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L'âme-son - Olivier Horner - Page 13

  • Mai 2013

    Bertrand Belin, chanson de traverse

    Tout en rondeurs folk-rock et éclaircies pop, «Parcs» (Cinq7) poursuit la quête d’épure du Français.

    Bertrand-Belin-Parcs.jpgUn tarmac en guise de bienvenue à bord de Parcs. Le béton pour signifier la verdure. Une fois de plus, la forme et le fond semblent en contradiction chez Bertrand Belin. Pourtant, à y regarder de près, le quatrième album du chanteur-conteur est plus cohérent qu’il n’y paraît. Tant Parcs est encore et avant tout une exquise invitation au voyage et vagabondage.

    En un peu moins de dix ans, Belin est passé maître dans l’art de générer l’évasion, l’échappée belle atmosphérique. La chanson de traverse constitue sa prouesse. Dans Sorties de route (Ed. La Machine à cailloux, 2011), petit ouvrage où le Français réfléchit au processus de création, il s’interroge d’ailleurs sans vraiment répondre: «Mes chansons ne sont-elles pas, après tout, l’accompagnement sonore d’une dérive ou, plus justement, celui de l’éloignement d’une rive?»

    Au bout du fil, à l’heure de l’interview, on persévère pour décrocher une explication: «Je vois cela comme le plongeon ou des choses paradoxales qui questionnent les frontières. La dérive, cela peut autant être fuir le nazisme que s’éloigner en nageant. Ce qui me plaît dans cette notion et dans la chanson, c’est l’ambivalence, la promesse romanesque, le ressort dramatique, la beauté de l’inexorable».

    DÉVELOPPER SA SURVIE
    En toile de fond de Parcs apparaissent aussi ses préoccupations récurrentes: «La fuite du temps, la façon dont on s’arrange avec la solitude ou la vieillesse, dont on s’accommode avec notre bout de lorgnette dans ce monde complexe.» L’esthète Belin confesse écrire pour développer sa survie, conjurer les secondes qui s’égrènent: «Je trouve qu’on pourrait tout résumer ou lire à l’aune de la flèche du temps. L’histoire des techniques, du progrès n’est que cela. Mais je songe au temps comme à un véhicule. Le temps comme le voyage, le déplacement, le paysage du vivant. Dans cette idée, le futur me passionne autant que le passé. En somme, c’est l’ironie métaphysique du ­vivant qui me captive et nourrit mon répertoire.»

    Parcs offre un magnifique tour du propriétaire. Où l’on chemine aux côtés de personnages déboussolés (un homme au bord d’un plongeoir, un autre perdu, des hommes qui se battent, un couple qui se querelle) au coeur de paysages verts, broussailleux, pluvieux ou brumeux. Une faune indéfinie qui s’égare puis repart entre variations climatiques et changements d’humeur, à l’image de l’existence. Et le lexique volontiers symbolique et naturaliste de Belin, qui se déploie dans ces espaces temporels suspendus, de signifier joliment son art pointilliste du micro-détail mallarméen.

    Il y a trois ans, l’éblouissant Hypernuit privilégiait les épures à la Satie. En réaction aux luxuriances orchestrales de La Perdue (2007) avec force cordes et vents lyriques, Belin s’était soudain interdit les effets musicaux et les afféteries de langue pour imaginer un album «asséché, osseux». Entre ces deux extrêmes, Parcs trouve une voix apaisée et charrie un répertoire folk-rock plutôt alangui. «Parcs est clairement davantage une suite qu’une rupture. S’il y a souvent un nécessaire et logique inversement des polarités, je vois cet album plus comme un rafraîchissement, avec un ensoleillement plus pop sous quelques contours. Mais j’ai continué par contre mon travail sur la disparition de la masse de texte, comme sur Hypernuit».

