy », Col de Diane»). Entre les lignes de fuite du paysage, les marécages de l'âme peinée (« Chagrin violette », « Mujabe ride »), l'histoire de la région (« Noyade au Chambon ») affleurent aussi. Le versant sensuel de Murat n'a pas pour autant disparu au grand air et des titres comme « Tout m'attire » et «J'ai fréquenté la beauté » évoquent admirablement l'amour.

     

  • Auberson sens dessus dessous

    Entre « Offshore », nouvel album de chansons, des escapades avec Piano Seven et une création au côté de la formation electro-jazz KiKu, Pascal Auberson multiplie les pistes sonores. Rencontre avec « l'éternel touche-à-tout que tout touche ».

    pascal Auberson, Offshore, chanson, album

    «Revenu de tout, mais sans cesse en partance/Ayant passé ma vie à noyer le poisson», résume-t-il en introduction de «Seul sous la douche», chanson générique en mode écriture automatique humoristique de Offshore, son nouvel album exclusivement numérique. Pascal Auberson, grâce à un pertinent regard holistique, y égrène dans son franc parlé-chanté ses incessants et vitaux changements de casquette artistique.
    Soit quarante-cinq ans d’un parcours truffé de détours et allers-retours entre percussions et composition, chanson et danse, cinéma et théâtre, big band et piano, tuba et improvisation sans borne ou comptage des mesures dans les fosses d’orchestre. «C’est presque une caricature de moi-même, celle d’une personnalité touche-à-tout qui a passé sa vie à faire le zouave et à faire croire. J’ai toujours été un cheval qui ne supporte par le mors.»

    Autant de bouteilles à la mer
    Dans son historique atelier du quartier du Flon à Lausanne voué à la destruction, des peintures géantes sur panneaux en aluminium témoignent encore d’une nouvelle passion créative du «touche-à-tout que tout touche». L’auteur-compositeur, interprète-acteur, comédien-danseur et vice-versa évoque pour l’heure avec fougue les dix-neuf titres composant ce Offshore, en forme de condensé lui aussi des différents visages d’Auberson que la chanson a connus depuis le mitan des années 1970 et les succès en francophonie et sur le plateau du "Grand Echiquier" de Jacques Chancel d'«Ophélie», «L’Paradis», «Il faut que ça swingue» ou «Jamaïca».

    Autant de bouteilles à la mer conjurant l’amer mais aussi l’extraordinaire, conjuguant variété et expérimentation, économie et faste, jazz et électro, lyrisme et mélancolie, slam et pop, amour et mort, second degré et thèmes sociétaux sérieux dans la veine ­urbaine de Kélomès (2009). Avec, en guise de provocation drôle charriant un fond de ­vérité, un «J’suis un chanteur populaire» ­s’épanchant ainsi: «J’suis un chanteur ­populaire mais de qualité, qui veut toujours défaire tout recommencer/Qui veut marier Schubert avec Bob Marley/Parker avec Fauré, rastaquouères et paumés.»


    pascal Auberson, Offshore, chanson, albumA 62 ans, le chanteur ne se lasse en tout cas pas de butiner, allant jusqu’à imaginer pour le site internet flambant neuf qui ­accompagne la sortie de ces morceaux ­inédits une troublante visite virtuelle à 360o de son espace de création où il se dédouble à foison, dans chaque pièce et derrière tous ses instruments. Et si Auberson offre une première version scénique d’Offshore ­samedi à Fribourg, la seconde attendra ­puisqu’il prend le large en novembre avec Piano Seven pour une tournée d’adieu ­passant par Bangkok et Singapour. Avant d’aller repousser les frontières du jazz et de ­l’electro au sein de KiKu, pour une création en fin d’année. «C’est un peu l’anarchie mais il faut croire que j’aime ça», relève-t-il lucidement.

