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pop - Page 4

  • Mai 2013

    Bertrand Belin, chanson de traverse

    Tout en rondeurs folk-rock et éclaircies pop, «Parcs» (Cinq7) poursuit la quête d’épure du Français.

    Bertrand-Belin-Parcs.jpgUn tarmac en guise de bienvenue à bord de Parcs. Le béton pour signifier la verdure. Une fois de plus, la forme et le fond semblent en contradiction chez Bertrand Belin. Pourtant, à y regarder de près, le quatrième album du chanteur-conteur est plus cohérent qu’il n’y paraît. Tant Parcs est encore et avant tout une exquise invitation au voyage et vagabondage.

    En un peu moins de dix ans, Belin est passé maître dans l’art de générer l’évasion, l’échappée belle atmosphérique. La chanson de traverse constitue sa prouesse. Dans Sorties de route (Ed. La Machine à cailloux, 2011), petit ouvrage où le Français réfléchit au processus de création, il s’interroge d’ailleurs sans vraiment répondre: «Mes chansons ne sont-elles pas, après tout, l’accompagnement sonore d’une dérive ou, plus justement, celui de l’éloignement d’une rive?»

    Au bout du fil, à l’heure de l’interview, on persévère pour décrocher une explication: «Je vois cela comme le plongeon ou des choses paradoxales qui questionnent les frontières. La dérive, cela peut autant être fuir le nazisme que s’éloigner en nageant. Ce qui me plaît dans cette notion et dans la chanson, c’est l’ambivalence, la promesse romanesque, le ressort dramatique, la beauté de l’inexorable».

    DÉVELOPPER SA SURVIE
    En toile de fond de Parcs apparaissent aussi ses préoccupations récurrentes: «La fuite du temps, la façon dont on s’arrange avec la solitude ou la vieillesse, dont on s’accommode avec notre bout de lorgnette dans ce monde complexe.» L’esthète Belin confesse écrire pour développer sa survie, conjurer les secondes qui s’égrènent: «Je trouve qu’on pourrait tout résumer ou lire à l’aune de la flèche du temps. L’histoire des techniques, du progrès n’est que cela. Mais je songe au temps comme à un véhicule. Le temps comme le voyage, le déplacement, le paysage du vivant. Dans cette idée, le futur me passionne autant que le passé. En somme, c’est l’ironie métaphysique du ­vivant qui me captive et nourrit mon répertoire.»

    Parcs offre un magnifique tour du propriétaire. Où l’on chemine aux côtés de personnages déboussolés (un homme au bord d’un plongeoir, un autre perdu, des hommes qui se battent, un couple qui se querelle) au coeur de paysages verts, broussailleux, pluvieux ou brumeux. Une faune indéfinie qui s’égare puis repart entre variations climatiques et changements d’humeur, à l’image de l’existence. Et le lexique volontiers symbolique et naturaliste de Belin, qui se déploie dans ces espaces temporels suspendus, de signifier joliment son art pointilliste du micro-détail mallarméen.

    Il y a trois ans, l’éblouissant Hypernuit privilégiait les épures à la Satie. En réaction aux luxuriances orchestrales de La Perdue (2007) avec force cordes et vents lyriques, Belin s’était soudain interdit les effets musicaux et les afféteries de langue pour imaginer un album «asséché, osseux». Entre ces deux extrêmes, Parcs trouve une voix apaisée et charrie un répertoire folk-rock plutôt alangui. «Parcs est clairement davantage une suite qu’une rupture. S’il y a souvent un nécessaire et logique inversement des polarités, je vois cet album plus comme un rafraîchissement, avec un ensoleillement plus pop sous quelques contours. Mais j’ai continué par contre mon travail sur la disparition de la masse de texte, comme sur Hypernuit».

    ÉNIGMATIQUE ET MÉLANCOLIQUE
    Une épure textuelle en forme d’obsession poétique pour ce Belin qui a dévoré Philippe Jacottet, Raymond Roussel, Francis Ponge, Henri Michaux ou Kazuo Ishiguro avec la même appétence que des traités d’orchestrations, des partitions de Prokoviev ou Bartok. La prose de Belin aime à jouer avec les points de suspension et l’impressionnisme, à figurer des situations furtives plutôt que de les développer. Chanteur d’esquisses, Belin écrit «sans thèmes choisis. Je réponds au présent, aux intempéries comme aux éclaircies. J’écris des chansons comme la bande-son de mon vivant.»

