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  • Episode XX: Olivia Ruiz

    Au début des années 2000, dans le sillage des Biolay, Bénabar, Delerm and co est apparu une nouvelle génération d'auteur-compositeur-chanteur très vite rangée sous l’appellation médiatiquement contrôlée "nouvelle chanson française". Cette nouvelle vague vocale s’apprête en 2010 à célébrer ses dix ans d’existence. Retour dans le désordre sur les albums phares (une trentaine) des trentenaires talentueux qui à leur manière décompléxée ont repris le flambeau des Murat, Miossec, Dominique A ou Katerine des années 90 dont l’écriture leur avait ouvert d’autres voies


    ORuizFemmechoco.jpgOlivia Ruiz, La Femme chocolat (Polydor, 2005)

    "Dans le lit de tous les non-dits sommeillent tous nos paradis." Selon Olivia Ruiz, c'est dans les histoires et secrets de famille qu'elle a surtout façonné l'éden d'une destinée presque toute tracée: "J'arrive à un âge, 24 ans, où, pour continuer d'avancer, j'avais besoin de comprendre qui je suis et pourquoi je suis telle que je suis." Elle s'est définitivement affranchie de cette Star Academy rejointe en 2001 pour fuir "le ras-le-bol de trois ans de balloche, où [elle] chante des choses qui [lui] déplaisent". Crochet cathodique où elle cherche "à passer la vitesse supérieure en entrant en contact avec des maisons de disques" et qui aura constitué un sacré coup d'accélérateur dans son parcours. En témoigne le deuxième album de cette enfant de la balle élevée dans le café de ses grands-parents près de Carcassonne, qui asseoit son identité d'interprète racée. Et dessine la constellation de son héritage musical.

    Au fil du gourmand La Femme chocolat, celle qui arborait des tee-shirts Noir Désir ou Têtes Raides dans les couloirs réglementés du château truffé de caméras se fait tour à tour théâtrale et fatale, conteuse et brailleuse. Sans posture ni imposture, et délestée des quelques gaucheries que contenait son premier album J'aime pas l'amour (2003). Elle étoffe ici son aura naturelle d'interprète douce-piquante, sensuelle-sanglante, en se fondant dans des chansons écrites par quelques membres de la scène rock et néoréaliste française. Olivia Ruiz s'épanouit entre les "Non-dits" signés par Christian Olivier (voix et auteur des Têtes Raides), les contes burlesques ou goulus imaginés par Mathias Malzieu (esprit démoniaque de Dionysos) ou une "Petite Voleuse" créée par une Juliette qui lui avait déjà offert le cynisme craquant de "J'aime pas l'amour".

    Tendre ou furie, Renée Lebas ou Arletty, Fréhel ou Damia, elle réveille habilement des souvenirs: à la fois ceux des chanteuses naturalistes, du répertoire de l'entre-deux-guerres et de toute une scène alternative passant par Pigalle ou, plus rock, la Mano Negra ou les Rita Mitsouko.

    Issue d'une famille musicienne et mélomane, interprète elle-même "depuis l'âge de 12 ans au rythme de 50 concerts par an", Olivia Ruiz est allée jusqu'à s'installer dans le quartier de Montmartre pour renouer avec le Paris populaire: "Je me sens comme une chanteuse de rue. Ma culture musicale – en plus du punk de mon adolescence (Bérurier Noir, Parabellum, etc.) –, du répertoire espagnol et des chanteuses babas cool de ma mère (Greame Alwright, Janis Joplin, etc.), c'est aussi toutes ces grandes tragédiennes réalistes. Elles incarnent pour moi le pendant féminin des chanteurs que mon père me faisait écouter ou apprendre par cœur: Lavilliers, Bécaud, Montand, Nougaro ou Brel. J'habite ainsi au pied du Moulin de la Galette et la chanson du même nom de Fréhel, je la chante sur scène depuis que j'ai 16 ans. Montmartre est une façon pour moi de boucler la boucle." Sans se rêver Amélie Poulain pour autant.