    Ne pas sombrer dans la nostalgie
    Cette soif de grands écarts et de liberté de ton, l’homme-orchestre l’étanche ­pleinement au fil de cet album-mosaïque, imaginé comme une œuvre amenée à évoluer et à se voir complétée par des visuels ou des titres inédits. Arrangé par le fidèle Christophe Calpini (Bashung, Stade), photographie d’un an et demi d’enregistrements aux côtés de différents musiciens (Barbouze de chez Fior, Daniel Bourquin, Cyril Regamey, Laurent Poget ou les ­enfants et le frère de Pascal Auberson) ­ravivant les plumes poétiques de Verlaine ­(«Sagesse»), Jean-Villars Gilles («Dollar») et accueillant les premières chansons ­d’auteures romandes (Catherine Richard et Nicole Gaillard), ce Offshore que seul l’océan immatériel pouvait absorber révèle bien toutes les facettes de son géniteur. «Je suis obsédé par le renouvellement pour ne pas sombrer dans la nostalgie. C’est aussi la raison pour laquelle je diversifie les collaborations.»

    L'improvisation, moteur de création
    En quête perpétuelle d’alchimies libertaires, une main chassant sa longue chevelure en proie à la canitie, Auberson détaille ce répertoire disparate où il accoste de nombreux rivages stylistiques et vocaux. Des jeux de mots écornant la mythologie rock’n’roll et l’acharnement artistique de certaines de ses figures («Faut s’faire à l’idée») à l’exercice de style poétique en verlan phonétique («La Nuit Yunal») via un titre en anglais affublé d’un accent français volontairement risible («Swansong»), un clin d’œil à la chanson italienne et au ­«Gelato al Limon» de Paolo Conte en particulier («Bella Vita»), des rimes sur les mers et terres souillés («Arrière!») ou un sujet de société délicat («Don d’organe»), l’enfant de Chavornay ose tout.

    L’improvisation y est souvent moteur de création. Et la voix d’Auberson, embrassant un large spectre d’inflexions, se met au ­diapason de ce sens dessus dessous musical entre acoustique et électronique, free jazz ou rock, d’où se distingue un vibrant ­hommage à l’élégance de Bashung, «Rien ne rime, tout se tient»: «De derrière tes ­lunettes, tu vomis l’ordinaire/D’un décor en plastic, d’un soleil à l’envers/Eh! tu t’amuses des mots, des hameçons des baisers/Tu les suces tu les craches, les ranimes les cravaches.» Un credo suspendu à l’âme-son d’Auberson, qui constate avec plaisir que son personnage versatile semble enfin accepté en Romandie: «Même si on peine à me cerner encore!»

     

    Offshore (Le Beau Menace Editions/Evasion Musique). Album disponible uniquement sur iTunes. extraits sur www.pascalauberson.ch
     
  • Aux rythmes effrénés des Young Gods

    L'emblématique trio rock suisse fait escale en France*, au coeur d'une tournée européenne qui l'a mené au Portugal, en Pologne ou en Angleterre. Carnet de route en deux étapes tchèques supersoniques.

    Bernard Trontin martèle un canapé avec ses baguettes. Franz Treichler effectue des étirements entre deux gorgées de thé miel-citron tandis que Cesare Pizzi pianote sur son ordinateur portable. Dans leur loge du club Fléda, à Brno, seconde plus grande ville de République Tchèque avec un peu plus de 400'000 habitants, les Young Gods apparaissent détendus.

    The Young Gods, Olivier Horner, PragueAlors qu'en ce 11 décembre 2013 le premier de leur trois concerts en terres tchèques est imminent, l'emblématique trio rock romand fondé en 1985 accueillait voilà quelques minutes encore un visiteur attentionné. Čenda, organisateur un an plus tôt d'une prestation mémorable du groupe supersonique dans la proche cité universitaire d'Olomouc, vient de leur offrir à chacun une clé USB chromée, frappée de la date du 13.12.2012 en sus de leur patronyme et surtout chargée de souvenirs photos, vidéos et musicaux. « C'est vraiment un beau geste », s'émeut Pizzi en découvrant son contenu à l'écran.

    Figure originelle des Young Gods avec Franz Treichler, Cesare Pizzi a réintégré le groupe aux samplers à la faveur de cette tournée spéciale axée sur le répertoire des deux premiers albums, The Young Gods (1987) et L'Eau rouge (1989). Remonter sur scène et le fil du temps lui procure un plaisir fou bien que son avenir tout comme celui du groupe soit flou. Reste que le remplaçant de luxe d'Al Comet réunit désormais ses camarades pour une accolade juste avant de filer sur scène avec un prophétique : « 11, 12, 13, magic numbers ! ». Ces trois dates tchèques, après deux escales au Portugal et avant l'enchaînement de Berlin et Londres, figurent l'ultime semi-marathon d'un tour d'Europe débuté en septembre à Vevey (Suisse).