    Se laisser dériver, surprendre, encore et encore. Tout en conservant une dimension épique, énigmatique et mélancolique entre ses stances élégantes et parfois surannées. La chaleur et la rondeur des compositions viennent ainsi contrebalancer à merveille l’économie de mots. Entre folk-rock et pop américains, Belin place de son élégante voix indolente son répertoire sous les auspices croisés de Bill Callahan ou Howe Gelb. Deux références chéries par ce guitariste breton autodidacte qui a collaboré avec quantité de formations (Strompin’Crawfish, Sons of the Desert, Les Enfants des Autres, Néry) et avec le chorégraphe Philippe Découflé après des études d’harmonies et de solfège dans une école de jazz.

    Par ces figures de style enchanteresses, sa poésie des sens, sa fugacité lyrique ou ses silences, celui qui a grandi non loin des ajoncs des côtes sauvages du Morbihan s’affirme comme une perle de la francophonie chantante, dont il contribue assurément – aux côtés de Florent Marchet, Camille ou JP Nataf, au ravalement de façade initié par des Murat, Dominique A, Diabologum ou Mendelson.

     

    Cet article a aussi été publié dans le quotidien suisse Le Courrier du 8 juin 2013

  • Mars 2013 (I)

     

    Dans la profusion des sorties mensuelles, ne retenons que quelques chansons...


    BabX, Drones personnelsBabX, Drones personnels (Wagram Music/Cinq 7)

    En 2006, dans un premier album épicurien et enchanteur, BabX télescopait savamment son melting-pot d’influences: Ferré, Coltrane, Nougaro, NTM, musiques du monde et BO de films. Trois ans après, on devinait à nouveau ces penchants dans un Cristal Ballroom à la fois fiévreux et mystérieux, et d’une impressionnante richesse instrumentale. Ses dons d’atmosphériste délétère y opéraient à merveille, façon fin de siècle ou plutôt d'empire. Tandis que ses culbutes littéraires, ses entrechocs de sons et de sens étaient chéris au fil d’un ballet de chansons voltigeuses ou juste intimistes sous la seule influence d'un piano.

    Aujourd'hui chez BabX, mots et musique continuent d'élégamment déboussoler dans des optiques plus pop. Mais le chanteur français a choisi d'injecter dans Drones personnels une dimension rétro-futuriste poétique et mécanique. Un imaginaire où se côtoieraient à la fois Jules Vernes et Georges Méliès ; même si BabX ressuscite Jonathan Swift (« Dans mon Gulliver »). Les hommes et les machines, l'émotion et la froideur, le rêve et la réalité, l'ombre et la lumière, la raison et la folie, l'amour et ses tourments entre piano électro-mécanique (chamberlin) et synthés, boîtes à rythmes et machines, acoustique et électronique. Ce troisième album joue sur ces dualités tout en mettant la voix chaleureuse de BabX au centre des ébats musicaux. Les partitions sont ici volontiers brumeuses, synthétiques, parasitées, éthérées ou machiniques ; une dernière optique renforcée parfois par des répétitions lexicales ou des mots martelés (« Despote paranoïa »).

    Au sein de cet univers étrangement enchanteur, le collaborateur de Camélia Jordana ou L dévoile ses parts d'ombre, sublime ou entérine les femmes, évoque le manque ou l'absence. « Suzanne aux yeux noirs » réveille sa chère défunte grand-mère quand « Tchador Woman » parle de Manal Al Sharif, icône de la révolte féminine en Arabie Saoudite et « Naomie aime » tacle gentiment la top model starisée avide de diamants. Un large spectre de femmes qu'incarne aussi à sa manière fatale une Camelia Jordana venue faire écho au fiel d'un amoureux éconduit sur « Je ne t'ai jamais aimé » (« Et s'il arriva que je fus fou de toi/Ton souvenir n'est plus qu'un souvenir de plus »). Passion et manque s'entremêlent au fil de « 2012 », le gainsbourien « Les Noyés » ou « Helsinki » dans des courses-poursuite aux airs chimériques. Comme si finalement d'ailleurs Drones personnels n'était que recherche du temps perdu.