    ÉNIGMATIQUE ET MÉLANCOLIQUE
    Une épure textuelle en forme d’obsession poétique pour ce Belin qui a dévoré Philippe Jacottet, Raymond Roussel, Francis Ponge, Henri Michaux ou Kazuo Ishiguro avec la même appétence que des traités d’orchestrations, des partitions de Prokoviev ou Bartok. La prose de Belin aime à jouer avec les points de suspension et l’impressionnisme, à figurer des situations furtives plutôt que de les développer. Chanteur d’esquisses, Belin écrit «sans thèmes choisis. Je réponds au présent, aux intempéries comme aux éclaircies. J’écris des chansons comme la bande-son de mon vivant.»

    Se laisser dériver, surprendre, encore et encore. Tout en conservant une dimension épique, énigmatique et mélancolique entre ses stances élégantes et parfois surannées. La chaleur et la rondeur des compositions viennent ainsi contrebalancer à merveille l’économie de mots. Entre folk-rock et pop américains, Belin place de son élégante voix indolente son répertoire sous les auspices croisés de Bill Callahan ou Howe Gelb. Deux références chéries par ce guitariste breton autodidacte qui a collaboré avec quantité de formations (Strompin’Crawfish, Sons of the Desert, Les Enfants des Autres, Néry) et avec le chorégraphe Philippe Découflé après des études d’harmonies et de solfège dans une école de jazz.

    Par ces figures de style enchanteresses, sa poésie des sens, sa fugacité lyrique ou ses silences, celui qui a grandi non loin des ajoncs des côtes sauvages du Morbihan s’affirme comme une perle de la francophonie chantante, dont il contribue assurément – aux côtés de Florent Marchet, Camille ou JP Nataf, au ravalement de façade initié par des Murat, Dominique A, Diabologum ou Mendelson.

     

    Cet article a aussi été publié dans le quotidien suisse Le Courrier du 8 juin 2013

  • Moustaki, "Métèque" et mat

    Il y a cinq ans, il avait commencé à évoquer sa maladie respiratoire, le coeur un peu serré (lire l'interview de 2008 exhumée ci-dessous*). Logique quand on dédié la majorité de son temps et sa passion à la chanson et que les bronches ne suivent plus. Avec la disparition de Georges Moustaki à 79 ans, c'est un pan d'un large patrimoine qui s'effondre, courant du Brésil à la France et de l'Egypte à la Grèce. Le "Juif errant" aura comme peu ressassé ses thèmes chers qu'étaient l'amour, les femmes et le vagabondage. "Métèque" et mat d'un grand voyageur, solitaire et aimant.

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    *"Je suis un serviteur de la révolution"

    Georges Moustaki publie un nouvel album, "Solitaire", et raconte ses fièvres de poète errant.

    Existence et errance ont toujours été liées chez Georges Moustaki. Plus d'un demi-siècle que l'auteur-compositeur, mais aussi écrivain, peintre, polyglotte et féru de tennis de table chante ce qu'il respire. Les voyages et les rencontres ont formé davantage que sa jeunesse. De ses vagabondages inspirants, il a cette fois ramené Solitaire. Celui qui est né Grec dans un monde d'Egyptiens où il a appris le français y duettise avec Delerm, Cali, Stacey Kent et China Forbes. Dans un voile de douceur, de légèreté nostalgique ou mélancolique, Moustaki reprend et rénove encore des titres phares («Ma solitude» ou «Sans la nommer»). Si les élégantes chansons de Moustaki n'ont jamais révélé une grande voix, elles sont un peu gâchées ici par un manque de couleurs et de souffle qu'il aborde sans détour.

    Georges Moustaki: J'ai un problème relativement récent d'emphysème pulmonaire auquel je n'arrête pas de penser. Mais je ne veux pas modifier ma vie en fonction de cette pathologie, même si je la ressens au quotidien. Le problème est que je ne sais pas combien de temps je pourrai compter sur ma voix. Ma pathologie est très préjudiciable. C'est très mystérieux aussi cette question vocale car je fais des concerts de deux heures où je me sens paradoxalement mieux en fin de spectacle. La détérioration de ma voix en raison de l'âge est une conséquence audible. Mais le problème de souffle, malheureusement, ne tient hélas pas à l'âge mais à la maladie contractée. Je le tiens à bout de bras car je n'ai pas encore épuisé toutes les possibilités médicales.

