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pop - Page 6

  • Mai 2011

    Dans la profusion des sorties mensuelles, ne retenons que quelques chansons...

     

    RingerRingnRoll.jpgCatherine Ringer, Ring n'Roll (Six Sarl)

    Après avoir chanté esseulée les Rita Mitsouko, amputée de son défunt compagnon de route et de cœur Fred Chichin, Catherine Ringer opère sa véritable renaissance solo. Evidemment, l’ombre enfuie en 2007 de Chichin rôde ça et là sur ce Ring n’Roll. Ce sursaut n’a pourtant rien de larmoyant et débute d’ailleurs par un «Vive l’amour» pétillant dénué de tout volontarisme. Plutôt multicolore que doloriste dans ces ­registres esthétiques, l’album embrasse ainsi goulûment les visages du rock’n’roll – comme les Rita Mitsouko durant plus de vingt-cinq ans – avec même deux étapes en anglais dans le texte.

    Quelques ballades sans pathos ni romance, dont l’extraordinaire «Pardon», et quelques curiosités, comme ce «Got it Sweet» à l’esprit jazz-pop cabossé avec flûtes, claquements de mains et piano, ou ce «How Do You Tu» à la rythmique bringuebalante, complètent ce retour fringuant de Catherine Ringer.

    Malgré quelques titres dispensables car mal fagotés (les tics nirvanesques de «Quel est ton nom» par exemple, le cybernético-chaotique «Punk 103»), ce répertoire tient surtout et toujours grâce aux captivantes métamorphoses et modulations vocales de la chanteuse. A l’image de «Si un jour» et surtout le saisissant «Mahler» empruntant à la Symphonie No 5 , où elle plane aux confins de la ferveur et de la gravité sur des réminiscences sentimentales et charnelles. Entre joie et turbulence, tendresse et détresse, Ring n’Roll s’apparente en définitive à une belle remise en selle à défaut d’un retour en grâce.



  • Février 2011

    Dans la profusion des sorties mensuelles, ne retenons que quelques chansons...

    daphne-bleu-venise.jpgDaphné, Bleu Venise (V2)

    La chanteuse revient avec «Bleu Venise», troisième album romancé captivant d’onirisme.

    De l’azur sur Venise. Des couleurs musicales à embellir l’hiver. Pour sa troisième escapade discographique qui cligne encore de l’œil vers le nuancier des palettes picturales et du côté des coloristes de la musique classique, Daphné choisit aussi un décor fantasmagorique. Non pour y mourir mais y renaître: à la chanson, à la mélancolie, à la volupté ou à la légèreté. Aux affres aussi bien qu’aux renaissances qu’offre le film de nos vies modestes.

    Bleu Venise, c’est surtout les vertiges d’une Daphné qui filtre la valse des sentiments en chansons. Sa Venise se voit ainsi sous la neige pour accueillir un dernier tango et s’aimer passionnément. ­Daphné a quelque chose d’une fée, métamorphosant ses envies et lubies en un tour de main enchanté. Avec la romance et l’onirisme en guise de compagnons de route et déroute, elle trouve encore une voie sublime.

    Il y a six ans déjà, L’Emeraude (2005) avait révélé son timbre sensuel à travers un recueil de contes aux idées finement poétisées et aux orchestrations luxuriantes. Les partitions y empruntaient autant au classique qu’à la pop, au swing qu’aux raffinements de l’électronique. Et la chanteuse créait des climats oscillant entre démesure et recueillement, éther et terre. Une ambiance enchanteresse que ­Daphné a réactivée tout au long de Carmin (2008), deuxième jet plein de sève et de chair déclinant le rouge sur tous les tons. Lyriques, romantiques, oniriques et parfois désespérées, les chansons vives de Carmin évoquaient intensément la passion amoureuse, le vague à l’âme au féminin, la mort autant que son antichambre. Une existence qui, dans l’esprit de Daphné, se devait alors d’être des plus bouillonnantes et organiques pour valoir la peine d’être vécue. «Mourir d’un œil» y exhumait comme un clin d’œil le «Je voudrais pas crever» de Boris Vian.

