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  • Episode XXIV: Lola Lafon & Leva

    Au début des années 2000, dans le sillage des Biolay, Bénabar, Delerm and co est apparu une nouvelle génération d'auteur-compositeur-chanteur très vite rangée sous l’appellation médiatiquement contrôlée "nouvelle chanson française". Cette nouvelle vague vocale s’apprête en 2010 à célébrer ses dix ans d’existence. Retour dans le désordre sur les albums phares (une trentaine) des trentenaires talentueux qui à leur manière décompléxée ont repris le flambeau des Murat, Miossec, Dominique A ou Katerine des années 90 dont l’écriture leur avait ouvert d’autres voies


    LolaLafon.jpgLola Lafon & Leva, Grandir à l'envers de rien (Label Bleu, 2006)

    Des mots qui claquent. Des maux qui giclent. Et des doutes qui assaillent. Une rage au ventre trop rarement perçue au pays de la chanson bien élevée, trop bien peignée. Les pertinences et les saillies, les évidences et les coups de boutoir, les cicatrices et les convictions de Lola Lafon font un bien fou. Parce que Grandir à l'envers de rien prend aux tripes, ne ressemble à rien d'autre et opère un redoutable remue-ménage de certitudes. Grâce à une suite de chansons en forme de carnets intimes autant que de manifeste, balancée sur une lame de fond de rock balkanique par son groupe Leva, Lola Lafon brise brillamment tabous et silences pesants.

    La grande musique intérieure de cette écrivaine muée en auteure-interprète déroutante et anarchiste a vite fait de vous hanter. Comme rarement depuis peut-être Brigitte Fontaine dans la marge de la sphère féminine chantée. Puis impossible de s'en dépêtrer, tant les partitions folk-rock cabossées alliées à son chanté-parlé polyglotte, polymorphe et poétiquement maudit installent des atmosphères intenses. Une incandescence qui brûle littéralement le cœur parce qu'habitée toujours aussi d'émotion et d'histoires fortes. Même quand ils offrent une âme gitane au "Paint it, black" de ces diables de Stones, Lola Lafon & Leva stupéfient, bouleversent.

    Ex-squatteuse, militante anti-fasciste/sexiste accomplie, Lola Lafon avait déjà fait parler la poudre lexicale en 2003 sur un premier roman paru chez Flammarion et intitulé Une Fièvre impossible à négocier. Un mini best-seller où elle narrait le parcours de survie d'une jeune fille violée en quête d'horizons et de révolution neufs. Le livre recelait déjà des partitions qui laissaient entendre un logique prolongement discographique. Deux ans de spleen traîné dans les cafés aux côtés des musiciens de Leva, une maquette bricolée à la maison avec des bouts de rock, de tzigane, de Bartók, de Rimbaud, de Beastie Boys ont fini par rendre fabuleusement audibles les pages noircies de Lola Lafon.

    Grandir à l'envers de rien dévoile un répertoire de fulgurances. Inscrit dans une époque orageuse et libérale où les valeurs sociales sont mises à mal, ce premier album évoque un quotidien de déceptions, de trahisons et de rêves insidieusement emberlificotés. Pas de place ici pour les cyniques, les sceptiques ou l'anecdote. Lola Lafon réveille les souvenirs de son enfance en Roumanie et en Bulgarie, ose aussi les "je" volontaristes pour tenter de "décongeler (ses) rêves", appeler à une "aube nouvelle". Bien que "la peur court plus vite que les balles" dans sa tête comme dans l'Etat français sous régime sarkozyen, elle conserve une "drôle de rage" qui pourrait lui "servir, si on veut m'asservir", chante-t-elle. "C'est beau la Police qui recule", glisse encore la fille de profs communistes qui emprunte "Deux trous rouges au côté droit" à qui de droit avant de conclure: "S'ils laissent nos vies dans l'ombre, il faudra bien le faire/Faire le feu pour la lumière" (sur "Lele Jano").

    Guitares, accordéon, basse, samples maltraitent ces chansons mélancoliques imaginées comme des reprises de traditionnels roumains. Le folk, de Dylan à Patti Smith, via Cat Stevens, c'est visiblement la grande affaire aussi d'une Lola Lafon dont les utopies sont passées encore entre les bras des Clash, ou de Barbara pour la souplesse et la théâtralité vocale. Au fil de ces chants partisans, de saines révoltes, c'est une époque funeste qui se dessine ici des destins touchants et plus humains.

