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Triste trépas - Page 2

  • Michel Delpech, chanteur d'un autre temps

    Profession: chanteur. S'il ne l'a plus été beaucoup ces derniers temps, l'interprète de "Quand j'étais chanteur" l'aura quand même été un long temps. Du milieu des années 1960 à la fin des années 1970, Michel Delpech figurait même parmi les voix les plus populaires de la chanson française. Marquant son époque, avant d'amorcer un parcours en dents de scie puis de revenir en grâce au milan des années 2000 à la faveur de l'album Comme vous. 

    Hommage à un artisan qui s'est éteint le 2 janvier, à l'âge de 69 ans, au travers de la republication d'une agréable conversation parue dans le quotidien suisse Le Temps du 24 octobre 2007, à l'occasion d'une tournée romande. 

     

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  • Moustaki, "Métèque" et mat

    Il y a cinq ans, il avait commencé à évoquer sa maladie respiratoire, le coeur un peu serré (lire l'interview de 2008 exhumée ci-dessous*). Logique quand on dédié la majorité de son temps et sa passion à la chanson et que les bronches ne suivent plus. Avec la disparition de Georges Moustaki à 79 ans, c'est un pan d'un large patrimoine qui s'effondre, courant du Brésil à la France et de l'Egypte à la Grèce. Le "Juif errant" aura comme peu ressassé ses thèmes chers qu'étaient l'amour, les femmes et le vagabondage. "Métèque" et mat d'un grand voyageur, solitaire et aimant.

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    *"Je suis un serviteur de la révolution"

    Georges Moustaki publie un nouvel album, "Solitaire", et raconte ses fièvres de poète errant.

    Existence et errance ont toujours été liées chez Georges Moustaki. Plus d'un demi-siècle que l'auteur-compositeur, mais aussi écrivain, peintre, polyglotte et féru de tennis de table chante ce qu'il respire. Les voyages et les rencontres ont formé davantage que sa jeunesse. De ses vagabondages inspirants, il a cette fois ramené Solitaire. Celui qui est né Grec dans un monde d'Egyptiens où il a appris le français y duettise avec Delerm, Cali, Stacey Kent et China Forbes. Dans un voile de douceur, de légèreté nostalgique ou mélancolique, Moustaki reprend et rénove encore des titres phares («Ma solitude» ou «Sans la nommer»). Si les élégantes chansons de Moustaki n'ont jamais révélé une grande voix, elles sont un peu gâchées ici par un manque de couleurs et de souffle qu'il aborde sans détour.

    Georges Moustaki: J'ai un problème relativement récent d'emphysème pulmonaire auquel je n'arrête pas de penser. Mais je ne veux pas modifier ma vie en fonction de cette pathologie, même si je la ressens au quotidien. Le problème est que je ne sais pas combien de temps je pourrai compter sur ma voix. Ma pathologie est très préjudiciable. C'est très mystérieux aussi cette question vocale car je fais des concerts de deux heures où je me sens paradoxalement mieux en fin de spectacle. La détérioration de ma voix en raison de l'âge est une conséquence audible. Mais le problème de souffle, malheureusement, ne tient hélas pas à l'âge mais à la maladie contractée. Je le tiens à bout de bras car je n'ai pas encore épuisé toutes les possibilités médicales.

    - Quarante ans et autant de mois de mai séparent «Métèque», votre premier succès, de votre nouvel album,«Solitaire». Cela revêt-il une symbolique particulière?

    - Non. Mes producteurs ont tenté de le faire croire. Mais c'est du pur marketing. Je ne renie pas, ne récuse pas ni désavoue 1968 mais je ne me retrouve pas dans cette célébration. Mes souvenirs de 1968 sont très beaux. Il faut qu'ils restent purs et justes. Ma chanson «Sans la nommer», qui évoque la «révolution permanente», ne parle ainsi pas de mai 1968 en particulier. Mais de toutes ces révolutions du siècle dernier qui ont fait bouger le monde: la révolution russe, cubaine, celle des œillets au Portugal, etc. Toutes les révolutions sont admirables quand elles ne dégénèrent et ne se pervertissent pas.

    - Cet esprit libertaire qui a fleuri en 1968 a-t-il été une balise artistique et intellectuelle?