    Au-delà de ces références utiles, La Femme chocolat voit surtout Olivia Ruiz dévoiler ses qualités de plume à plusieurs reprises, au son léger et lancinant du ukulélé ou sur le vif de guitares électriques voire de chaloupements latinos. Pour mieux ancrer sans doute son répertoire dans son présent, tout en tissant des passerelles avec un riche passé et un héritage multiculturel. D'un seul titre imaginé pour son disque inaugural, elle passe à quatre et en a profité pour mettre davantage son grain de sel dans les musiques. Dans "Thérapie de groupe", elle trace une généalogie, un beau portrait de famille même s'il n'est pas complètement autobiographique: "Maman est dépressive, papa manque de confiance/Et moi je suis lascive devant toutes nos errances/[…]Mamie semble pensive, elle voit crever papi/Elle se dit pourvu que je vive, pour penser un peu à ma vie…". Autant de couplets qui renvoient au besoin d'Olivia Ruiz d'explorer ses racines pour cerner sa personnalité. Une extension du domaine de l'intime qui s'est aussi manifesté au fil de chansons abordant son enfance au café de ses grands-parents à Argelès-sur-Mer: "J'traine des pieds" ou "La Fille du vent". Chez Olivia Ruiz, les liens de sang s'affichent à présent jusque sur le livret de La Femme chocolat. Mamie Pépita, Mamie Ruta, Papi Pierre et André, son père Didier Blanc, sa mère, son petit frère, des photos de chacun prises aux côtés d'Olivia s'y bousculent en forme de remerciements éternels.

    (Les citations d'Olivia Ruiz sont extraites d'un papier personnel paru dans Le Temps du 19.11.2005)

  • Episode XIX: Jérémie Kisling

    Au début des années 2000, dans le sillage des Biolay, Bénabar, Delerm and co est apparu une nouvelle génération d'auteur-compositeur-chanteur très vite rangée sous l’appellation médiatiquement contrôlée "nouvelle chanson française". Cette nouvelle vague vocale s’apprête en 2010 à célébrer ses dix ans d’existence. Retour dans le désordre sur les albums phares (une trentaine) des trentenaires talentueux qui à leur manière décompléxée ont repris le flambeau des Murat, Miossec, Dominique A ou Katerine des années 90 dont l’écriture leur avait ouvert d’autres voies


    KislingLeOurs.jpgJérémie Kisling, Le Ours (Note A Bene, 2005)

    Quand il monte à Paris, Jérémie Kisling opte pour l'aller-retour. Choyé chez lui, dépaysant pour les amoureux de la chanson française, son art leste doit beaucoup à ce plan de carrière calqué sur les circulations du TGV-Ligne de cœur. Le moins romand des chanteurs helvètes, l'ex-Monsieur Obsolète enjambe les frontières comme il défie les ans. En transit entre l'enfance et l'âge adulte, son écriture asexuée en ferait le barde idéal des classes enfantines. N'était cette maîtrise insolente dans l'art de dégourdir ses fables, de vriller la syntaxe et de courber la mélodie pour qu'elle s'insinue, souveraine, dans le creux des oreilles les plus blasées.

    Célébré urbi et orbi sur la foi d'un premier disque autoproduit aux charmes primesautiers en 2002, Jérémie Kisling hausse le ton sur Le Ours. Un deuxième album à la pop limpide et fiévreuse, consacrant l'écriture ludique d'un jeune homme au romantisme réaffirmé. Et à l'écriture (r)affinée: "Le premier disque ressemblait plus à de la poésie abstraite, mais était pudique et intimiste. Pour Le Ours, je voulais traiter de sujets qui me touchaient plus directement avec le risque de paraître naïf. J'ai eu plus de difficultés paradoxalement à écrire des textes naïfs, parlant de chiens d'aveugle ou de singes dans un zoo, parce que les sujets me touchaient énormément".

    "Le Ours: un disque au poil", s'est même amusé à proposer en guise de titre Jérémie Kisling à l'intention des médias qui y succomberaient. La formule est jolie mais réductrice. S'il ne propose par encore un bestiaire aussi fourni que Thomas Fersen, le second album du chanteur au timbre séducteur y va de sa galerie animalière. Au générique de son fablier pop, on croise ainsi une baleine d'eau douce et un nounours, une hirondelle, un toutou bienveillant et un babouin.

