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L'âme-son - Olivier Horner - Page 14

  • Février 2013

    Dans la profusion des sorties mensuelles, ne retenons que quelques chansons...

     

    DelaSimoneUnHomme.jpgAlbin de la Simone, Un homme (Tôt ou Tard)

    «Il aime les joues de dinde, les restaurants anglais, la mythologie suisse et l'odeur des bébés.» Voilà entre autres les exquises futilités qui peuplaient jadis, il y a dix ans exactement, l'imaginaire d'Albin de la Simone. Au temps de son passage à l'acte chanté, le musicien de l'ombre (Souchon, Chamfort, M, Arthur H, Angélique Kidjo, Vanessa Paradis, Jeanne Cherhal, Arthur H ou Salif Keita) mettait en lumière un univers aussi fantaisiste que désenchanté, où la richesse lexicale le disputait au foisonnement instrumental.

    Sans compter les quelques confessions intimistes parfois brutales qui parfaisaient le décor. Et dont Albin de la Simone livrait quelques secrets dans un petit ouvrage* instructif: «Je ne décide jamais d'écrire sur un thème particulier. Je commence à travailler à partir d'une image, d'un son ou d'une idée («Il pleut dans ma bouche», par exemple) et, comme si je mettais la bonne clef dans une machine, un mécanisme dont va découler toute la chanson se déclenche ou non.» (*La Marmite, d'Albin de la Simone, La Machine à cailloux, 2007)

    Aujourd'hui, le répertoire pop très stylé d'Albin de la Simone, longtemps taxé de «poético-surréaliste», prend quelques chemins de traverse. Un homme, quatrième album de l'instrumentiste et arrangeur qui a mis dix ans à endosser son costume de chanteur, affiche moins de décalages. L'imaginaire d'Albin de la Simone se plaît plutôt à brouiller les pistes entre fiction et réalité, à s'interroger sur les traits de «la masculinité et la virilité». A l'image de «Mes épaule» où il espère, se remémorant le passé, que sa vie future «va tenir sur mes épaules, mes épaules, mes épaules pas bien carrées (...), pas bien gaulées, pas baraquées, pas balèzes». Sans oublier pour autant la sensuelle féminité («La première femme de ma vie», «Moi, moi» en duo avec Emiliana Torrini, «Elle s'endort»).

    Loin de la légèreté et décontraction insufflée aux pièces de Bungalow voilà cinq ans, Un homme révèle plus de profondeur et gravité. Avec une rare sensibilité, au fil d'orchestrations aux caressantes mélancolies le plus souvent et parfois agrémentées de cordes, Albin de la Simone chronique ses états d'âme mouvants : «Un jour je broie du noir miné par mes déboires de la veille et l'avant-veille, et tout-à-coup tout m'émerveille» (touchante versatilité d'humeurs de «Ma crise»). Si l'homme se montre fébrile, il a aussi des envies de poudre d'escampette («La fuite») ou des secrets de double vie à mieux garder (le plus enjoué «Tu vas rire» où l'on sourit jaune au final).

    Un homme active au final un doux mélange de genres, inédit dans le répertoire d'Albin de la Simone dont le timbre fragile continuera par moments d'évoquer Souchon.  

  • Daniel Darc, au bout de la nuit

    Si je me souviens de quelques concerts magistraux et touchants de Daniel Darc, je me rappelle aussi une âme en peine. En souffrance. Comme celle croisée un jour d'hiver à Paris, en 2008, à l'occasion d'un entretien promotionnel pour son album '"Amours suprêmes" qu'il aurait sans doute mieux valu remettre à de meilleurs lendemains (lire ci-dessous).
    Reste que dans ses fêlures et ses fulgurances, Darc semblait bien être un garçon des plus entiers et rock'n'roll. Après avoir perdu l'aile protectrice de Bashung, voilà que ce drôle d'oiseau s'envole à son tour. Crève-coeur que son décès le 28 février 2013, à l'âge de 53 ans.
     
     
     daniel darc,chanson,rock,crève-coeur,punk,elvis,alain bashung,bible,croyant,sex pistols,kerouac"Daniel vivait sa vie comme s'il était le héros de son propre roman. Il a vécu son existence d'artiste à la limite de ses fêlures, de la manière la plus romantique qui soit. On s'habitue à ce que certains êtres flirtent avec la mort, mais cette mort est toujours inacceptable. Je suis bouleversé"
    ETIENNE DAHO, 1er mars 2013, qui avait produit le single "La Ville" de son cher disparu Daniel Darc en 1986.
     