    - Je vivais bien avant avec les valeurs revendiquées en 1968. Même si elles étaient moins bien définies. Elles continuent de me sembler importantes, même si le vent a tourné et que les jeunes gens d'aujourd'hui semblent manifester pour travailler plus et gagner plus...

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    - La première chanson de «Solitaire», «Le temps de nos guitares», évoque des amitiés artistiques. Vous y évoquez notamment Henri Salvador, à qui l'album est aussi dédié. Qu'a-t-il représenté?

    - Au-delà de l'amitié, de l'admiration que je lui porte, du travail effectué ensemble, Henri a surtout été le plus guitariste de tous les chanteurs que j'énumère. Il me fallait distinguer son talent supplémentaire. Et puis nous partagions un amour pour le Brésil, la sieste, les belles femmes, les bonnes adresses gastronomiques. Nous partagions aussi un immense amour pour les beaux textes, les belles mélodies, et pour toutes les musiques. Pas seulement celles du Brésil, même si cela reste un pays de référence vu sa richesse exceptionnelle.

    - Vous partagez désormais le micro avec Cali ou Delerm, une autre génération de chanteurs.

    - Ce sont des affinités effectives et affectives, musicales, idéologiques, complices, amicales et éminemment artistiques qui nous ont réunis aussi. Mais c'est moi le frère aîné à présent. C'est différent.

    - Avec Cali, vous vous retrouvez sur des valeurs communes, le soutien entre autres à Ségolène Royal aux dernières présidentielles?

    - Oui. C'est venu en plus mais ce n'était pas prépondérant. Reste que le choix d'interpréter «Sans la nommer» a été fait en fonction de nos convictions communes.

    - De la «révolution permanente»?

    - Oui, Mais on peut tout lui faire dire aussi à cette révolution permanente. C'est celle des cœurs, de l'âme, de l'esprit, des idées, d'un pays. Je me souviens avoir chanté cette chanson dans les années 70 au sud de l'Inde, une partie restée un peu francophone. Eux y entendaient une révolution spirituelle. Tout était logique dans cette connotation aussi. Chacun y a puisé une signification différente. C'est ce qui fait sa beauté, je crois.

    - L'un de vos biographes, Cécile Barthélemy, dit que Moustaki «attire ainsi, insensiblement, parce qu'il n'est pas un révolutionnaire violent, ni même avoué, dans son univers». Cela résonne en vous?

    - Il y a des gens qui ne veulent pas le voir car je ne suis pas très éloquent. Mais s'ils regardent ce que j'écris, vis et dis, ils verront que je suis davantage un serviteur de la révolution. Je ne monte pas au créneau systématiquement. La révolution, c'est aussi une jolie femme que l'on a envie d'aimer et d'accompagner. Cette discrétion est aussi l'effet de mes doutes. Je ne suis pas non plus toujours convaincu à mille pour-cent d'une chose pour la clamer. Je la propose, la formule. Mais comprend et y souscrit qui veut. Je suis étonné du crédit que l'on peut donner à des gens pas toujours qualifiés pour être des maîtres à penser. Les écrivains qui m'ont marqué, comme Henri Miller, avaient cette grande liberté d'esprit de se contredire. C'est peut-être d'avoir fréquenté dans la vie et littérairement des gens de cette espèce qui me rend méfiant vis-à-vis de tout ce qui est emphatique et affirmatif.

    Cet article est paru dans le quotidien Le Temps du 7 juin 2008.

  • Daniel Darc, au bout de la nuit

    Si je me souviens de quelques concerts magistraux et touchants de Daniel Darc, je me rappelle aussi une âme en peine. En souffrance. Comme celle croisée un jour d'hiver à Paris, en 2008, à l'occasion d'un entretien promotionnel pour son album '"Amours suprêmes" qu'il aurait sans doute mieux valu remettre à de meilleurs lendemains (lire ci-dessous).
    Reste que dans ses fêlures et ses fulgurances, Darc semblait bien être un garçon des plus entiers et rock'n'roll. Après avoir perdu l'aile protectrice de Bashung, voilà que ce drôle d'oiseau s'envole à son tour. Crève-coeur que son décès le 28 février 2013, à l'âge de 53 ans.
     
     
     daniel darc,chanson,rock,crève-coeur,punk,elvis,alain bashung,bible,croyant,sex pistols,kerouac"Daniel vivait sa vie comme s'il était le héros de son propre roman. Il a vécu son existence d'artiste à la limite de ses fêlures, de la manière la plus romantique qui soit. On s'habitue à ce que certains êtres flirtent avec la mort, mais cette mort est toujours inacceptable. Je suis bouleversé"
    ETIENNE DAHO, 1er mars 2013, qui avait produit le single "La Ville" de son cher disparu Daniel Darc en 1986.
     