  • Episode XXIII: Vincent Delerm

    Au début des années 2000, dans le sillage des Biolay, Bénabar, Delerm and co est apparu une nouvelle génération d'auteur-compositeur-chanteur très vite rangée sous l’appellation médiatiquement contrôlée "nouvelle chanson française". Cette nouvelle vague vocale s’apprête en 2010 à célébrer ses dix ans d’existence. Retour dans le désordre sur les albums phares (une trentaine) des trentenaires talentueux qui à leur manière décompléxée ont repris le flambeau des Murat, Miossec, Dominique A ou Katerine des années 90 dont l’écriture leur avait ouvert d’autres voies

     

     

    Delerm2002.jpgVincent Delerm, Vincent Delerm (Tôt ou Tard, 2002)

    Nouvelle plume française cinéphile, Vincent Delerm réussit son entrée parmi les auteurs intimistes. Si la langue est sobre, parfois affectée aussi, les métaphores sont luxuriantes au cours de cette suite d'histoires douces-amères ou décalées. Entre clins d'œil à des figures du septième art ("Fanny Ardant et moi", "Deauville sans Trintignant"), compte rendu drolatique de l'ennui ("Le monologue shakespearien") ou inventaire amoureux à la Prévert ("Cosmopolitan", avec l'actrice Irène Jacob), Delerm ballade sa voix, linéaire et qui ne sonne pas toujours juste, guidé par un piano. Ainsi que des pincées de cordes et de ténues notes cuivrées.

    "Il peut y avoir autant de romantisme et de lyrisme dans le fait de faire ses courses qu'à se trouver en haut d'un volcan ou au bord d'un lac." La formule du fils de l'écrivain Philippe Delerm contient tout entière le credo qu'il a adopté et travaillé en chanson. Son répertoire parvient d'ailleurs à rendre émouvante une "blanquette de veau", à sublimer les détails du quotidien. Si bien que beaucoup voient déjà en lui le renouveau de la chanson française. Peu après la publication de ce premier disque, le jeune premier de 26 ans féru de François Truffaut et d'Alain Souchon n'a d'ailleurs plus eu une minute à lui. L'humour fin de ce Normand à l'écriture singulière, les touches de deuxième degré plus saillantes et la mise en scène originale de son spectacle ont fait de sa tournée un rendez-vous plébiscité.

    Ex-étudiant en lettres se destinant à une carrière de professeur, baigné "dans une culture familiale portée sur la chanson et le cinéma intimiste", Delerm cultive un goût pour "une écriture sociale, très britannique" dès l'adolescence. "A l'époque, il y avait déjà une grande proximité entre ce que je vivais et écrivais. Tout en mettant de la distance, de l'ironie, parler de moi m'intéressait particulièrement. L'alternance et l'équilibre entre ces deux axes d'une même vie me fascinent."

    Pas de narcissisme dans cette démarche, juste l'envie de donner corps à ses désirs. Des cours de théâtre permettent à l'auteur et compositeur d'exprimer plus facilement cette idée en public. "Faire de la chanson, ce n'est pas être qu'une bulle d'émotion qui se livre. Il faut tenter d'éviter les écueils dans un récital. Calculer les effets, même si le mot effraie les artistes."

    Chanteur lucide, le protégé de Thomas Fersen réunit ses chansons-tableaux sur disque. Un carton. Soucieux de cohérence, il ne garde qu'une poignée de textes abusant de noms propres et de références – "pour exister au début, il faut enfoncer le clou" – et prend soin du son. Les ambiances reflètent un état d'esprit mélancolique identique aux mots: "Ce n'est pas de la tristesse. Mais de la joie dans la mélancolie, liée à une forme d'ennui." Qui ravit souvent, agace parfois par son omniprésence. Mais ne laisse rarement indifférent.

    (Les citations de Vincent Delerm sont extraites d'un papier personnel paru dans le quotidien Le Temps du 7 février 2003)

  • Episode XXII: Cali

    Au début des années 2000, dans le sillage des Biolay, Bénabar, Delerm and co est apparu une nouvelle génération d'auteur-compositeur-chanteur très vite rangée sous l’appellation médiatiquement contrôlée "nouvelle chanson française". Cette nouvelle vague vocale s’apprête en 2010 à célébrer ses dix ans d’existence. Retour dans le désordre sur les albums phares (une trentaine) des trentenaires talentueux qui à leur manière décompléxée ont repris le flambeau des Murat, Miossec, Dominique A ou Katerine des années 90 dont l’écriture leur avait ouvert d’autres voies


     

    CaliAmourparfait.jpgCali, L'Amour parfait (Labels, 2003)