    Au fil de Bleu Venise aujourd’hui, elle ne veut surtout plus dormir seule. Et son répertoire de se consumer de désir. Ou de mal d’amour parfois, à l’image du magnifique «Portrait d’un vertige» où les nuits qu’on se rêve et se fabrique sont plus du tout belles à hanter Daphné. Toujours aussi ardente et flamboyante du haut de ses 34 ans, cette Daphné qui a obtenu le Prix Constantin 2007 sait ainsi aussi évoluer dans des climats plus feutrés. Comme dans «Chanson d’orange et de désir» ou «Hors temps» qui rappellent «L’homme piano» (sur Carmin) et les filiations de Daphné avec Barbara. Même si à présent Daphné préfère greffer à sa plume onirique des bandes-sons proches de celles activées par Björk ou Beth Gibbons de Portishead («Even Orphans Have a Kingdom» et «The Death of Santa Claus») ou une fraîcheur pop («L’homme à la peau musicale»). Insolemment libre et romancé, Bleu Venise ensorcelle encore grâce à des cordes soyeuses ou menaçantes.

  • Episode XXXII: Claire Diterzi

    Au début des années 2000, dans le sillage des Biolay, Bénabar, Delerm and co est apparu une nouvelle génération d'auteur-compositeur-chanteur très vite rangée sous l’appellation médiatiquement contrôlée "nouvelle chanson française". Cette nouvelle vague vocale s’apprête en 2010 à célébrer ses dix ans d’existence. Retour dans le désordre sur les albums phares (une trentaine) des trentenaires talentueux qui à leur manière décompléxée ont repris le flambeau des Murat, Miossec, Dominique A ou Katerine des années 90 dont l’écriture leur avait ouvert d’autres voies


    DiterziTableauchasse.jpgClaire Diterzi, Tableau de chasse (Naïve, 2008)

    Touche-à-tout qui a toujours cherché "du sens dans les tabous et les relations humaines", Claire Diter­zi chante, aigu parfois, des mini-traités de sexologie, les déroutes amoureuses, les rencontres express, le dessous des ébats, les peaux en voie de flétrissure, les blessures intimes. Pour situer l'origine de son répertoire au corps à corps electro-rock, elle aime à citer le film Intimité de Patrice Chéreau.

    Pour Tableau de chasse, son troisième album solo en incluant sa B.O. de Requiem for Billy the Kid, l'ex-chanteuse du groupe rock Forguette Mi Note recadre encore davantage ses propos. Avec un souffle et un culot aussi déconcertants que jouissifs, elle s'est inspirée de sculptures et tableaux pour nourrir son écriture des plus charnelles. Sur fond d'electro, de pop et d'électricité excentrique. La beauté des dix œuvres retenues, de Rodin à Claudel via Toulouse-Lautrec ou Fragonard, a aussi pour trait commun la femme. En lumineuse obsessionnelle compulsive, Claire Diterzi aborde une fois de plus ce thème chéri qui lui permet d'évoquer le sexe, l'amour et la sensualité. Et cherche sans cesse à le chanter avec intelligence.

    Tableau de chasse y parvient sans mal. Entre libertinages et moqueries, coquetteries et franches manières, humour et méchanceté. Dans "L'odalisque", elle s'abandonne ainsi corps et âme, obéit au doigt et à l'œil en femme soumise de harem sans le moindre trémolo dans la voix. Diter­zi se fait "pour l'éternité, ta nana et ta madone, ta diva et ton odalisque". Les saccades rythmiques, les montées dans les aigus peu farouches créent une atmosphère inouïe à cette pièce sonore aussi rococo que la toile XVIIIe de François Boucher. "Je veux être ta chose, que tu me hisses au sommet de ton torse", chante-t-elle plus loin d'une voix douce et innocente. Dans un abandon qui désire oublier l'étreinte du temps.