     

    La lapidaire noirceur de Daniel Darc

    Après le bouleversant «Crèvecœur» d'il y a trois ans, l'ex-Taxi Girl signe le sublime «Amours suprêmes», en compagnie encore de son complice musical Frédéric Lo. La mort, l'amour et les remords y rôdent. Rencontre parisienne. (Archive du 11 janvier 2008)

    Paranoïa? La rencontre commence en «off» avec des anecdotes sur son passé de loubard addictif. Daniel Darc veut qu'on taise autant ses démêlés avec des Hell's Angels que ses accrochages scolaires ou ses histoires de jeune anar à Paris! «Avant d'être ce qu'on appelait un punk, j'étais d'abord un petit voyou. Un feu follet qui vivait sa vie de façon rock. Rock'n'roll, c'est un état d'esprit, bien davantage qu'une musique, qu'un simple do-mi-sol.» L'ex-chanteur de Taxi Girl, qui ne parvient toujours pas à se départir de l'ombre du succès fulgurant qu'a été «Chercher le garçon» au début des années 80, laissera toutefois filer plus tard des récits de baston à la chaîne de moto ou d'agressions à la lame de rasoir et de tabassages à la ceinture sans exiger le «off the record».

    Daniel Darc cultive les paradoxes, les contradictions. Au même titre que son écriture chérit les oxymores. Et ce n'est pas Amours suprêmes, son nouvel album comportant un titre tel «La vie est mortelle», qui déroge à la règle. Son existence chaotique, le délitement de Taxi Girl jalonné d'une tentative de suicide sur scène, sa descente aux enfers personnelle avant la rédemption qu'a constituée son bouleversant album Crèvecœur voilà trois ans (récompensé d'une Victoire de la musique), les oscillations perpétuelles entre gouffres et lueurs d'espoir, tout cela se métamorphose encore sous nos yeux. On saisit mieux la noirceur lapidaire d'un survivant qui, en guise d'Amours suprêmes, consigne remords et plaies béantes de l'âme. Alors que le mal-être et le spleen de Darc semblaient apaisés sur Crèvecœur, l'écorché vif nous ressaute à la figure.

    Au fil décousu de l'entretien à la fois surréaliste et touchant, avec de rares éclairs de lucidité et de troublante intimité dévoilée entre absences et digressions récurrentes, on mesure mieux l'ampleur des ravages.

    Le presque quinquagénaire qui a brûlé sa vie sans jamais penser aux lendemains est loin encore d'avoir exorcisé tous ses démons: «Ça ne sert à rien/Bien sûr on peut compter encore/Ça ne sert à rien/Compter le nombre des morts/Ça ne sert à rien/Ça va, ça vient/Viens, prends ma main/Ça ne sert à rien.»

    Celui qui est né Daniel Rozoum, à Paris le 20 mai 1959 mais s'est choisi pour pseudonyme Daniel Darc, parce qu'il goûtait aux doubles initiales et au côté obscur des patronymes artistiques, se laisse difficilement apprivoiser. Origines juives russes côté paternel et mère catholique ont peut-être été un carcan éducationnel qui a forgé son insoumission et sa rébellion futures. On n'en saura rien. Toutes les tentatives de réorienter la discussion sont vaines. Darc est absorbé ailleurs, il dessine sur une feuille, s'excuse d'oublier la question, tente de se reconcentrer. Tout finit presque par un désastre absolu. Comme si les quinze années d'héroïne et d'alcool écoulées dans ses veines, qui lui ont laissé des séquelles physiques, semblaient à ce moment précis lui ôter toute faculté de discernement.

    On sait en revanche que le «King» Presley, Patti Smith, Kerouac, les Sex Pistols, Fitzgerald, Salinger, la Beat Generation, Céline ou Coltrane sont des obsessions adolescentes et durables qui ont catapulté son  entrée en rock et en poésie. Et aussi que son sublime quatrième disque tourne encore autour de l'amour et de la mort, les deux principaux voire seuls thèmes ayant occupé l'écriture chirurgicale, la vie et la mémoire de Daniel Darc depuis la fin des années 70. Avec la Bible ou la chrétienté auxquelles il faisait déjà allusion sur Crèvecœur.