    Des prestations activées par le tandem Treichler-Pizzi plongé dans le noir, où seul le visage du chanteur fribourgeois finit par se détacher sous une lumière pâle pour « C. S.C.L.D.F ». Un « Comme si c'était la dernière fois » aux effets ensorcelants garantis, entre airs martiaux et abyssaux. Quatre-cents personnes instantanément aux anges ; Trontin peut sereinement se glisser derrière sa batterie et propulser le spectacle vers d'autres dimensions inouïes. Pour un crescendo à l'intensité dévastatrice.The Young Gods, Olivier Horner, Prague

    Dans la foule, on croise plein de t-shirts noirs siglés « Young Gods ». Michael, 36 ans, a préféré arborer les Swans. « Au récent concert de Swans ici même, je portais le t-shirt des « Gods », raconte-il, hilare. Le clin d'oeil m'amusait (ndlr. : les Helvètes ont emprunté leur nom à un titre du groupe américain) ». C'est la cinquième fois en six ans que je les vois sur scène. Depuis mes 16 ans, je trouve que l'originalité de leur mixture de rock et d'électronique est sans pareil. Et toujours constante qualitativement à la différencie d'autres groupes du genre, comme Nine Inch Nails».

    L'audience partage l'avis de Michael à l'heure des rappels. Des cris en rafale répondent à la voix de Franz qui demande du bruit. « Envoyé » parachève ce premier dynamitage en règle du public à coup de morceaux datés de 24 ans et plus mais n'affichant pas la moindre ridule.

    Le lendemain, c'est le Palác Akropolis qui attend à guichets fermés les Young Gods à Prague. Deux-cents kilomètres à avaler sur les coups de midi pour rejoindre la capitale, à huit personnes dans le minibus, équipe et matériel compris. Une petite entreprise qui aura tout juste le temps de faire un rapide check-in à son nouvel hôtel avant de rejoindre la salle pour la mise en place et le sound-check. Deux interviews au programme pour Treichler, dont l'une pour la TV nationale tchèque.

    A l'Est, les « Jeunes Dieux » suisses sont vénérés. Aussi bien pour l'esthétique industrielle pionnière de leur rock basé sur l'échantillonnage de sons que parce qu'ils ont écumé très tôt, au début des années 90, les pays de l'ex-bloc soviétique levant à peine le rideau de fer. Une prise de risque très appréciée dans ces contrées où les conditions de tournée étaient rudes. Ce que confirme Martin, vieil ami polonais du groupe qui vient de rouler trois heures pour vivre son deuxième concert en dix jours après Varsovie. « Pour l'une de nos première date en Pologne, on a même été payés en essence », se souvient Treichler.

    Alors que Pizzi distille des photos sur la page Facebook du groupe, que des soucis de batterie et lumières sont réglés pour Berlin et Londres en coulisses, les premiers spectateurs investissent l'Akropolis. Les expatriés francophones s'enfilent décibels et pintes de bière aux côtés des Pragois, le stand du merchandising fait déjà le plein. Les Young Gods, tout de noir vêtus, sont repartis de plus belle à l'assaut dans un fracas de rythmes effrénés, galvanisés par la ferveur des lieux bondés.

     

    The Young Gods, Olivier Horner, Brno

    *14.3.2014: Quimper, Les Hivernantes

    *15.3.2014: Saint-Etienne, Electrochoc

    *22.3.2014: Montbéliard, Le Moloco

  • Daniel Darc, seconde résurrection

    Beau testament posthume, «Chapelle Sixteen» réveille la voix d’un «condamné à vie» qui aura brûlé la sienne avec la foi comme phare. Un livre éclaire, lui, la trajectoire chaotique de l’ex-Taxi Girl.

    Disque: Chapelle Sixteen (Jive Epic)

    Livre. Daniel Darc, Tout est permis mais tout n’est pas utile. Entretiens avec Bertrand Dicale (Ed. Fayard, 2013)

    Daniel Darc, Chapelle Sixteen, cover, pochette, album, CD«Moi, je ne suis pas sûr encore que j’irai au paradis. Je voudrais réparer ce que j’ai fait. J’ai hâte de voir quand je mourrai. Je pourrais peut-être réparer des choses. Rétablir l’ordre. Rétablir ce qui aurait dû être.» Comme en écho à sa fameuse chanson «J’irai au paradis (car c’est en enfer que j’ai passé ma vie)», c’est en ces termes que finit Tout est permis mais tout n’est pas utile, livre d’entretiens inachevés du journaliste Bertrand Dicale avec Daniel Darc empruntant son titre à une phrase de Paul extraite du Nouveau Testament.