    Au même titre qu'elle joue en mots des sens, Diterzi s'est amusée à superposer à l'envi ses chants caméléons, à créer des millefeuilles de chœurs aussi. En modelant l'extraordinaire plasticité d'une voix utilisée comme un véritable matériau, en taillant dans la chair rythmique et mélodique, cette éternelle gladiatrice de la chanson dompte son répertoire façonné sur des gestuelles des beaux-arts. "Je voulais qu'on entende le ciseau sur la pierre", résume-t-elle dans une formule magique.

    Evocateur au-delà du raisonnable, Tableau de chasse alterne avec une touchante et renversante folie les époques et les climats. Entre les teintes romantiques et les ambiances lascives figurent aussi quelques atmosphères dégénérées. Comme sur "A quatre pattes" – calqué sur une œuvre d'Allen Jones montrant une femme en cuir dénudée servant de support au plateau d'une table basse – où la libertaire Diterzi brocarde l'obscénité de l'imagerie hip-hop et R & B. Avec une irrésistible "voix de bimbo" en prime! Elle rit aussi de Mireille Mathieu meublant les interminables repas de famille dominicaux, prétexte à dégommer le politiquement correct et, partant, la réanimation par Sarkozy des has been populaires du "patrimoine" chanté. "L'art, c'est résister", selon Diterzi.

    Pour représenter un autre âge, il y a aussi cette troublante "Vieille chanteuse" évoquant son tenace goût de l'amour. Chanson pour laquelle Diterzi prend l'accent traînant des goualantes réalistes de l'entre-deux-guerres. Ou enfin, avec réminiscences du Mystère des Voix bulgares, cette chanson dans la peau d'une femme divorcée. Du beau art grâce à une écriture tout feu tout flamme.

  • Epoustouflant JP Nataf

    Incursion mardi 9 février nuit au festival Les courants d'airs de Thonon-les-Bains (74). Où JP Nataf défendait sur scène l'impressionnisme impressionnant de Clair, son excellent deuxième album solo paru en novembre dernier. L'ex-commandeur des Innocents s'y est montré littéralement époustouflant. Donnant une chair classieuse et une amplitude folle à ses déjà grandes chansons pop. Derrière sa paire de petite lunette fumée et son collier de barbe - désormais seconde peau de son personnage de barde désinvolte tendance néo-folk, JP Nataf y conjugue d'abord son souffle mélodique et poétique avec des pépites comme "Monkey", "Viens me le dire" ou "Elle". Et son trio (basse-ukulélé/claviers-guitares/batterie) de se faufiler toujours très subtilement dans ces chemins de traverse harmoniques, avant d'activer quelques détours plus rock qui permettent de captivantes saillies maîtisées au coeur d'un paysage musical plutôt paisible.

    D'une fluidité insensée malgré la luxuriance et la densité des décors intérieurs ("Après toi", "Les lacets"), le répertoire de Nataf révèle un groove rarement croisé aujourd'hui au sein de la scène d'expression française. Une finesse classieuse doublée d'une mélancolie pop inouïe qui s'appuient sur une apparente simplicité. Autant de lignes claires, parfois perturbées par d'hallucinés élans ("Je mange mal" ou "Jeune homme"), qui se métamorphoseront en "myosotis" au moment d'un premier final. Au milieu de rappels répétés mérités, JP Nataf bluffe encore son monde avec une version acoustique, assis seul à la guitare en front de scène, de "Mon ami d'en haut". Un ange passe. Les inconditionnels des Innocents repartent même avec le refrain d'"Un monde parfait" en guise d'épilogue. Nataf, c'est une classe resplendissante.