    Au terme d'une heure de bavardage avec cette silhouette arquée arborant un gilet noir zippé serti d'un «100% Dead», une liquette charbon siglée IRA, une ceinture foncée ELVIS, des tatouages imposants et des cheveux gominés, on n'aura pas percé à jour le mystère Daniel Darc. Celui du mythe underground, de l'ange maudit qui ressemble maintenant à ces fantômes, mannequins trépassés dont il chantait, dans une autre vie, la raideur solitaire.

    Sur cette mort qui hante Amours suprêmes et dont il veut croire à la bonne fée en murmurant «J'irai au paradis car c'est en enfer que j'ai passé ma vie», Darc lâchera tout de même - au bord des larmes et en cherchant parfois ses mots: «Elle m'obsède bien sûr. Elle est insidieuse et sa plus grande force est qu'elle arrive à nous faire croire qu'elle n'existe presque pas. Mais ce qui m'obsède surtout, c'est ce qui arrive avant la mort: c'est la diminution physique et intellectuelle qui précède. Cette vieillesse qui déjà m'habite. A partir du moment où tu as besoin de quelqu'un pour chier à l'hôpital par exemple. Quand on me dit «Oh, monsieur Rozoum, y va bien?» «Il a fait sous lui aujourd'hui, mais c'est pas grave!» d'un air condescendant et infantilisant. Tu te dis, putain merde, et t'as envie de te foutre en l'air. Alors que quand t'es chrétien, c'est galère l'idée de se foutre en l'air.» N'allez jamais lui prêcher que «l'amour est plus fort que la mort»! Insulte garantie.

    Cet article avait été publié dans le quotidien suisse Le Temps du 11 janvier 2008

  • Un adieu à Claude Nobs

    claude_nobs_miles_davis.jpgTriste fin de soirée jeudi 10 janvier 2013. Claude Nobs, âme et co-fondateur du Montreux Jazz Festival (MJF), s'éteint. A 76 ans, au terme de quinze jours de coma, le « Funky Claude » immortalisé par Deep Purple rejoint ces étoiles musicales qu'il a contribué à faire briller sur sa Riviera vaudoise tant chérie. Les eaux du Léman de « Smoke on the Water » se troublent. La nuit à Montreux, si propice aux éclats, n'a jamais été si noire.
     
    Le MJF est orphelin ; une légion de musiciens et mélomanes à travers le monde aussi. Rien ne sera plus comme avant. Hélas. Les souvenirs affluent et se télescopent. Les légitimes hommages à cette figure bonhomme, enthousiaste, passionnée, rêveuse, utopiste pleuvent de tous les recoins de la planète. Bien au-delà des toqués de cette note bleue qu'il a défendue sur les scènes de Montreux et ailleurs. Encore un pan d'histoire qui s'effrite.

    La quinzaine de Montreux a rythmé quasi dix ans de ma vie professionnelle, chaque été. Le début de mes années 2000 y sont intimement liés. Indirectement ou directement, Claude Nobs et les programmateurs de son festival auront élargi mes horizons sonores, participé à l'éducation et l'émancipation de mes oreilles. Keith Jarett, B.B. King, Santana, Solomon Burke, Gilberto Gil, Wyclef Jean et tant d'autres noms du rhythm'n'blues, du jazz, de la soul, de la bossa ou des musiques du monde, ce n'était pas vraiment pas la tasse de thé d'un trentenaire alors branché pop, rock, chanson ou hip-hop. Là aussi pourtant, j'ai et on a été des enfants gâtés.
     
    Je n'oublierai jamais les marathons inouïs de Bowie, Leonard Cohen et, surtout, Prince jouant les prolongations en bout de nuit et qu'ai failli rater à cause des appels de Morphée; les élans de grâce d'Antony and the Johnson ou le magnétisme sombre et vénéneux de Tricky. Comme bien sûr ne pourrai rayer de ma mémoire - la perfection n'existe pas -, les ratés grotesques et pénibles de Sly and The Family Stone, The Black Eyed Peas, Korn, de certaines soirées hommage ou les déceptions personnelles. Mais au moins, Nobs aura-t-il osé jeter les passerelles musicales les plus insensées, brouiller les grammaires établies et remettre sans cesse en question la formule quadragénaire d'un festival resté unique en son/ses genre/s. Certes pas toujours pour les bonnes raisons, mais qu'importe. En ce funèbre jour, on oubliera même les légendaires colères de Nobs. Préférant retenir les coups de coeur du passeur que ses coups de sang. R.I.P donc.
     