     

    La lapidaire noirceur de Daniel Darc

    Après le bouleversant «Crèvecœur» d'il y a trois ans, l'ex-Taxi Girl signe le sublime «Amours suprêmes», en compagnie encore de son complice musical Frédéric Lo. La mort, l'amour et les remords y rôdent. Rencontre parisienne. (Archive du 11 janvier 2008)

    Paranoïa? La rencontre commence en «off» avec des anecdotes sur son passé de loubard addictif. Daniel Darc veut qu'on taise autant ses démêlés avec des Hell's Angels que ses accrochages scolaires ou ses histoires de jeune anar à Paris! «Avant d'être ce qu'on appelait un punk, j'étais d'abord un petit voyou. Un feu follet qui vivait sa vie de façon rock. Rock'n'roll, c'est un état d'esprit, bien davantage qu'une musique, qu'un simple do-mi-sol.» L'ex-chanteur de Taxi Girl, qui ne parvient toujours pas à se départir de l'ombre du succès fulgurant qu'a été «Chercher le garçon» au début des années 80, laissera toutefois filer plus tard des récits de baston à la chaîne de moto ou d'agressions à la lame de rasoir et de tabassages à la ceinture sans exiger le «off the record».

    Daniel Darc cultive les paradoxes, les contradictions. Au même titre que son écriture chérit les oxymores. Et ce n'est pas Amours suprêmes, son nouvel album comportant un titre tel «La vie est mortelle», qui déroge à la règle. Son existence chaotique, le délitement de Taxi Girl jalonné d'une tentative de suicide sur scène, sa descente aux enfers personnelle avant la rédemption qu'a constituée son bouleversant album Crèvecœur voilà trois ans (récompensé d'une Victoire de la musique), les oscillations perpétuelles entre gouffres et lueurs d'espoir, tout cela se métamorphose encore sous nos yeux. On saisit mieux la noirceur lapidaire d'un survivant qui, en guise d'Amours suprêmes, consigne remords et plaies béantes de l'âme. Alors que le mal-être et le spleen de Darc semblaient apaisés sur Crèvecœur, l'écorché vif nous ressaute à la figure.

    Au fil décousu de l'entretien à la fois surréaliste et touchant, avec de rares éclairs de lucidité et de troublante intimité dévoilée entre absences et digressions récurrentes, on mesure mieux l'ampleur des ravages.

    Le presque quinquagénaire qui a brûlé sa vie sans jamais penser aux lendemains est loin encore d'avoir exorcisé tous ses démons: «Ça ne sert à rien/Bien sûr on peut compter encore/Ça ne sert à rien/Compter le nombre des morts/Ça ne sert à rien/Ça va, ça vient/Viens, prends ma main/Ça ne sert à rien.»

    Celui qui est né Daniel Rozoum, à Paris le 20 mai 1959 mais s'est choisi pour pseudonyme Daniel Darc, parce qu'il goûtait aux doubles initiales et au côté obscur des patronymes artistiques, se laisse difficilement apprivoiser. Origines juives russes côté paternel et mère catholique ont peut-être été un carcan éducationnel qui a forgé son insoumission et sa rébellion futures. On n'en saura rien. Toutes les tentatives de réorienter la discussion sont vaines. Darc est absorbé ailleurs, il dessine sur une feuille, s'excuse d'oublier la question, tente de se reconcentrer. Tout finit presque par un désastre absolu. Comme si les quinze années d'héroïne et d'alcool écoulées dans ses veines, qui lui ont laissé des séquelles physiques, semblaient à ce moment précis lui ôter toute faculté de discernement.

    On sait en revanche que le «King» Presley, Patti Smith, Kerouac, les Sex Pistols, Fitzgerald, Salinger, la Beat Generation, Céline ou Coltrane sont des obsessions adolescentes et durables qui ont catapulté son  entrée en rock et en poésie. Et aussi que son sublime quatrième disque tourne encore autour de l'amour et de la mort, les deux principaux voire seuls thèmes ayant occupé l'écriture chirurgicale, la vie et la mémoire de Daniel Darc depuis la fin des années 70. Avec la Bible ou la chrétienté auxquelles il faisait déjà allusion sur Crèvecœur.

    Au terme d'une heure de bavardage avec cette silhouette arquée arborant un gilet noir zippé serti d'un «100% Dead», une liquette charbon siglée IRA, une ceinture foncée ELVIS, des tatouages imposants et des cheveux gominés, on n'aura pas percé à jour le mystère Daniel Darc. Celui du mythe underground, de l'ange maudit qui ressemble maintenant à ces fantômes, mannequins trépassés dont il chantait, dans une autre vie, la raideur solitaire.