     

    Maux d'amour et amour des maux. Cali explore les cordes sensibles de son âme. Une âme de damné plutôt que de bienheureux. Arrache-cœur plutôt qu'attrape-cœur, fataliste plus que conquérant: "Si tu dois t'en aller croquer le cul d'autres garçons/Je ne pourrais qu'accepter ta lamentable démission", admet un titre comme "Tes désirs font désordre". Plus loin, Cali peut aussi se montrer corrosif et cruel: "J'ai le sourire jusqu'aux oreilles/De te voir déguerpir ma vieille […] Et pense à dire à ta mère que je ne l'aime pas […] Va donc en saboter un autre bon débarras" ("Le grand jour"). En dix mélodies du malheur et trois chansons d'un infime espoir, l'auteur-compositeur-interprète navigue sur des flots d'écorchures intimes, de cicatrices sentimentales avec un style et un allant déconcertants.

    Les notes d'optimisme chez Cali ont une brève durée de vie, toujours happées par une répartie vacharde, une idée cinglante. Mais le chanteur d'origine catalane est un équilibriste, il a des audaces et des choix musicaux radicaux qui, pour un album solo inaugural, demeurent rares sur la scène de la chanson rock francophone de 2003. Si l'amour implique les compromis, toute l'intelligence de son répertoire est de ne pas s'y résoudre. Réunie cyniquement sous le titre L'Amour parfait, cette collection de fêlures que livre en pâture Bruno Caliciuri de son vrai nom fait ainsi preuve d'une abrupte cohésion, qui tient plus de la thématique que d'une unité stylistique. Où amour et orgueil blessés, trahisons mesquines, meurtrissures plus ou moins béantes, divorces pas à l'amiable participent d'un mélodrame pourtant pas annoncé. Car à la question liminaire "C'est quand le bonheur?" posée sur l'album, douze chansons répondent insidieusement et de concert "jamais"! Tandis qu'un piano, une guitare acoustique et des cordes enveloppent les souffrances dévoilées dans des linceuls de tristesse. Empruntant leurs effets à la fois à la grammaire pop-rock et à des factures plus classiques de la chanson (fanfare, orchestre symphonique).

    Reprenant à son compte une filiation qui passerait autant par Ferré et Brel que Miossec, Dominique A ou Arthur H, Cali n'en a toutefois hérité aucun tic. Ce natif d'une bourgade proche de Perpignan parle de cul avec sa diction et ses accentuations particulières, exprime ses déconvenues et ses coups de gueule comme ça lui chante. Avec des faux airs de Brigitte Fontaine au masculin. Disque exutoire à l'adresse des femmes, L'Amour parfait règle visiblement quelques comptes avec des "ex" tout en griffant le sentiment amoureux en général. Inspirées d'un parcours de vie tumultueux – une enfance nourrie d'amours et de tragédies dit la biographie –, les chansons portent en elles aussi cette instabilité chronique. Elles vacillent sur une guitare ombrageuse alors que l'ambiance est aux cordes romantiques, se prennent les pédales sur une batterie tapageuse alors que le piano offrait un éclairage lumineux. Pas en reste d'anicroches, L'Amour parfait se conjugue donc essentiellement à l'imparfait. Et se vit par à-coups, dans une alternance brusque de quiétude et de contrecoups.

    Néophyte de 35 ans, musicien autodidacte ayant fait ses armes dans deux formations pop sans lendemain, Cali a écumé les scènes indépendantes en bande avant de se résoudre à poursuivre son chemin en solitaire. Le goût d'écrire se concrétise à travers des compositions piano-guitare. De ces séances déjà marquées par les plaies laissées par les étreintes amoureuses apparaissent quelques titres phare de ce premier album. Parmi une quarantaine de titres, l'homme qui s'affiche avec un chat et ses griffures en peaufine une quinzaine pour la scène, en quatuor. Quelques premières parties, de Bénabar notamment, et une prestation aux Francofolies de la Rochelle l'an dernier, entérinent une bonne réputation qui se confirme pleinement aujourd'hui sur ce disque réalisé, enregistré et mixé par Daniel Presley (Breeders, Venus, Spain).

    La crudité des couplets alliée à des histoires taillées au cutter, à la diversité des atmosphères entre calme et tempête, à des options instrumentales en clair-obscur et à une voix claire rentre-dedans donnent à L'Amour parfait une allure mature. Sous un titre trompeur, aguicheur peut-être, Cali boit le calice de l'amour jusqu'à la lie. Et crache son venin avec cette pointe d'élégant dédain qui devrait en faire un grand outsider de demain.