    Dire que le Père Noël m'a amené le 24 un coffret de 20 albums originaux d'Atlantic Records sans qui le Montreux Jazz n'aurait jamais existé et que pas plus tard qu'hier Aretha Franklin, Percy Sledge, Ray Charles, Otis Redding, Wilson Pickett et Sam Dees ont bercé de soul ma journée de travail. A 23 heures quand j'apprenais le décès de Nobs, me serai franchement passé de la coïncidence.

  • Allain Leprest, fatale issue

    Leprest.jpgHommage tardif, mais mieux vaut..., à une plume reconnue et célébrée par la profession mais trop méconnue du grand public. Depuis qu'il a mis fin à ses jours le 15 août dernier à Antraigues (Ardèche) à l'âge de 57 ans, Allain Leprest a regagné quelque peu les honneurs des radios, lui qui n'y passait pratiquement jamais; pas plus qu'à la télévision d'ailleurs.

    C'était un portraitiste hors-pair qui n'avait pas son pareil pour poser des décors, suggérer des atmosphères, tordre la grammaire ou pousser des coups de gueule. Il excellait à obscurcir les tableaux ou à coller des mots sur le chagrin, la souffrance, l'errance physique ou existentielle. Avec toujours une dose d'humanisme, de tendresse pour la détresse de la condition humaine. Allain Leprest se nourrissait beaucoup de ses rencontres, disait y trouver quantité d'autoportraits.

    Ce sont certaines voix de l'alternative chantée comme Loïc Lantoine, La Rue Ketanou, Jamait qui lui vouaient surtout un culte, avant que deux albums hommage paraissent en 2008 et 2009 (Chez Leprest) avec Adamo, Higelin, Guidoni, Sanseverino, Nilda Fernandez, Michel Fugain ou Olivia Ruiz et mettent davantage en lumière ce chanteur d'ombres.

    Pourtant, Allain Leprest avait tout de même refourgué quelques vers de vague à l'âme à Juliette Gréco («Le pullover», mis en musique par Jean Ferrat), Francesca Solleville, Isabelle Aubret ou Romain Didier et son talent avait été loué par Nougaro ou Jean d'Ormesson qui l'a qualifié un jour de "Rimbaud du XXe siècle"...

    Trafiquant de mélancolie et d'ironie depuis trente ans et dix albums, Leprest a charrié un répertoire sombre, taillé de mots et maux au cordeau chanté d'une voix d'outre-tombe. Il admirait Ferré et Ferrat. Avait un faible pour les gueules cassées, les destins fracassés, les âmes en peine. C'est le chanteur Henri Tachan, celui qui poussait des coups de gueule contre les bombardements US au Vietnam, qui lui avait mis le pied à l'étrier dans les années 80 après avoir découvert un recueil de ses poésies.

    Son parcours ressemble ensuite à celui d'un chanteur-poète quelque peu maudit. Il est découvert au Printemps de Bourges en 85, sort premier disque en 86, écrit pour d'autres, chante à la Fête de l'Humanité qu'il connaît bien parce qu'il se revendique lui-même communiste. Quelques années de vache maigre suivent tout de même avant qu'un deuxième album en 1992 imaginé avec l'accordéoniste Richard Galliano ne remette Leprest en selle.

    Ce regain de popularité ne durera que quelques années. Et Leprest de disparaître du feu des projecteurs à nouveau, avant de réapparaître enfin avec des chansons originales en 2005, Donne-moi de tes nouvelles, au terme de sept ans de silence. Suit en 2009 Quand auront fondu les banquises, album automnal qui lorgne du côté de Paul Verlaine et de Charles Trenet. L’une des chansons s’appelle «Quand j’étais mort». ­


    Entre-temps, il aura aussi connu l'enfer ethilique et un cancer des poumons. Jusqu'à cette ultime aube tragique qu'il aimait tant chanter.

    A lire: Allain Leprest, Je viens vous voir: de Thomas Sandoz, Editions Christian Pirot (2003).