    Sur cette mort qui hante Amours suprêmes et dont il veut croire à la bonne fée en murmurant «J'irai au paradis car c'est en enfer que j'ai passé ma vie», Darc lâchera tout de même - au bord des larmes et en cherchant parfois ses mots: «Elle m'obsède bien sûr. Elle est insidieuse et sa plus grande force est qu'elle arrive à nous faire croire qu'elle n'existe presque pas. Mais ce qui m'obsède surtout, c'est ce qui arrive avant la mort: c'est la diminution physique et intellectuelle qui précède. Cette vieillesse qui déjà m'habite. A partir du moment où tu as besoin de quelqu'un pour chier à l'hôpital par exemple. Quand on me dit «Oh, monsieur Rozoum, y va bien?» «Il a fait sous lui aujourd'hui, mais c'est pas grave!» d'un air condescendant et infantilisant. Tu te dis, putain merde, et t'as envie de te foutre en l'air. Alors que quand t'es chrétien, c'est galère l'idée de se foutre en l'air.» N'allez jamais lui prêcher que «l'amour est plus fort que la mort»! Insulte garantie.

    Cet article avait été publié dans le quotidien suisse Le Temps du 11 janvier 2008

  • Genève et le CERN peuvent dire merci à Nick Cave

    L'ensorcellant, vénéneux et émouvant nouvel album de Nick Cave, Push the Sky Away, recèle une ballade aussi ténébreuse que magnétique, où Genève, le CERN franco-suisse (Organisation européenne pour la recherche nucléaire) et son accélérateur de particules où le boson de Higgs tient le premier rôle font partie intégrante d'un sombre décor qui voit encore apparaître Lucifer, Robert Johnson ou Memphis.

    Le biennommé "Higgs Boson Blues" a de quoi filer la chair de poule, même dénué de son.


    Nick Cave & The Bad Seeds: "Higgs Boson Blues" (2013)


    Can't remember anything at all
    Flame trees line the streets
    Can't remember anything at all
    But I'm driving my car down to Geneva

    I've been sitting in my basement patio
    Aye, it was hot
    Up above, girls walk past, the roses all in bloom
    Have you ever heard about the Higgs Boson blues
    I'm goin' down to Geneva baby, gonna teach it to you

    Who cares, who cares what the future brings?
    Black road long and I drove and drove
    I came upon a crossroad
    The night was hot and black
    I see Robert Johnson,
    With a ten dollar guitar strapped to his back,
    Lookin' for a tune

    Well here comes Lucifer,
    With his canon law,
    And a hundred black babies runnin' from his genocidal jaw
    He got the real killer groove
    Robert Johnson and the devil man
    Don't know who's gonna rip off who

    Driving my car, flame trees on fire
    Sitting and singin' the Higgs Boson blues,
    I'm tired, I'm lookin' for a spot to drop
    All the clocks have stopped in Memphis now
    In the Lorraine Motel, it's hot, it's hot
    That's why they call it the Hot Spot
    I take a room with a view
    Hear a man preaching in a language that's completely new, yea
    Making the hot cocks in the flophouse bleed
    While the cleaning ladies sob into their mops
    And a bellhop hops and bops
    A shot rings out to a spiritual groove
    Everybody bleeding to that Higgs Boson Blues

    If I die tonight, bury me
    In my favorite yellow patent leather shoes
    With a mummified cat and a cone-like hat
    That the caliphate forced on the Jews
    Can you feel my heartbeat?
    Can you feel my heartbeat?

    Hannah Montana does the African Savannah
    As the simulated rainy season begins
    She curses the queue at the Zulus
    And moves on to Amazonia
    And cries with the dolphins
    Mama ate the pygmy
    The pygmy ate the monkey
    The monkey has a gift that he is sending back to you
    Look here comes the missionary
    With his smallpox and flu
    He's saving them savages
    With his Higgs Boson Blues
    I'm driving my car down to Geneva
    I'm driving my car down to Geneva

    Oh let the damn day break
    The rainy days always make me sad
    Miley Cyrus floats in a swimming pool in Toluca Lake
    And you're the best girl I've ever had
    Can't remember anything at all

  • Janvier 2013

    Jérémie Kisling, Tout m'échappe (Naïve)

     

    album-jeremk2_cover_ok.jpgEn convalescence pop voilà quatre ans au fil de cet Antimatière plein de larmes à peine asséchées et de mélancolie jamais voilée, Jérémie Kisling s'en revient à la chanson avec un teint plus rayonnant. Dans Tout m'échappe, son quatrième album, le Lausannois désormais en exil à Paris a mis de côté ses envies de raccrocher ses mélodies jolies et sa plume gracile. Si les doutes persistent heureusement, logiques stigmates de la tabula rasa, les désillusions sont moins flagrantes et plombantes.