    Babx feat. Camelia Jordana en Deezer Session... par deezer

     

  • Février 2013

    Dans la profusion des sorties mensuelles, ne retenons que quelques chansons...

     

    DelaSimoneUnHomme.jpgAlbin de la Simone, Un homme (Tôt ou Tard)

    «Il aime les joues de dinde, les restaurants anglais, la mythologie suisse et l'odeur des bébés.» Voilà entre autres les exquises futilités qui peuplaient jadis, il y a dix ans exactement, l'imaginaire d'Albin de la Simone. Au temps de son passage à l'acte chanté, le musicien de l'ombre (Souchon, Chamfort, M, Arthur H, Angélique Kidjo, Vanessa Paradis, Jeanne Cherhal, Arthur H ou Salif Keita) mettait en lumière un univers aussi fantaisiste que désenchanté, où la richesse lexicale le disputait au foisonnement instrumental.

    Sans compter les quelques confessions intimistes parfois brutales qui parfaisaient le décor. Et dont Albin de la Simone livrait quelques secrets dans un petit ouvrage* instructif: «Je ne décide jamais d'écrire sur un thème particulier. Je commence à travailler à partir d'une image, d'un son ou d'une idée («Il pleut dans ma bouche», par exemple) et, comme si je mettais la bonne clef dans une machine, un mécanisme dont va découler toute la chanson se déclenche ou non.» (*La Marmite, d'Albin de la Simone, La Machine à cailloux, 2007)

    Aujourd'hui, le répertoire pop très stylé d'Albin de la Simone, longtemps taxé de «poético-surréaliste», prend quelques chemins de traverse. Un homme, quatrième album de l'instrumentiste et arrangeur qui a mis dix ans à endosser son costume de chanteur, affiche moins de décalages. L'imaginaire d'Albin de la Simone se plaît plutôt à brouiller les pistes entre fiction et réalité, à s'interroger sur les traits de «la masculinité et la virilité». A l'image de «Mes épaule» où il espère, se remémorant le passé, que sa vie future «va tenir sur mes épaules, mes épaules, mes épaules pas bien carrées (...), pas bien gaulées, pas baraquées, pas balèzes». Sans oublier pour autant la sensuelle féminité («La première femme de ma vie», «Moi, moi» en duo avec Emiliana Torrini, «Elle s'endort»).

    Loin de la légèreté et décontraction insufflée aux pièces de Bungalow voilà cinq ans, Un homme révèle plus de profondeur et gravité. Avec une rare sensibilité, au fil d'orchestrations aux caressantes mélancolies le plus souvent et parfois agrémentées de cordes, Albin de la Simone chronique ses états d'âme mouvants : «Un jour je broie du noir miné par mes déboires de la veille et l'avant-veille, et tout-à-coup tout m'émerveille» (touchante versatilité d'humeurs de «Ma crise»). Si l'homme se montre fébrile, il a aussi des envies de poudre d'escampette («La fuite») ou des secrets de double vie à mieux garder (le plus enjoué «Tu vas rire» où l'on sourit jaune au final).

    Un homme active au final un doux mélange de genres, inédit dans le répertoire d'Albin de la Simone dont le timbre fragile continuera par moments d'évoquer Souchon.  

  • Janvier 2013

    Jérémie Kisling, Tout m'échappe (Naïve)

     

    album-jeremk2_cover_ok.jpgEn convalescence pop voilà quatre ans au fil de cet Antimatière plein de larmes à peine asséchées et de mélancolie jamais voilée, Jérémie Kisling s'en revient à la chanson avec un teint plus rayonnant. Dans Tout m'échappe, son quatrième album, le Lausannois désormais en exil à Paris a mis de côté ses envies de raccrocher ses mélodies jolies et sa plume gracile. Si les doutes persistent heureusement, logiques stigmates de la tabula rasa, les désillusions sont moins flagrantes et plombantes.

