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Les chansons du mois - Page 6

  • Novembre 2013 (II): Les lignes de fuite de Détroit

    Dans la profusion des sorties mensuelles, ne retenons que quelques chansons...

    Détroit, Horizons (Barclay/Universal Music)

     

    Détroit, Horizons, Bertrand Cantat, Pascal HumbertNoir Désir réduit en cendres et son ex-chanteur Bertrand Cantat voué à perpétuité à la conditionnelle artistique. De la controverse autour de son droit à rehausser la voix depuis sa condamnation pour l'homicide en 2003 de sa compagne, l'actrice Marie Trintignant, il faut donc faire abstraction. Pour se focaliser sur l'unique substance résiduelle, à savoir ce premier album de Détroit, nouveau projet de Cantat et du musicien Pascal Humbert (Passion Fodder ou 16 Horsepower) dans le sillage de leur collaboration pour la bande son de la pièce de Wajdi Mouawad autour de Sophocle (Choeurs, 2011).

    Le biennommé Horizons esquisse treize lignes de fuite entre rock et blues sinueux, où orage et rage menacent sans cesse sur fond d'échos autobiographiques. D'indolences en fulgurances, les chansons de Détroit serpentent au rythme d'une âme purgeant sa peine. Litanie de plaies béantes, chants d'abyssales tristesses. A l'image des frissons du fantôme sentimental (poignants « Ange de désolation », « Ma muse » et « Glimmer in your Eyes »), de cet « Horizon » un temps plombé « entre les cloisons » où « le rythme carcéral passe par les tuyauteries », des intermèdes crissants et anxiogènes (« Détroit 1 et 2») qui participent d'un répertoire aux allures d'électrocardiogramme instable. Un inconfort culminant dans les oscillations ténébreuses de l'épilogue instrumental « Sonic 5 ».

    Détroit avance à coup de décharges électriques avant de reculer par un rythme hypnotique ou quelques accords de guitare lumineux. Tensions, suspensions. Damnation et infimes lueurs de rédemption. L'air est chargé sans être vicié. La pesanteur ne s'oxygène qu'au détour de titres plus délayés et moins relevés (« Droit dans le soleil », « Le creux de ta main » aux airs de « Tostaky », « Null and Void ») ou, paradoxalement, de la relecture peu hantée d'«Avec le temps » malgré son poids hautement symbolique. Comme si l'intimisme suffoquant des mots à maux n'autorisait finalement que peu de perspectives enchanteresses.

  • Novembre 2013: Daho en clair-obscur

    Dans la profusion des sorties mensuelles, ne retenons que quelques chansons….

    Etienne Daho, Les chansons de l'innocence retrouvée (Polydor/Universal Music)

    Etienne Daho, Les chansons de l'innocence retrouvée

    Au fil d'un répertoire érudit qui a autant murmuré le noir désarroi que le feu de la passion, les désillusions fatales que les obsessions destructrices et les errances, Etienne Daho s'est mué en dandy tout désigné de la pop française. Pour son album du retour, le onzième depuis Mythomane (1981) produit par feu Jacno, le chanteur rallume son penchant pour les clairs-obscurs.

    En se référant aux Chants de l'innocence et de l'expérience de William Blake, il convoque d'emblée enfer et paradis poétique. Pourtant, au regard des noirceurs introspectives de L'Invitation voilà six ans, Les chansons de l'innocence retrouvée s'avèrent moins un pont des soupirs qu'un jardin du plaisir.

    En ravivant une pop classieuse et ample, ces arrangements si chers à Michel Legrand ou John Barry, Daho parvient à donner de l'air à ses habituelles langueurs mélancoliques. Sa prose plus plombée thématiquement, qui évoque destins brisés, exil clandestin (superbe « Un nouveau printemps »), doutes métaphysiques, paradis perdus ou amours contrariées, s'y délaie aisément. Hormis un titre d'une belle froideur synthétique (la concision à effet miroir d'« En surface » co-signé avec Dominique A), c'est ainsi un Daho charnel qu'on redécouvre.

    Entre perles éclatantes (« Le baiser du destin » ou « L'homme qui marche ») et faux bijoux (l'exercice stylistique qu'est « La peau dure » ou les ficelles discoïdes des « Chansons de l'innocence retrouvée »), ce disque riche en invités de marque (Nile Rodgers ou Debbie Harry) ne brille pourtant vivement que par intermittence. Un tableau clair-obscur en somme.  

  • Septembre 2013

    Dans la profusion des sorties mensuelles, ne retenons que quelques chansons...

    Brigitte Fontaine, J'ai l'honneur d'être (Silene-Decca)


    Fontaine.pngAprès un ravalement de façade de son répertoire volontiers surréaliste, baroque, fantaisiste, libertin, grossier ou vindicatif, opéré principalement en duo (L’un n’empêche pas l’autre, 2011), Brigitte Fontaine revient avec un album original à l’intitulé égocentrique trompeur. J’ai l’honneur d’être étant plutôt un bouquet de chansons truffé d’épines.