    Fables enchantées, contes tendres, sensibles et d'une naïveté délicieuse que s'est autorisée son âme de grand enfant par le biais de "Je guide tes pas", "Le Ours", "Teddy Bear" très voulzien et "Horizon grillé". Ailleurs, ce sont surtout les rapports humains qui l'inspirent. Affaires de cœur, de séduction, de désillusions passagères souvent désamorcées par un humour et des formules décalées où surgissent soudain "l'indolent Delerm" et le "vieux Souchon". A l'exception des sirupeuses «Etoiles», plus dignes de la Star Academy que de Kisling, Le Ours est truffé de morceaux de premier choix.

    Pour lesquels celui qui vient de signer une composition rock pour l'album de Thiéfaine (Scandale mélancolique) a choisi un écrin pop d'une élégance raffinée. Des sonorités amples et chaleureuses, avec chœurs, piano, sifflements, cordes, trompette et parfums rétro, qui charrient d'authentiques trésors mélodiques: "J'suis plus jaloux (je m'en fous)" et "T'es têtue toi" notamment. Kisling a aussi offert une partition à Grégory Wicky (Chewy, Pendleton) – son "musicien suisse préféré, idole d'adolescence qui m'a donné envie de monter sur scène" – pour un "Rendez-vous" galant d'une courtoisie exemplaire. Le Ours, la griffe d'un jeune homme de cœur assurément.

  • Episode XVIII: Pierre Lapointe

    Au début des années 2000, dans le sillage des Biolay, Bénabar, Delerm and co est apparu une nouvelle génération d'auteur-compositeur-chanteur très vite rangée sous l’appellation médiatiquement contrôlée "nouvelle chanson française". Cette nouvelle vague vocale s’apprête en 2010 à célébrer ses dix ans d’existence. Retour dans le désordre sur les albums phares (une trentaine) des trentenaires talentueux qui à leur manière décompléxée ont repris le flambeau des Murat, Miossec, Dominique A ou Katerine des années 90 dont l’écriture leur avait ouvert d’autres voies

     

    Lapointe.jpgPierre Lapointe, Pierre Lapointe (Audiogram, 2005)

    "Dites-moi que vous m'aimez, que je suis le plus beau et le meilleur. Autrement, je vous crache au visage et je quitte cette scène." La réplique arrogante a contribué à révéler l'une des plumes les plus raffinées de la nouvelle vague québécoise. On pouvait l'entendre dans les premiers tours de chant de Pierre Lapointe, dandy épris des sixties et des seventies pop découvert de ce côté-ci de la francophonie au crépuscule de l'an 2000. Et qui, comble de l'ironie, n'avait jamais spécialement songé à chanter, attiré plutôt par l'acte de création pur mais dans le domaine des arts visuels. En scène, pieds nus et attitude précieuse, son rôle de roitelet imbu de lui-même lui a pourtant ouvert les portes de son nouveau paradis terrestre. La posture frisant l'imposture de cet auteur-compositeur et interprète, âgé alors de tout juste 20 ans, n'était destinée en fait qu'à planquer une maladive timidité: "Pour l'atténuer, j'étais obligé de créer ce personnage. Et puis j'avais suivi des cours de théâtre jusque-là surtout. Cela me permettait aussi d'aller chercher les gens par le rire pour les emmener vers mes chansons inconnues."

    Au Québec, où faire rire les spectateurs entre les chansons semble plus important qu'en Europe, le répertoire trempé de surréalisme et de souvenirs nostalgiques qu'échafaude Pierre Lapointe fait rapidement mouche. L'univers fin que forment ses couplets littéraires et maniérés charriant une certaine désuétude de plume recueille une moisson de prix dans différents festivals québécois. Adoubement général passant par le capital Festival international de la chanson de Granby en 2001, là où ont été récompensés par le passé Jean Leloup et d'autres talents.