    Parues en mai dernier, trois mois après le décès subit du chanteur français le 28 février 2013 à l’âge de 53 ans, ces considérations résonnent davantage aujourd’hui à la lumière d’un titre posthume inédit tel «Une place au paradis». Où Darc se persuade encore en mode très rock’n’roll qu’il doit rester une chaise libre à côté de Saint Pierre, quand bien même il confesse ne pas avoir été un ange durant son passage sur terre: «J’ai fait des trucs moches (...), de grosses saloperies (...). J’ai été violent. J’ai été dégueulasse.» Au point que ses déclarations et son répertoire s’enchevêtrent pour former un unique corpus troublant dont l’obsession semble l’exorcisation des démons dans l’au-delà. Sans doute d’avoir par trop brûlé sa vie ici-bas tels ses modèles Kerouac, les Sex Pistols, Fitzgerald ou Coltrane.

     

    «JE L'AI SENTI HEUREUX»
    Mais s’il est à nouveau question d’enfer, de pêché, de ciel, de Dieu ou de rédemption au fil de Chapelle Sixteen, l’inespérée renaissance posthume du rescapé de Taxi Girl souligne surtout son inébranlable foi en l’existence et l’amour. Les lumières d’un «condamné à vie» («La Dernière fois»), préfèrerait dire celui qui a été voyou avant de se rêver punk, puis écrivain comme Burroughs plutôt que chanteur. Malgré les gouffres, les fatales errances, l’écorché vif du rock français savait faire preuve de fulgurances, à l’image de son retour en grâce en solo avec le sublime Crèvecœur (2005).

    Huit ans après, Chapelle Sixteen scelle enfin le destin tourmenté d’un homme qui n’était point au crépuscule de son existence chaotique ni de sa créativité artistique. «Durant la vingtaine de conversations que nous avons eues entre novembre 2011 et février 2013 pour notre projet d’autobiographie, j’ai senti Daniel Darc heureux, comblé. Il était dans une période apaisée moralement et de créativité foisonnante (des projets avec Bertrand Burgalat et AS Dragon). Le karatéka qu’il est resté était aussi en excellente forme physique et c’est d’ailleurs ce qui lui a permis de survivre si longtemps», précise Bertrand Dicale. Darc aura été un colosse courbé et titubant qui a chopé tous les types d’hépatite et vu ses frères d’armes tomber les uns après les autres du sida ou d’overdoses.

    Et si sur la pochette de Chapelle Sixteen, c’est plutôt le reflet noir et blanc du visage émacié à l’air grave de Darc qui apparaît renvoyé par le miroir d’une loge, son répertoire neuf ne s’avère pas si chargé de noirceur et de déses­poir. L’obsession de la mort («Le Dernier jour sur terre»), le poids de la culpabilité («La Dernière fois») et la réflexion spirituelle continuent de rôder, mais on ne perçoit jamais le chant du damné qui emplissait Amours suprêmes (2008) et La Taille de mon âme (2011). Le sevrage a peut-être eu ses vertus pour celui qui confessait récemment à Bertrand Dicale: «Je veux écrire des chansons et je veux les jouer. Pour ça, il faut que je sois clean.»

     

    Daniel Darc, livre, entretiens, Bertrand Dicale,  Tout est permis mais tout n'est pas utile, FayardTOMBER POUR MIEUX SE RELEVER
    En une douzaine de maquettes et onze chansons testamentaires quasi abouties, dont il avait pu choisir l’ordre au côté du compositeur Laurent Marimbert trois jours avant sa mort, et pour lesquelles il avait enregistré les voix, Darc fait jaillir la sève de sa vie intense, extrême. Et pas aussi paradoxale qu’on a pu le croire. Bertrand Dicale: «Malgré quinze ans d’héroïne et d’alcool, de défonce, Daniel Darc a toujours vu à sa vie une logique, un droit fil. Il tombait pour mieux se relever. C’était un rockeur et un homme de foi, au même titre qu’Elvis ou Johnny Cash. Il ne ressemblait qu’en partie à la mythologie qu’il véhiculait. C’est paradoxal aux yeux de la culture française et européenne où sexe, drogue et rock’n’roll vont de pair alors que la vision du rock et de la foi ne sont pas opposées dans la culture américaine d’où a émergé le gospel.»