    Sans pour autant renouer avec l'indolence insouciante et malicieuse du répertoire de ses débuts, il y a onze ans, l'espoir de la scène suisse romande, brièvement baptisé Monsieur Obsolète, trempe prose et rime dans l'encre de ses fragilités et peurs assumées. Tel ce constat empli de poésie qu'un Souchon ne renierait point: «La vie m'a donné un cœur en papier qui brûle à l'orage levé». Tout m'échappe voit le temps des remises en question et de l'innocence déboucher plutôt sur des embruns d'amertume et de fausses ingénuités caressés d'airs folks, d'un piano suranné ou de motifs cuivrés.

    Entre regards sépia et clins d'œil haut en couleur, Kisling se promène sans trop de vague à l'âme sur un océan de promesses neuves. S'il s'imagine «capitaine abandonné" au détour d'un "Retour du pirate», on le voit bien garder cette fois le cap contre vents et marées. Fendre les eaux troubles.

    Sortie française: avril 2013.

    Cet article a également été publié dans "Sortir", supplément culturel du quotidien suisse Le Temps.

     

  • Un adieu à Claude Nobs

    claude_nobs_miles_davis.jpgTriste fin de soirée jeudi 10 janvier 2013. Claude Nobs, âme et co-fondateur du Montreux Jazz Festival (MJF), s'éteint. A 76 ans, au terme de quinze jours de coma, le « Funky Claude » immortalisé par Deep Purple rejoint ces étoiles musicales qu'il a contribué à faire briller sur sa Riviera vaudoise tant chérie. Les eaux du Léman de « Smoke on the Water » se troublent. La nuit à Montreux, si propice aux éclats, n'a jamais été si noire.
     
    Le MJF est orphelin ; une légion de musiciens et mélomanes à travers le monde aussi. Rien ne sera plus comme avant. Hélas. Les souvenirs affluent et se télescopent. Les légitimes hommages à cette figure bonhomme, enthousiaste, passionnée, rêveuse, utopiste pleuvent de tous les recoins de la planète. Bien au-delà des toqués de cette note bleue qu'il a défendue sur les scènes de Montreux et ailleurs. Encore un pan d'histoire qui s'effrite.

    La quinzaine de Montreux a rythmé quasi dix ans de ma vie professionnelle, chaque été. Le début de mes années 2000 y sont intimement liés. Indirectement ou directement, Claude Nobs et les programmateurs de son festival auront élargi mes horizons sonores, participé à l'éducation et l'émancipation de mes oreilles. Keith Jarett, B.B. King, Santana, Solomon Burke, Gilberto Gil, Wyclef Jean et tant d'autres noms du rhythm'n'blues, du jazz, de la soul, de la bossa ou des musiques du monde, ce n'était pas vraiment pas la tasse de thé d'un trentenaire alors branché pop, rock, chanson ou hip-hop. Là aussi pourtant, j'ai et on a été des enfants gâtés.
     
    Je n'oublierai jamais les marathons inouïs de Bowie, Leonard Cohen et, surtout, Prince jouant les prolongations en bout de nuit et qu'ai failli rater à cause des appels de Morphée; les élans de grâce d'Antony and the Johnson ou le magnétisme sombre et vénéneux de Tricky. Comme bien sûr ne pourrai rayer de ma mémoire - la perfection n'existe pas -, les ratés grotesques et pénibles de Sly and The Family Stone, The Black Eyed Peas, Korn, de certaines soirées hommage ou les déceptions personnelles. Mais au moins, Nobs aura-t-il osé jeter les passerelles musicales les plus insensées, brouiller les grammaires établies et remettre sans cesse en question la formule quadragénaire d'un festival resté unique en son/ses genre/s. Certes pas toujours pour les bonnes raisons, mais qu'importe. En ce funèbre jour, on oubliera même les légendaires colères de Nobs. Préférant retenir les coups de coeur du passeur que ses coups de sang. R.I.P donc.
     
    Dire que le Père Noël m'a amené le 24 un coffret de 20 albums originaux d'Atlantic Records sans qui le Montreux Jazz n'aurait jamais existé et que pas plus tard qu'hier Aretha Franklin, Percy Sledge, Ray Charles, Otis Redding, Wilson Pickett et Sam Dees ont bercé de soul ma journée de travail. A 23 heures quand j'apprenais le décès de Nobs, me serai franchement passé de la coïncidence.