    - Quarante ans et autant de mois de mai séparent «Métèque», votre premier succès, de votre nouvel album,«Solitaire». Cela revêt-il une symbolique particulière?

    - Non. Mes producteurs ont tenté de le faire croire. Mais c'est du pur marketing. Je ne renie pas, ne récuse pas ni désavoue 1968 mais je ne me retrouve pas dans cette célébration. Mes souvenirs de 1968 sont très beaux. Il faut qu'ils restent purs et justes. Ma chanson «Sans la nommer», qui évoque la «révolution permanente», ne parle ainsi pas de mai 1968 en particulier. Mais de toutes ces révolutions du siècle dernier qui ont fait bouger le monde: la révolution russe, cubaine, celle des œillets au Portugal, etc. Toutes les révolutions sont admirables quand elles ne dégénèrent et ne se pervertissent pas.

    - Cet esprit libertaire qui a fleuri en 1968 a-t-il été une balise artistique et intellectuelle?

    - Je vivais bien avant avec les valeurs revendiquées en 1968. Même si elles étaient moins bien définies. Elles continuent de me sembler importantes, même si le vent a tourné et que les jeunes gens d'aujourd'hui semblent manifester pour travailler plus et gagner plus...

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    - La première chanson de «Solitaire», «Le temps de nos guitares», évoque des amitiés artistiques. Vous y évoquez notamment Henri Salvador, à qui l'album est aussi dédié. Qu'a-t-il représenté?

    - Au-delà de l'amitié, de l'admiration que je lui porte, du travail effectué ensemble, Henri a surtout été le plus guitariste de tous les chanteurs que j'énumère. Il me fallait distinguer son talent supplémentaire. Et puis nous partagions un amour pour le Brésil, la sieste, les belles femmes, les bonnes adresses gastronomiques. Nous partagions aussi un immense amour pour les beaux textes, les belles mélodies, et pour toutes les musiques. Pas seulement celles du Brésil, même si cela reste un pays de référence vu sa richesse exceptionnelle.

    - Vous partagez désormais le micro avec Cali ou Delerm, une autre génération de chanteurs.

    - Ce sont des affinités effectives et affectives, musicales, idéologiques, complices, amicales et éminemment artistiques qui nous ont réunis aussi. Mais c'est moi le frère aîné à présent. C'est différent.

    - Avec Cali, vous vous retrouvez sur des valeurs communes, le soutien entre autres à Ségolène Royal aux dernières présidentielles?

    - Oui. C'est venu en plus mais ce n'était pas prépondérant. Reste que le choix d'interpréter «Sans la nommer» a été fait en fonction de nos convictions communes.

    - De la «révolution permanente»?

    - Oui, Mais on peut tout lui faire dire aussi à cette révolution permanente. C'est celle des cœurs, de l'âme, de l'esprit, des idées, d'un pays. Je me souviens avoir chanté cette chanson dans les années 70 au sud de l'Inde, une partie restée un peu francophone. Eux y entendaient une révolution spirituelle. Tout était logique dans cette connotation aussi. Chacun y a puisé une signification différente. C'est ce qui fait sa beauté, je crois.

    - L'un de vos biographes, Cécile Barthélemy, dit que Moustaki «attire ainsi, insensiblement, parce qu'il n'est pas un révolutionnaire violent, ni même avoué, dans son univers». Cela résonne en vous?

    - Il y a des gens qui ne veulent pas le voir car je ne suis pas très éloquent. Mais s'ils regardent ce que j'écris, vis et dis, ils verront que je suis davantage un serviteur de la révolution. Je ne monte pas au créneau systématiquement. La révolution, c'est aussi une jolie femme que l'on a envie d'aimer et d'accompagner. Cette discrétion est aussi l'effet de mes doutes. Je ne suis pas non plus toujours convaincu à mille pour-cent d'une chose pour la clamer. Je la propose, la formule. Mais comprend et y souscrit qui veut. Je suis étonné du crédit que l'on peut donner à des gens pas toujours qualifiés pour être des maîtres à penser. Les écrivains qui m'ont marqué, comme Henri Miller, avaient cette grande liberté d'esprit de se contredire. C'est peut-être d'avoir fréquenté dans la vie et littérairement des gens de cette espèce qui me rend méfiant vis-à-vis de tout ce qui est emphatique et affirmatif.

