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L'âme-son - Olivier Horner - Page 20

  • Fantaisies littéraires. Chapitre III. Daho et Genet

     

    Coup de projecteur mensuel sur un album aux accents littéraires. Troisième volet avec Etienne Daho et Jean Genet.

     

    Les chanteurs aiment la littérature. Oh bien sûr, de loin pas tous! Mais ceux que l'on a envie d'évoquer au fil de cette chronique – une certaine chanson actuelle - la choie d'une manière singulière. Contemporaines ou modernes, poétiques ou philosophiques ou documentaires, de belles plumes littéraires touchent ces voix francophones qui aiment à les mettre en musiques. Comme avant guerre Verlaine a touché Damia, Jean Cocteau Marianne Oswald ou tel l'état de grâce vécu après guerre du tandem Jacques Prévert-Joseph Kosma auprès de nombreux interprètes, les belles feuilles qu'écrivent chanson et littérature sont aujourd'hui loin d'être mortes.

    Jean-Louis Murat, Dominique A, Arman Méliès, Bertrand Belin, Bastien Lallemant, Berry, Barbara Carlotti, Claire Diterzi, Lola Lafon, Rodolphe Burger, BabX et bien d'autres entretiennent une relation forte avec la galaxie littéraire.

     

    DahoMoreau.jpgJean-GENET-LE-CONDAMNE.jpgQuant à Etienne Daho, on savait au moins depuis qu'il interprétait sur scène "Sur mon cou" dès le début des années 2000 que la poésie de Jean Genet l'interpellait. Mais de là à songer que le chanteur livrerait un jour sa version intégrale du Condamné à mort, il y avait un monde. Aujourd'hui pourtant, en compagnie de Jeanne Moreau, Daho reprend magnifiquement à son compte le texte charnel et poétique, subversif à souhait, de Genet. Le condamné à mort est la première oeuvre publiée par Jean Genet à compte d'auteur, en 1942.

    Le poète (1910-1986), emprisonné alors à Fresnes pour vol, imagine l'ultime nuit d'un condamné à mort enfermé dans un bagne. Près de septante ans plus tard, Daho et Moreau lui redonne un souffle voluptueux en conjuguant leurs talents à celui d'Helène Martin qui l'avait orchestré une première fois dans son intégralité en 1970 pour la voix d Marc Ogeret. Après l'avoir elle-même interprété en 1962 déjà. La bande-son, tour à tour lancinante et mélodiquement sautillante, participe du ravissement des sens du Condamné à mort. Tandis que les arrangements pop et dépouillés imaginés par Daho évitent l'écueil du lyrisme maniéré habitant souvent ce genre d'exercice. Histoire de prouver que la poésie peut encore s'envelopper d'atours modernes.

    Genet dédie le poème à la mémoire d'un jeune assassin, Maurice Pilorge, guillotiné le 17 mars 1939 à Saint-Brieuc qui aurait tué "pour les yeux bleus d'un bel indifférent qui jamais ne comprit mon amour contenu". Un personnage qui le fascine littéralement, "dont le corps et le visage radieux hante mon sommeil" souligne-t-il en épilogue, et objet de tous ses fantasmes. Paradoxalement donc, ce n'est pas un univers oppressant et douloureux que Genet a choisi de mettre en scène, mais un monde d'un érotisme homosexuel exacerbé: "Tristesse dans ma bouche! Amertume gonflant/ Gonflant mon pauvre coeur! Mes amours parfumées/Adieu vont s'en aller! Adieu couilles aimés! Ô sur ma voix coupée adieu chibre insolent!". Où l'image phallique est d'ailleurs omniprésente dans la rigoureuse métrique du poème, servant à révéler entre les strophes un mélange de tendresse et de violence, de norme et de déviance, de pudeur et d'obscénité.

    En mêlant leurs voix, Etienne Daho au chant et Jeanne Moreau à la lecture, ravivent la sensualité extrême des quatrains principalement en alexandrins de Genet. Derrière une facture classique, la transgression est partout. Entre sublimation d'un criminel prisonnier et amours homosexuelles, le poème développe ses thèmes sulfureux. Véritable chant d'amour, Le condamné à mort transpire la lascivité interdite, la provocation.

    Le Condamné à mort (Radical Pop Music-Naïve). Parution le 26 novembre 2010

     

  • Colette Renard, éternelle demoiselle

    Héroïne du répertoire de la chanson des années 50, Colette Renard s'est tue. A 86 ans après une carrière artistique richement et parfois très audacieusement remplie. On retiendra évidemment Irma la douce et Tais-toi Marseille parmi ses chansons phares. Mais c'est avec les paroles salaces des Nuits d’une demoiselle qu'on préfère la quitter. Pour mieux y revenir...