    Artiste réellement moderne, touche-à-tout citant alors Fantaisie militaire de Bashung et Les Palaces de Brigitte Fontaine comme albums lui ayant donné envie d'écrire, Barbara et Gainsbourg comme chocs musicaux de sa prime adolescence et Charlebois comme Dufresne pour le volet canadien, le premier album éponyme de Pierre Lapointe est paru en mai 2004 au Québec. Il s'y est écoulé à plus de 50 000 exemplaires et a valu au jeune homme le fameux Prix Felix-Leclerc des jeunes talents. Avant de gagner la France plus discrètement l'année suivante. Les chansons de Lapointe, "Le Columbarium" ou "La Reine Emilie", ont servi de tapis sonore à un spectacle de Diane Dufresne; le romantisme classique, entre cordes, piano et percussions frottées, qui enveloppent l'absurde "Octogénaires" évoquant de vieux nymphomanes kidnappant sa mère, s'instille vite dans le cortex. Charme et limpidité mélodique sont aussi omniprésents sur des titres narrant une "Reine Emilie" hermaphrodite ou au fil du poignant et beau "Tel un seul homme" axé sur la solitude et la mort: "Cette mère marie, mère chimère de patrie/Celle qui viendra nous arracher la vie, celle qui comme l'enfant nous tend la main pour mieux tordre le cou du destin."

    Lapointe a l'élégance anachronique de l'âge d'or chansonnier. A son entrée en chanson, il s'est ainsi vu qualifier de chanteur à textes. Il continue de renier vigoureusement aujourd'hui ce malentendu: "Excepté ma théâtralité, je ne vois pas l'affiliation." Et il a raison. Il serait plutôt du côté de Gainsbourg que de Brel, de la famille des Benjamin Biolay ou Albin de la Simone actuels que de Bénabar ou Delerm. Elevé à Gatineau, dans l'Outaouais québécois, ce Lapointe-là apprécie aussi les spectacles conceptuels: Petites chansons laides, Dans la forêt des Mal-Aimés (concert avec un ensemble de musique contemporaine qui inspirera son album suivant) et Pépiphonique aujourd'hui.

    En phagocytant les esthétiques, en expérimentant sans cesse, il se voit "comme un punk faisant de la peinture". L'abstraction, le côté sensoriel, phonétique et rythmique des mots priment pour Pierre Lapointe, qui pense «mieux savoir expérimenter sur scène que sur disque». Il travaille d'ailleurs avec un collectif de photographes et de sculpteurs pour des visuels scéniques et chérit plus que tout les télescopages musicaux entre avant-garde et pop. Autant de fusions qui filteront sur les deux albums suivants de ce dandy pop.

    (Les citations de Pierre Lapointe sont extraites d'un papier personnel paru dans le quotidien "Le Temps" du 6 août 2005)

  • Episode XVII: Camille

    Au début des années 2000, dans le sillage des Biolay, Bénabar, Delerm and co est apparu une nouvelle génération d'auteur-compositeur-chanteur très vite rangée sous l’appellation médiatiquement contrôlée "nouvelle chanson française". Cette nouvelle vague vocale s’apprête en 2010 à célébrer ses dix ans d’existence. Retour dans le désordre sur les albums phares (une trentaine) des trentenaires talentueux qui à leur manière décompléxée ont repris le flambeau des Murat, Miossec, Dominique A ou Katerine des années 90 dont l’écriture leur avait ouvert d’autres voies

     


    Camille - Le Fil.jpgCamille, Le Fil (Virgin, 2005)

    Un Fil aux mille et une voix et à l'ébouriffante richesse harmonique qui orchestre une sidérante plongée intime entre soul, jazz, pop et chanson. Un ovni discographique dans le paysage chansonnier dont les facettes oscillent entre sophistication et candeur, esprit ludique et états d'âme poignants, traits de jouvence et maturité solide. Le fil d'Ariane de Camille - Parisienne de 27 ans qui tirait la langue aux cérémoniales Victoires de la musique où elle avait été sacrée deux fois en 2006 et qui joue parfois à la punkette surexcitée-grimée en scène- réussit ainsi à parcourir toute la gamme des émotions musicales. De la hargne funk à l'abandon lyrique des années 30 façon Piaf, via les transes africaines et la sensualité feutrée de la nu-soul américaine.