    L’état d’esprit punk, la littérature et l’écriture pour seul salut, la foi comme phare, Darc n’aura pourtant jamais fait dans la dentelle ni la demi-mesure. A l’image de ce soir de 1979 où, juste pour rompre l’ennui, il se tranche les veines sur la scène du Bataclan à Paris lors d’un concert de Taxi Girl en ouverture des Talking Heads. «Je me fais chier. J’ai envie qu’on me regarde. Autant faire quelque chose. (...) Je n’en ai pas honte, mais je m’en fous. C’est un geste d’enfant.» D’un gamin d’origine juive russe, né Daniel Rozoum, qui s’est toujours foutu du lendemain, comme il le chante sur «Mauvaise journée». Chapelle Sixteen lui ressemble: sang et larmes, free jazz et poésie, rock et dangers, nuits et armes blanches, prisons et mélodies, amour et chœurs d’église, regrets et folies, Ravel et gueules de bois, des enfers et un paradis.

    Cet article est aussi paru dans le quotidien suisse Le Courrier du 12.10.2013

  • Les veloutés chaloupés de Wayne Paul

    WaynePaul.jpgWayne Paul, Between The Lines (Absinthe Music)

    Une renaissance. Sans exagération, le retour de Wayne Paul en est une. Au terme d'une longue descente aux enfers parsemée de son propre aveu d'alcool et de drogue, de séjours en prison et de cure de désintoxication, l'Anglais retrouve toute l'intensité de son souffle sur un nouvel album baptisé Between The Lines*. Entre âpreté et légèreté proche de l'immatérialité, le timbre de ce Wayne Paul qui avait fait les beaux jours du label Big Dada au milieu des années 90 n'a rien perdu de sa grâce.

    Sur un fond de dub et d'electro, de jazz et de hip-hop, de climats excessivement moites imaginés par le sorcier helvète Christophe Calpini (Mobile in Motion, Stade, Alain Bashung, Dog Almond, etc), l'artiste aux origines jamaïcaines bercé précocement par Gregory Isaacs, Dennis Brown, John Holt, Marvin Gaye, le répertoire de la Motown ou la mouvance liée à l'énigmatique Jah Shaka -prince des basses écrasantes, sirènes et chambres d'écho - a retrouvé toutes ses marques. Et distille comme sur un nuage ses veloutés chaloupés.

    Au travers de chants volontiers altruistes, humanistes, où il appelle notamment les professeurs à protéger nos enfants car ils sont l'avenir et évoque la nécessité de se souvenir de ses racines pour retrouver la force de vivre, Wayne Paul fait planer toute sa sorcellerie vocale sur quatorze titres syncopés. Il profite aussi de convier à ses retrouvailles God’s Gift, l'un des meilleurs maîtres de cérémonie du courant «grime», le temps de trois morceaux d'anthologie.

    Malgré quinze ans d'errances, de vie dissolue, Wayne Paul est ainsi resté le joyau vocal éclatant révélé au fil de Take the Train (Sound of Money/Big Dada, 1994). Celui aussi qu'on croisa, convalescent pourtant mais déjà diablement envoûtant, sur l'album Tactile de Stade (projet en forme de work in progress de Christophe Calpini et Pierre Audétat), aux côtés de Roots Manuva sur disque et en tournée pour Revolution 5 ou encore en fulgurant invité de marque de In Dog we Trust de Dog Almond. Déjà, la pureté et la puissance évocatrice des vocalises de Wayne Paul ne pouvaient laisser de marbre. Il en va de même aujourd'hui au fil de cet organique Between The Lines. Admirable, profond et captivant de bout en bout, c'est une petite merveille hantée.

    *Ce texte est celui de la présentation de l'album qu'ai rédigé pour le label suisse Absinthe Music

    Wayne Paul est en concert au Cully Jazz Festival (CH) le sa 13 avril 2013