    "Les Nuits d'une demoiselle"
    (Paroles: Colette Renard. Musique: G.Breton & Raymond Legrand, 1963)

    Que c'est bon d'être demoiselle
    Car le soir dans mon petit lit
    Quand l'étoile Vénus étincelle
    Quand doucement tombe la nuit

    Je m' fais sucer la friandise
    Je m' fais caresser le gardon
    Je m' fais empeser la chemise
    Je m' fais picorer le bonbon

    Je m' fais frotter la péninsule
    Je m' fais béliner le joyau
    Je m' fais remplir le vestibule
    Je m' fais ramoner l'abricot

    Je m' fais farcir la mottelette
    Je m' fais couvrir le rigondonne
    Je m' fais gonfler la mouflette
    Je m' fais donner le picotin

    Je m' fais laminer l'écrevisse
    Je m' fais foyer le cœur fendu
    Je me fais tailler la pelisse
    Je m' fais planter le mont velu

    Je m' fais briquer le casse-noisettes
    Je m' fais mamourer le bibelot
    Je m' fais sabrer la sucette
    Je m' fais reluire le berlingot

    Je m' fais gauler la mignardise
    Je m' fais rafraîchir le tison
    Je m' fais grossir la cerise
    Je m' fais nourrir le hérisson

    Je m' fais chevaucher la chosette
    je m' fais chatouiller le bijou
    Je m' fais bricoler la cliquette
    Je me fais gâter le matou

    Et vous me demanderez peut-être
    Ce que je fais le jour durant
    Oh! cela tient en peu de lettres
    Le jour , je baise, tout simplement

  • Fantaisies littéraires. Chapitre II: Murat, Ferré et Baudelaire

    Coup de projecteur mensuel sur un album aux accents littéraires. Second volet avec Jean-Louis Murat, Léo Ferré et Baudelaire.

     

     

    MuratBaudelaire.jpgLes chanteurs aiment la littérature. Oh bien sûr, de loin pas tous! Mais ceux que l'on a envie d'évoquer au fil de cette chronique – une certaine chanson actuelle - la choie d'une manière singulière. Contemporaines ou modernes, poétiques ou philosophiques ou documentaires, de belles plumes littéraires touchent ces voix francophones qui aiment à les mettre en musiques. Comme avant guerre Verlaine a touché Damia, Jean Cocteau Marianne Oswald ou tel l'état de grâce vécu après guerre du tandem Jacques Prévert-Joseph Kosma auprès de nombreux interprètes, les belles feuilles qu'écrivent chanson et littérature sont aujourd'hui loin d'être mortes.

    Jean-Louis Murat, Dominique A, Arman Méliès, Bertrand Belin, Bastien Lallemant, Berry, Barbara Carlotti, Claire Diterzi, Lola Lafon, FerreBaudelaireII.jpgRodolphe Burger, BabX et bien d'autres entretiennent une relation forte avec la galaxie littéraire.

    Le cas du barde auvergnat Jean-Louis Murat est à cet effet assez exemplaire. En 2007, dans Charles et Léo: Les Fleurs du Mal, il reprenait le chantier que Leo Ferré avait laissé en plan mélodique après deux albums consacrés à Baudelaire. A l'occasion du 150e anniversaire des Fleurs du Mal, le lettré et romantique Murat se glissait dans une ode aux sens, au spleen et aux enfers. Le résultat est d'une finesse pop exemplaire, sans maniérisme ni lyrisme trop prégnant, et supplante les exercices que Murat avait dédiés aux poètes Béranger et Antoinette Deshoulières. Entre amour et damnation, ironie et double sens, il déguste et célèbre les finesses de vers riches et rimes raffinées, plaçant les douze poèmes courts sous un addictif voiFerreBaudelaire.jpgle mélancolique.

    Un an plus tard, c'est Léo Ferré qui allait répliquer d'outre-tombe à Murat. Charles Baudelaire fut un phare pour Léo Ferré. Au fil de près de cinquante ans de création ininterrompue et protéiforme - chansons fleuves, partitions symphoniques ou hallucinées, oratorios, bandes originales de films, orchestrations pop, recueils de poésie, textes en forme de manifestes enflammés, écrits méconnus pour le théâtre -, Ferré est régulièrement revenu à Baudelaire. De ce poète de la subversion, il a mis en musiques une cinquantaine de textes ou poèmes. Des adaptations réparties sur les années 1957, 1967, 1976-1977, dont on ne trouve que de rares traces orchestrées dans le répertoire de Ferré.