  • Epoustouflant JP Nataf

    Incursion mardi 9 février nuit au festival Les courants d'airs de Thonon-les-Bains (74). Où JP Nataf défendait sur scène l'impressionnisme impressionnant de Clair, son excellent deuxième album solo paru en novembre dernier. L'ex-commandeur des Innocents s'y est montré littéralement époustouflant. Donnant une chair classieuse et une amplitude folle à ses déjà grandes chansons pop. Derrière sa paire de petite lunette fumée et son collier de barbe - désormais seconde peau de son personnage de barde désinvolte tendance néo-folk, JP Nataf y conjugue d'abord son souffle mélodique et poétique avec des pépites comme "Monkey", "Viens me le dire" ou "Elle". Et son trio (basse-ukulélé/claviers-guitares/batterie) de se faufiler toujours très subtilement dans ces chemins de traverse harmoniques, avant d'activer quelques détours plus rock qui permettent de captivantes saillies maîtisées au coeur d'un paysage musical plutôt paisible.

    D'une fluidité insensée malgré la luxuriance et la densité des décors intérieurs ("Après toi", "Les lacets"), le répertoire de Nataf révèle un groove rarement croisé aujourd'hui au sein de la scène d'expression française. Une finesse classieuse doublée d'une mélancolie pop inouïe qui s'appuient sur une apparente simplicité. Autant de lignes claires, parfois perturbées par d'hallucinés élans ("Je mange mal" ou "Jeune homme"), qui se métamorphoseront en "myosotis" au moment d'un premier final. Au milieu de rappels répétés mérités, JP Nataf bluffe encore son monde avec une version acoustique, assis seul à la guitare en front de scène, de "Mon ami d'en haut". Un ange passe. Les inconditionnels des Innocents repartent même avec le refrain d'"Un monde parfait" en guise d'épilogue. Nataf, c'est une classe resplendissante.

  • Episode XXI: Adrienne Pauly

    Au début des années 2000, dans le sillage des Biolay, Bénabar, Delerm and co est apparu une nouvelle génération d'auteur-compositeur-chanteur très vite rangée sous l’appellation médiatiquement contrôlée "nouvelle chanson française". Cette nouvelle vague vocale s’apprête en 2010 à célébrer ses dix ans d’existence. Retour dans le désordre sur les albums phares (une trentaine) des trentenaires talentueux qui à leur manière décompléxée ont repris le flambeau des Murat, Miossec, Dominique A ou Katerine des années 90 dont l’écriture leur avait ouvert d’autres voies

     

    AdriennePauly.jpgAdrienne Pauly, Adrienne Pauly (2006)

    Avec Mademoiselle K, Nadj ou Katel, Adrienne Pauly a teinté de guitares électriques des mots crus. D'émois en désastres amoureux sur un mode plutôt rock'n'roll, toutes ont redoré à leur façon le blason du blouson noir porté bombé. Sauf qu'Adrienne Pauly a un truc en plus. Ex-comédienne, cette Française a la gueule et les allures délurées d'une perdante magnifique. Elle dit d'ailleurs qu'elle a longtemps eu l'impression d'être une ratée. La chanson est venue à son secours, exutoire temporaire des quelques souffrances et désillusions accumulées quatre ans durant. Période "j'ai touché le fond".

    Son premier album recèle une addictive crise de nerfs. "J'veux un mec", titre emblématique d'un répertoire nourri tant de la dramaturgie d'une Fréhel que de l'opérette, du rock à la Rita Mitsouko ou de la poésie à la Trenet, de Gainsbourg comme de Chevalier ("Si vous connaissiez ma poule").

    Le style Pauly s'appuie sur une écriture au cordeau, imagée. Celui d'une fille qui se prend pour un mec. Avec davantage de poésie dans la déchéance animale. Son personnage de romantique à fleur de peau, de brune dominatrice en scène, elle l'a cultivé en picolant dans les bars de Paname. Au lieu de s'y faire des amis, la noiraude y glane des histoires interlopes, des récits de soirées pourries et une magnifique déconvenue au pieu ("L'amour avec un con"). Reflets d'un quotidien aussi foireux que déluré en somme. Un père metteur en scène pour la télé, une mère scénariste font peut-être qu'elle sait cadrer la focale de chansons qui ont le goût âcre du quotidien. Sans s'y complaire. Avec une salutaire désinvolture et une bonne dose de fêlure vocale collant bien aux aventures mi-glam mi-trash de cette furie- chipie d'Adrienne Pauly.