  • Episode XIX: Jérémie Kisling

    Au début des années 2000, dans le sillage des Biolay, Bénabar, Delerm and co est apparu une nouvelle génération d'auteur-compositeur-chanteur très vite rangée sous l’appellation médiatiquement contrôlée "nouvelle chanson française". Cette nouvelle vague vocale s’apprête en 2010 à célébrer ses dix ans d’existence. Retour dans le désordre sur les albums phares (une trentaine) des trentenaires talentueux qui à leur manière décompléxée ont repris le flambeau des Murat, Miossec, Dominique A ou Katerine des années 90 dont l’écriture leur avait ouvert d’autres voies


    KislingLeOurs.jpgJérémie Kisling, Le Ours (Note A Bene, 2005)

    Quand il monte à Paris, Jérémie Kisling opte pour l'aller-retour. Choyé chez lui, dépaysant pour les amoureux de la chanson française, son art leste doit beaucoup à ce plan de carrière calqué sur les circulations du TGV-Ligne de cœur. Le moins romand des chanteurs helvètes, l'ex-Monsieur Obsolète enjambe les frontières comme il défie les ans. En transit entre l'enfance et l'âge adulte, son écriture asexuée en ferait le barde idéal des classes enfantines. N'était cette maîtrise insolente dans l'art de dégourdir ses fables, de vriller la syntaxe et de courber la mélodie pour qu'elle s'insinue, souveraine, dans le creux des oreilles les plus blasées.

    Célébré urbi et orbi sur la foi d'un premier disque autoproduit aux charmes primesautiers en 2002, Jérémie Kisling hausse le ton sur Le Ours. Un deuxième album à la pop limpide et fiévreuse, consacrant l'écriture ludique d'un jeune homme au romantisme réaffirmé. Et à l'écriture (r)affinée: "Le premier disque ressemblait plus à de la poésie abstraite, mais était pudique et intimiste. Pour Le Ours, je voulais traiter de sujets qui me touchaient plus directement avec le risque de paraître naïf. J'ai eu plus de difficultés paradoxalement à écrire des textes naïfs, parlant de chiens d'aveugle ou de singes dans un zoo, parce que les sujets me touchaient énormément".

    "Le Ours: un disque au poil", s'est même amusé à proposer en guise de titre Jérémie Kisling à l'intention des médias qui y succomberaient. La formule est jolie mais réductrice. S'il ne propose par encore un bestiaire aussi fourni que Thomas Fersen, le second album du chanteur au timbre séducteur y va de sa galerie animalière. Au générique de son fablier pop, on croise ainsi une baleine d'eau douce et un nounours, une hirondelle, un toutou bienveillant et un babouin.

    Fables enchantées, contes tendres, sensibles et d'une naïveté délicieuse que s'est autorisée son âme de grand enfant par le biais de "Je guide tes pas", "Le Ours", "Teddy Bear" très voulzien et "Horizon grillé". Ailleurs, ce sont surtout les rapports humains qui l'inspirent. Affaires de cœur, de séduction, de désillusions passagères souvent désamorcées par un humour et des formules décalées où surgissent soudain "l'indolent Delerm" et le "vieux Souchon". A l'exception des sirupeuses «Etoiles», plus dignes de la Star Academy que de Kisling, Le Ours est truffé de morceaux de premier choix.

    Pour lesquels celui qui vient de signer une composition rock pour l'album de Thiéfaine (Scandale mélancolique) a choisi un écrin pop d'une élégance raffinée. Des sonorités amples et chaleureuses, avec chœurs, piano, sifflements, cordes, trompette et parfums rétro, qui charrient d'authentiques trésors mélodiques: "J'suis plus jaloux (je m'en fous)" et "T'es têtue toi" notamment. Kisling a aussi offert une partition à Grégory Wicky (Chewy, Pendleton) – son "musicien suisse préféré, idole d'adolescence qui m'a donné envie de monter sur scène" – pour un "Rendez-vous" galant d'une courtoisie exemplaire. Le Ours, la griffe d'un jeune homme de cœur assurément.