    En 2008 donc, à l'occasion des quinze ans de la mort de Ferré, vingt et une Fleurs du Mal d'une nudité sublime resurgissaient soudain. Ces versions, enregistrées par l'astre noir de la chanson au seul piano dans son atelier-studio de Toscane, à Castellina in Chianti, incarnent ainsi une belle matière inédite. Les Fleurs du Mal, suite et fin, qui paraît en même temps que la réédition du disque épuisé de 1957, ce sont autant de maquettes dépolies, à la fois arides et fluides, où s'immiscent parfois les bruits ambiants captés par le micro et le magnétophone qui trônaient sur le piano. De lancinantes mélodies portées par ce chant qui semble toujours tout juste s'extirper d'un champ de bataille. Deux visions, autant de versions de Baudelaire qui se complètent aujourd'hui admirablement.

  • Episode XXXIII: Renaud Papillon Paravel

    Au début des années 2000, dans le sillage des Biolay, Bénabar, Delerm and co est apparu une nouvelle génération d'auteur-compositeur-chanteur très vite rangée sous l’appellation médiatiquement contrôlée "nouvelle chanson française". Cette nouvelle vague vocale célèbre en 2010 ses dix ans d’existence. Retour dans le désordre sur les albums phares (une trentaine) des trentenaires talentueux qui à leur manière décompléxée ont repris le flambeau des Murat, Miossec, Dominique A ou Katerine des années 90 dont l’écriture leur avait ouvert d’autres voies...

    Renaud Papillon Paravel, Subliminable (Impala-RCA, 2004)

    PapillonParavel.jpgLa chanson comme hygiène de l'esprit. Une prose parfois détraquée mais saine à entendre, des mélodies évidentes, un art du désenchantement détaché niché dans un perpétuel flux et reflux sonore qui brasse les styles avec élégance. Renaud Papillon Paravel fait plus que jamais figure d'ovni jouissif dans le paysage musical francophone. Au fil de ses miniatures parlées-chantées, il porte aux nues sa roborative et agile science du collage. Tant lexicale que musicale, avec des mélopées orientales, du jazz, du funk, du reggae, du classique, du hip-hop ou de l'électronique. Une pratique butinée qui avait émergé sans crier gare deux ans plus tôt dans La Surface de réparation. Un disque en forme de hors-d'œuvre porté par "J'aime tonku", chanson aussi salace que délicieuse, sorte de "J'veux du cuir" de Souchon en plus explicite et drôle. Ce premier album autoproduit, bourré de références aussi évidentes que piquées à d'autres et intelligemment détournées, était justement sous-titré Original Motion Picture Soundtrack of My Bizarre Life.

    A la fois cru, baroque et organique, l'exercice de style décomplexé de cet ex-graphiste et photographe indépendant trouve un double prolongement désinvolte avec Subliminable. Objet facilement identifiable à ses chansons-fleuves, belles-bizarres et grinçantes, qui scotchent cette fois sur deux faces. Vingt titres explorant la psyché d'un Renaud Papillon qui semble toujours écrire comme ça lui vient. En alternant âneries futées, autodérision et fulgurances poétiques. Dans un langage à la fois simple et fleuri, ces allégories de vies minables ou fantastiques multiplient aussi les jeux de mots et les airs reposants avec une sidérante aisance. "Malgré l'euro j'aurai toujours des blagues à deux francs", peut-on entendre sur l'attachante chanson douce-amère "Mon petit élément" qui pourrait faire figure de slogan à cet inspiré bricoleur du dimanche.

