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  • Juin 2013

    Dans la profusion des sorties mensuelles, ne retenons que quelques chansons...


    Mendelson, Mendelson (Ici d'Ailleurs)

     

    Mendelson.jpgIl a vu triple et en noir et blanc. Pour son cinquième essai, le Français Mendelson a imaginé une oeuvre anxiogène aux titres fleuves (jusqu'au jet de 54 minutes de « Les heures », chanson-titre en forme de trou noir du deuxième opus !). Un triptyque discographique époustouflant tout en tensions et dissonances rock, où l'expérimentation ne se révèle jamais impénétrable grâce à un savant dosage de mélodies pop.

     Sur les rivages de Diabologum ou Michel Cloup, le contemporain de Dominique A qui logeait sur le même défunt et exigeant label Lithium assène toujours, vingt ans plus tard, des manifestes d'existentialisme crus. Après le déjà morose double album Personne ne le fera pour nous (2008), Mendelson parvient pourtant encore à muscler et assombrir le ton.

    Les mots coulent ici à flots continus, plus parlés et racontés que chantés. De cette prose oppressante détaillant la noirceur et les errances de l'âme humaine au quotidien jaillissent fulgurances, évidences et troubles notoires. En résumé, l'homme est un loup pour l'homme aux yeux d'un Mendelson qui chasse les strophes délétères, l'angoisse, la honte, le mensonge, la colère et les illusions.

    La mort rôde aussi dès l'entame avec « La force quotidienne du mal (comme seule certitude) » ou « D'un coup » et la prosodie de Mendelson dicte les humeurs lapidaires. Littérateur, conteur, scandeur, le « beau » parleur flirte avec une logorrhée hantée qui paradoxalement n'épuise pas grâce aux finesses de son expressivité rock placées en contrepoint. Un triptyque torturé et tortueux qui prend littéralement aux tripes.

    Cet article est aussi paru dans le quotidien suisse Le Courrier du 22 juin 2013

     

  • Avril-Mai 2013

    Dans la profusion des sorties mensuelles, ne retenons que quelques chansons...

     

    Arman Méliès, IV (AT(H)OME)

    MélièsIV.jpgOn lui doit les musiques de «Tant de Nuits» et «Vénus» du Bleu Pétrole de feu Bashung avec qui il a aussi duettisé, le temps de «Ivres». Homme de mélancolies poétiques et toxiques, Arman Méliès excelle depuis huit ans et Néons blancs & Asphaltine dans les dédales étales d’un pop-rock où se toisaient autant Ennio Morricone que Talk Talk et Low.


    Ce quatrième album simplement baptisé IV prend pourtant quelques belles contre-allées esthétiques krautrock en semant quantité de synthés et d’électro en chemin. Comme un prolongement de «Amoureux solitaires» adapté des motifs du «Lonely Lovers» des Stinky Toys d’Elli Medeiros et Jacno qui figurait sur Casino (2008).

    Les machines dominent ici les guitares post-rock chères au Français et des claviers new-wave font fréquemment leur apparition. Des compositions plus froides et moins fantasmagoriques qui ne délaissent pas pour autant leurs visions panoramiques. L’écriture de Méliès conserve sa dimension elliptique, ses dérives hypnotiques et ses airs alanguis d’où émergent des titres comme «L’Art perdu du secret», «Mon plus bel Incendie», «Silvaplana» ou ce «Pompéi» plus dadaïste, co-écrit avec Julien Doré dont Méliès a été le guitariste.

    Cet article a aussi été publié dans le quotidien suisse Le Courrier du 15 juin 2013

    Quand Méliès zigouille les chanteurs français, ça donne un clip jubilatoire...

  • Mai 2013

    Bertrand Belin, chanson de traverse

    Tout en rondeurs folk-rock et éclaircies pop, «Parcs» (Cinq7) poursuit la quête d’épure du Français.

    Bertrand-Belin-Parcs.jpgUn tarmac en guise de bienvenue à bord de Parcs. Le béton pour signifier la verdure. Une fois de plus, la forme et le fond semblent en contradiction chez Bertrand Belin. Pourtant, à y regarder de près, le quatrième album du chanteur-conteur est plus cohérent qu’il n’y paraît. Tant Parcs est encore et avant tout une exquise invitation au voyage et vagabondage.

    En un peu moins de dix ans, Belin est passé maître dans l’art de générer l’évasion, l’échappée belle atmosphérique. La chanson de traverse constitue sa prouesse. Dans Sorties de route (Ed. La Machine à cailloux, 2011), petit ouvrage où le Français réfléchit au processus de création, il s’interroge d’ailleurs sans vraiment répondre: «Mes chansons ne sont-elles pas, après tout, l’accompagnement sonore d’une dérive ou, plus justement, celui de l’éloignement d’une rive?»