    Débutant sous de sombres auspices avec «Camisole de force/Relookée Crazy Horse/Je m’appelle Lola/Je suis une paria», ce dix-huitième album de l’éternelle anticonformiste offre une série de portraits et de confessions aux humeurs changeantes. La chanteuse française, qui aime à varier les costumes depuis son premier manifeste soixante-huitard, Brigitte Fontaine est folle, envoie savoureusement Dieu au diable, conte crûment les vertiges de l’amour et du sexe («Delta», «Les Hommes préfèrent les hommes»), se glisse dans la peau d’une cruelle «Pythonisse», égrène ses pêchés mignons et détestations («J’aime»). Mais sous la provocation, l’émotion et la tendresse affleurent pourtant plus souvent. A l’image de la somptueuse mise à nu sentimentale de «Père».


    Si la voix de ces parlé-chanté n’est logiquement plus très bien assurée au regard de ses 74 ans, Fontaine continue de toucher par des textes poignants soigneusement orchestrés et arrangés par son fidèle compagnon Areski Belkacem. Par touches expressionnistes, il accompagne finement le verbe informel et affranchi de sa muse historique.

    Cette chronique est aussi parue dans le quotidien suisse Le Courrier du 5.10.2013

  • Août 2013

    Dans la profusion des sorties mensuelles, ne retenons que quelques chansons...

     

    Stromae, Racine CarréeStromae, Racine carrée (Mercury)

     

    Révélé voilà trois ans par l'album Cheese et son tube «Alors on danse» malgré l'indigence eurodance et new beat de ses bandes sonores, Stromae se distinguait toutefois par une fibre brelienne tant côté phrasé qu'en termes de narration corrosive et de théâtralité scénique. Un talent d'écriture confirmé par Racine carrée d'où brillent aujourd'hui des titres comme «Formidable»* ou le très personnel «Papaoutai».

    Le chanteur belge d'origine rwandaise âgé de 28 ans a heureusement élargi sa palette musicale pour insuffler par endroit du groove africain ou des rythmes afro-cubains dans sa dance music qui continue d'abuser des codes du genre.

    Sauf que les maux du répertoire s'avèrent cette fois nettement plus grinçants en évoquant paternité, amour, identité, racisme, déracinement, démagogie ou violence conjugale. La cruauté en bandoulière, les mots ciselés de Stromae font plus souvent mouche. D'autant que de lancinantes mélancolies se dégagent de chansons comme ce «Carmen» ravivant l'air de Bizet à l'ère des réseaux sociaux, le spleenesque «Ave Cesaria» en hommage à la défunte diva Evora sur fond de morna ou du gothique «Quand c'est ?» traitant du cancer. En somme, Stromae n'est jamais meilleur que quand il danse sur nos tombes et nos douleurs.

     

     

  • Juin 2013

    Dans la profusion des sorties mensuelles, ne retenons que quelques chansons...


    Mendelson, Mendelson (Ici d'Ailleurs)

     

    Mendelson.jpgIl a vu triple et en noir et blanc. Pour son cinquième essai, le Français Mendelson a imaginé une oeuvre anxiogène aux titres fleuves (jusqu'au jet de 54 minutes de « Les heures », chanson-titre en forme de trou noir du deuxième opus !). Un triptyque discographique époustouflant tout en tensions et dissonances rock, où l'expérimentation ne se révèle jamais impénétrable grâce à un savant dosage de mélodies pop.

     Sur les rivages de Diabologum ou Michel Cloup, le contemporain de Dominique A qui logeait sur le même défunt et exigeant label Lithium assène toujours, vingt ans plus tard, des manifestes d'existentialisme crus. Après le déjà morose double album Personne ne le fera pour nous (2008), Mendelson parvient pourtant encore à muscler et assombrir le ton.

    Les mots coulent ici à flots continus, plus parlés et racontés que chantés. De cette prose oppressante détaillant la noirceur et les errances de l'âme humaine au quotidien jaillissent fulgurances, évidences et troubles notoires. En résumé, l'homme est un loup pour l'homme aux yeux d'un Mendelson qui chasse les strophes délétères, l'angoisse, la honte, le mensonge, la colère et les illusions.

    La mort rôde aussi dès l'entame avec « La force quotidienne du mal (comme seule certitude) » ou « D'un coup » et la prosodie de Mendelson dicte les humeurs lapidaires. Littérateur, conteur, scandeur, le « beau » parleur flirte avec une logorrhée hantée qui paradoxalement n'épuise pas grâce aux finesses de son expressivité rock placées en contrepoint. Un triptyque torturé et tortueux qui prend littéralement aux tripes.

    Cet article est aussi paru dans le quotidien suisse Le Courrier du 22 juin 2013