    En persifleur impénitent, conteur hors pair ou griot d'un autre temps, Renaud Papillon Paravel évolue au rythme de son amertume feinte. Feinte et décalée, tellement l'environnement qu'il se plaît à décrire ne semble que l'effleurer, glisser sur sa peau d'ours mal léché, effronté. Dans la peau d'un acteur porno de campagne, en pourfendeur subtil de l'hypocrisie du business musical, en père sensible ou en homme sans illusions, en contemplatif béat ou misanthrope, ce Toulousain exilé au bord de la Méditerranée dépose sans complexe les histoires les plus improbables. En vers ou en prose, envers et contre toute logique couplet-refrain surtout, l'autodidacte auteur a imaginé ses chansons comme il créait jadis des pochettes de disque ou des affiches de concert. Il fusionne des éléments disparates, sample à tout va, copie-colle des mots façon Bashung, récite hypnotiquement à la manière de Rodolphe Burger ou Arthur H. Mais assemble tout de même avec un souci d'harmonie et de fraîcheur ses couleurs sonores et rythmiques. Regardant sur la profondeur de champ de ses chansons en forme de mini-fictions scénarisées avec une précision chirurgicale. Entre electro licencieuse, tempos sensuels, bande-son panoramique et ambiances étouffantes, Renaud Papillon brosse des climats successivement incarnés et décharnés. Auxquels sa voix claire ou rêche, donnant moins souvent dans les talk-over gainsbouriens qu'à l'intérieur de La Surface de réparation, apporte toute une gamme de nuances.

    A côté d'une facette très abrupte, Renaud Papillon cultive aussi admirablement bien l'absurde et le burlesque. Sur «Le chanteur bien cuit», il se rit avec finesse de ses ennemis jurés de la variété avariée: "Pour une fois que j'ai un refrain trop classe, quelques vers nazes, le tout glissant comme du beurre, que tout le monde connaîtra vite par cœur, un truc tout creux sans âme, avec ça je dépasse Jean-Jacques Goldman […] Pour une fois que j'ai une mélodie qui va plaire, c'est comme si j'étais déjà l'ami de Drucker […] Je ramasse le blé et marque l'avoine, ah! ah! ah!, assez facile je sais mais on fait que passer, on lâche nos caisses de chansons nazes et on se casse." Dans le même temps, ludique, il ne recule devant aucune facilité, en repiquant ailleurs et pour un refrain de fin: "Mais au bout du compte, on se rend compte, qu'on est toujours tout seul au monde." L'habileté du Papillon, ne jamais se la péter.

     (L'article dont est principalement extrait ce texte est consultable sur le site du Quotidien suisse "Le Temps")

  • Fantaisies littéraires. Chapitre I: Berry et Verlaine

    Coup de projecteur mensuel sur un album aux accents littéraires. Prologue avec la chanteuse Berry.

    Les chanteurs aiment la littérature. Oh bien sûr, de loin pas tous! Mais ceux que l’on a envie d’évoquer au fil de cette chronique – une certaine chanson actuelle - la choie d’une manière singulière. Contemporaines ou modernes, poétiques, philosophiques ou documentaires, de belles plumes littéraires touchent ces voix francophones qui aiment à les mettre en musiques.Comme avant guerre Verlaine a touché Damia, Jean Cocteau Marianne Oswald ou tel l’état de grâce vécu après guerre du tandem Jacques Prévert-Joseph Kosma auprès de nombreux interprètes, les belles feuilles qu’écrivent chanson et littérature sont aujourd’hui loin d’être mortes.


    Berry.jpg06-verlaine-chanson-pour-elle.jpgJean-Louis Murat, Dominique A, Arman Méliès, Bertrand Belin, Bastien Lallemant, Berry, Barbara Carlotti, Claire Diterzi, Lola Lafon, Rodolphe Burger, BabX et bien d’autres entretiennent une relation forte avec la galaxie littéraire. Ainsi de Berry par exemple, jeune révélation en 2008 grâce à un album vêtu de peu appelé Mademoiselle. Dévoreuse de poésie chérissant Verlaine et Gainsbourg, celle qui a choisi son pseudonyme en hommage à George Sand (originaire du Berry) a rêvé théâtre avant d’embrasser la chanson. Pour y égrener sans révolution son indolente poésie des sentiments amoureux. Et son spleen de se nourrir de sa véritable fascination poétique.

    Elle dit avoir dévoré et usé Cantilène en gelée, recueil de Boris Vian daté 1949 et s’être enivrée en compagnie d’Apollinaire. Mais la grande affaire de Berry, son panthéon, c’est Verlaine, dont elle a adapté littéralement dans Mademoiselle les poèmes les moins pornographiques de Chansons pour elle et autres poèmes érotiques: Chéri et Les Heures Bleues. Et Berry de nous ramener ainsi à la grande tragédienne réaliste Damia qui s’était appropriée jadis Le ciel est par-dessus le toit et D’une prison de Paul Verlaine. Comme quoi, les poètes continuent d’entrer en chanson et ce qui tend à prouver qu’on n’a pas fini de boucler la boucle de ces échos entre littérature et chanson à l’heure où salles de spectacles et médias réclament beaucoup de nouveautés. 

    Cette chronique est à lire également sur www.syllabus.ch