    Au bout du fil, à l’heure de l’interview, on persévère pour décrocher une explication: «Je vois cela comme le plongeon ou des choses paradoxales qui questionnent les frontières. La dérive, cela peut autant être fuir le nazisme que s’éloigner en nageant. Ce qui me plaît dans cette notion et dans la chanson, c’est l’ambivalence, la promesse romanesque, le ressort dramatique, la beauté de l’inexorable».

    DÉVELOPPER SA SURVIE
    En toile de fond de Parcs apparaissent aussi ses préoccupations récurrentes: «La fuite du temps, la façon dont on s’arrange avec la solitude ou la vieillesse, dont on s’accommode avec notre bout de lorgnette dans ce monde complexe.» L’esthète Belin confesse écrire pour développer sa survie, conjurer les secondes qui s’égrènent: «Je trouve qu’on pourrait tout résumer ou lire à l’aune de la flèche du temps. L’histoire des techniques, du progrès n’est que cela. Mais je songe au temps comme à un véhicule. Le temps comme le voyage, le déplacement, le paysage du vivant. Dans cette idée, le futur me passionne autant que le passé. En somme, c’est l’ironie métaphysique du ­vivant qui me captive et nourrit mon répertoire.»

    Parcs offre un magnifique tour du propriétaire. Où l’on chemine aux côtés de personnages déboussolés (un homme au bord d’un plongeoir, un autre perdu, des hommes qui se battent, un couple qui se querelle) au coeur de paysages verts, broussailleux, pluvieux ou brumeux. Une faune indéfinie qui s’égare puis repart entre variations climatiques et changements d’humeur, à l’image de l’existence. Et le lexique volontiers symbolique et naturaliste de Belin, qui se déploie dans ces espaces temporels suspendus, de signifier joliment son art pointilliste du micro-détail mallarméen.

    Il y a trois ans, l’éblouissant Hypernuit privilégiait les épures à la Satie. En réaction aux luxuriances orchestrales de La Perdue (2007) avec force cordes et vents lyriques, Belin s’était soudain interdit les effets musicaux et les afféteries de langue pour imaginer un album «asséché, osseux». Entre ces deux extrêmes, Parcs trouve une voix apaisée et charrie un répertoire folk-rock plutôt alangui. «Parcs est clairement davantage une suite qu’une rupture. S’il y a souvent un nécessaire et logique inversement des polarités, je vois cet album plus comme un rafraîchissement, avec un ensoleillement plus pop sous quelques contours. Mais j’ai continué par contre mon travail sur la disparition de la masse de texte, comme sur Hypernuit».

    ÉNIGMATIQUE ET MÉLANCOLIQUE
    Une épure textuelle en forme d’obsession poétique pour ce Belin qui a dévoré Philippe Jacottet, Raymond Roussel, Francis Ponge, Henri Michaux ou Kazuo Ishiguro avec la même appétence que des traités d’orchestrations, des partitions de Prokoviev ou Bartok. La prose de Belin aime à jouer avec les points de suspension et l’impressionnisme, à figurer des situations furtives plutôt que de les développer. Chanteur d’esquisses, Belin écrit «sans thèmes choisis. Je réponds au présent, aux intempéries comme aux éclaircies. J’écris des chansons comme la bande-son de mon vivant.»

    Se laisser dériver, surprendre, encore et encore. Tout en conservant une dimension épique, énigmatique et mélancolique entre ses stances élégantes et parfois surannées. La chaleur et la rondeur des compositions viennent ainsi contrebalancer à merveille l’économie de mots. Entre folk-rock et pop américains, Belin place de son élégante voix indolente son répertoire sous les auspices croisés de Bill Callahan ou Howe Gelb. Deux références chéries par ce guitariste breton autodidacte qui a collaboré avec quantité de formations (Strompin’Crawfish, Sons of the Desert, Les Enfants des Autres, Néry) et avec le chorégraphe Philippe Découflé après des études d’harmonies et de solfège dans une école de jazz.

    Par ces figures de style enchanteresses, sa poésie des sens, sa fugacité lyrique ou ses silences, celui qui a grandi non loin des ajoncs des côtes sauvages du Morbihan s’affirme comme une perle de la francophonie chantante, dont il contribue assurément – aux côtés de Florent Marchet, Camille ou JP Nataf, au ravalement de façade initié par des Murat, Dominique A, Diabologum ou Mendelson.

     

    Cet article a aussi été publié dans le quotidien suisse Le Courrier du 8 juin 2013