    Sans pour autant renouer avec l'indolence insouciante et malicieuse du répertoire de ses débuts, il y a onze ans, l'espoir de la scène suisse romande, brièvement baptisé Monsieur Obsolète, trempe prose et rime dans l'encre de ses fragilités et peurs assumées. Tel ce constat empli de poésie qu'un Souchon ne renierait point: «La vie m'a donné un cœur en papier qui brûle à l'orage levé». Tout m'échappe voit le temps des remises en question et de l'innocence déboucher plutôt sur des embruns d'amertume et de fausses ingénuités caressés d'airs folks, d'un piano suranné ou de motifs cuivrés.

    Entre regards sépia et clins d'œil haut en couleur, Kisling se promène sans trop de vague à l'âme sur un océan de promesses neuves. S'il s'imagine «capitaine abandonné" au détour d'un "Retour du pirate», on le voit bien garder cette fois le cap contre vents et marées. Fendre les eaux troubles.

    Sortie française: avril 2013.

    Cet article a également été publié dans "Sortir", supplément culturel du quotidien suisse Le Temps.

     

  • Un adieu à Claude Nobs

    claude_nobs_miles_davis.jpgTriste fin de soirée jeudi 10 janvier 2013. Claude Nobs, âme et co-fondateur du Montreux Jazz Festival (MJF), s'éteint. A 76 ans, au terme de quinze jours de coma, le « Funky Claude » immortalisé par Deep Purple rejoint ces étoiles musicales qu'il a contribué à faire briller sur sa Riviera vaudoise tant chérie. Les eaux du Léman de « Smoke on the Water » se troublent. La nuit à Montreux, si propice aux éclats, n'a jamais été si noire.
     
    Le MJF est orphelin ; une légion de musiciens et mélomanes à travers le monde aussi. Rien ne sera plus comme avant. Hélas. Les souvenirs affluent et se télescopent. Les légitimes hommages à cette figure bonhomme, enthousiaste, passionnée, rêveuse, utopiste pleuvent de tous les recoins de la planète. Bien au-delà des toqués de cette note bleue qu'il a défendue sur les scènes de Montreux et ailleurs. Encore un pan d'histoire qui s'effrite.

    La quinzaine de Montreux a rythmé quasi dix ans de ma vie professionnelle, chaque été. Le début de mes années 2000 y sont intimement liés. Indirectement ou directement, Claude Nobs et les programmateurs de son festival auront élargi mes horizons sonores, participé à l'éducation et l'émancipation de mes oreilles. Keith Jarett, B.B. King, Santana, Solomon Burke, Gilberto Gil, Wyclef Jean et tant d'autres noms du rhythm'n'blues, du jazz, de la soul, de la bossa ou des musiques du monde, ce n'était pas vraiment pas la tasse de thé d'un trentenaire alors branché pop, rock, chanson ou hip-hop. Là aussi pourtant, j'ai et on a été des enfants gâtés.
     
    Je n'oublierai jamais les marathons inouïs de Bowie, Leonard Cohen et, surtout, Prince jouant les prolongations en bout de nuit et qu'ai failli rater à cause des appels de Morphée; les élans de grâce d'Antony and the Johnson ou le magnétisme sombre et vénéneux de Tricky. Comme bien sûr ne pourrai rayer de ma mémoire - la perfection n'existe pas -, les ratés grotesques et pénibles de Sly and The Family Stone, The Black Eyed Peas, Korn, de certaines soirées hommage ou les déceptions personnelles. Mais au moins, Nobs aura-t-il osé jeter les passerelles musicales les plus insensées, brouiller les grammaires établies et remettre sans cesse en question la formule quadragénaire d'un festival resté unique en son/ses genre/s. Certes pas toujours pour les bonnes raisons, mais qu'importe. En ce funèbre jour, on oubliera même les légendaires colères de Nobs. Préférant retenir les coups de coeur du passeur que ses coups de sang. R.I.P donc.
     
    Dire que le Père Noël m'a amené le 24 un coffret de 20 albums originaux d'Atlantic Records sans qui le Montreux Jazz n'aurait jamais existé et que pas plus tard qu'hier Aretha Franklin, Percy Sledge, Ray Charles, Otis Redding, Wilson Pickett et Sam Dees ont bercé de soul ma journée de travail. A 23 heures quand j'apprenais le décès de Nobs, me serai franchement passé de la coïncidence.