    Avec, en guise de basse continue et de train fantôme, une seule note de voix tenue sur toute la longueur de l'album. A la sortie de ce Fil aussi équilibriste qu'équilibré, la caméléone et virtuose chanteuse détaillait ainsi la genèse de cette idée originale: "Si l'on prend toutes les musiques du monde, on s'aperçoit que la plupart utilisent un bourdon, une tonalité qui ne change pas. Cette capacité à se poser sur une ligne, à garder une base forte, c'est quelque chose qui manque à la musique occidentale. Et peut-être même à la culture occidentale dans son ensemble."

    Camille en a réhabilité le principe sous nos cieux. Elle en a par ailleurs profité pour y suspendre tout autour ses métaphores existentielles, ses airs de "jeune fille aux cheveux blancs" qui ne lassent toujours pas. "Avec cette image toute simple, je voulais décrire à la fois le propos musical et la teneur de mes textes, qui parlent beaucoup de ruptures, de la façon dont on garde le fil tout en traversant toutes sortes d'états. Le fil conducteur, c'est cet espace extrêmement ténu qui nous accompagne quoi qu'il arrive." Contorsionniste, funambule, élastique, transformiste certes, mais avec toujours une ligne d'horizon fluide en tête, Camille déverse avec la même souplesse et candeur gros mots et drôleries, incongruités et truismes ou vérités.

    De jeux de rôle en jeux de langue et langage, elle a affirmé les multiples visages que sa jeune carrière a révélés depuis Le sac des filles, premier disque espiègle et insolent paru en 2002. Qu'elle campe les choristes de luxe et désinvoltes pour le précieux Jean-Louis Murat ou les trop discrets Gérard Manset et Franck Monnet; qu'elle interprète en anglais des reprises de tubes new wave façon bossa-nova pour le projet au succès faramineux Nouvelle Vague ou qu'elle prête son souffle aux chansons de son ancien guitariste Sébastien Martel, elle surprend souvent. Et détonne toujours. Posée et téméraire, caractérielle et lunaire, polyglotte, Camille sait être tout cela. Une saine et profitable versatilité pour ce phénomène indolent.

  • Janvier 2010

    Dans la profusion des sorties mensuelles, ne retenons que quelques chansons...

     

     

    Fleurent-Didier.jpgArnaud Fleurent-Didier, La Reproduction (Columbia, 2010)

    Près de six ans après le détonnant Portrait du jeune homme en artiste, Arnaud Fleurent-Didier revient à la chanson avec cette ambitieux La Reproduction. Une symphonie pop aux élans toujours passionnels et aux sonorités très seventies en forme de confessions chantées. Après avoir thématisé autour des affres du créateur, le Parisien s'interroge cette fois sur l'atavisme, l'héritage culturel, la mémoire collective, l'amour, le sexe et quelques futilités modernes. Avec une ironie constante et parfois une mordante froideur, Arnaud-Fleurent-Didier réussit un disque aussi atypique que lyrique. Où transpire peut-être les doutes de sa génération de trentenaire.

    La Reproduction possède un souffle, une luxuriance orchestrale, une finesse dans les arrangements et une richesse mélodique rarement croisées au sein de la production francophone actuelle. Et dont le spectre esthétique embrasse autant les BO de Michel Legrand, François de Roubaix ou Francis Lai que les élans pianistiques d'un Polnareff. Reste que l'esthétique pop de Fleurent-Didier le rapproche davantage du romantisme d'un Katerine d'avant Robots après tout, d'un Florent Marchet ou d'un Julien Ribot malgré quelques traits eighties d'un goût douteux.

    Dans le sillage du gainsbourien "France Culture", ouverture passant en revue l'héritage de 68, le chanteur enchaîne sur les délices amoureux. Puis toute La Reproduction d'alterner une sorte de froid politisé (l'engagement, la révolte) et de chaud émotionnel (sentiment aimant, filiations). Avant de conclure sur le touchant "Si on se dit pas tout" sur sa relation avec son père. Du grand oeuvre avec l'air de ne pas y toucher.