    Cet article est paru dans le quotidien Le Temps du 7 juin 2008.

  • Bye Miss Maggie

    Allez, joignons-nous au concert funèbre et enterrons-là une fois pour toute...
    Bye Margaret Thatcher, bye bye Miss Maggie qui, du côté frenchie de la Manche, aura au moins inspiré un Renaud -bien qu'en méforme - quand au Royaume-Uni elle aura été plus de dix ans durant la meilleure muse-ennemie du rock!

    «Y’a pas de gonzesse hooligan, imbécile et meurtrière
    Y’en a pas même en Grande-Bretagne, à part bien sûr Madame Thatcher.»

    Renaud, "Miss Maggie" (1986)

  • Les veloutés chaloupés de Wayne Paul

    WaynePaul.jpgWayne Paul, Between The Lines (Absinthe Music)

    Une renaissance. Sans exagération, le retour de Wayne Paul en est une. Au terme d'une longue descente aux enfers parsemée de son propre aveu d'alcool et de drogue, de séjours en prison et de cure de désintoxication, l'Anglais retrouve toute l'intensité de son souffle sur un nouvel album baptisé Between The Lines*. Entre âpreté et légèreté proche de l'immatérialité, le timbre de ce Wayne Paul qui avait fait les beaux jours du label Big Dada au milieu des années 90 n'a rien perdu de sa grâce.

    Sur un fond de dub et d'electro, de jazz et de hip-hop, de climats excessivement moites imaginés par le sorcier helvète Christophe Calpini (Mobile in Motion, Stade, Alain Bashung, Dog Almond, etc), l'artiste aux origines jamaïcaines bercé précocement par Gregory Isaacs, Dennis Brown, John Holt, Marvin Gaye, le répertoire de la Motown ou la mouvance liée à l'énigmatique Jah Shaka -prince des basses écrasantes, sirènes et chambres d'écho - a retrouvé toutes ses marques. Et distille comme sur un nuage ses veloutés chaloupés.

    Au travers de chants volontiers altruistes, humanistes, où il appelle notamment les professeurs à protéger nos enfants car ils sont l'avenir et évoque la nécessité de se souvenir de ses racines pour retrouver la force de vivre, Wayne Paul fait planer toute sa sorcellerie vocale sur quatorze titres syncopés. Il profite aussi de convier à ses retrouvailles God’s Gift, l'un des meilleurs maîtres de cérémonie du courant «grime», le temps de trois morceaux d'anthologie.

    Malgré quinze ans d'errances, de vie dissolue, Wayne Paul est ainsi resté le joyau vocal éclatant révélé au fil de Take the Train (Sound of Money/Big Dada, 1994). Celui aussi qu'on croisa, convalescent pourtant mais déjà diablement envoûtant, sur l'album Tactile de Stade (projet en forme de work in progress de Christophe Calpini et Pierre Audétat), aux côtés de Roots Manuva sur disque et en tournée pour Revolution 5 ou encore en fulgurant invité de marque de In Dog we Trust de Dog Almond. Déjà, la pureté et la puissance évocatrice des vocalises de Wayne Paul ne pouvaient laisser de marbre. Il en va de même aujourd'hui au fil de cet organique Between The Lines. Admirable, profond et captivant de bout en bout, c'est une petite merveille hantée.

    *Ce texte est celui de la présentation de l'album qu'ai rédigé pour le label suisse Absinthe Music

    Wayne Paul est en concert au Cully Jazz Festival (CH) le sa 13 avril 2013

  • Mars 2013 (I)

     

    Dans la profusion des sorties mensuelles, ne retenons que quelques chansons...


    BabX, Drones personnelsBabX, Drones personnels (Wagram Music/Cinq 7)

    En 2006, dans un premier album épicurien et enchanteur, BabX télescopait savamment son melting-pot d’influences: Ferré, Coltrane, Nougaro, NTM, musiques du monde et BO de films. Trois ans après, on devinait à nouveau ces penchants dans un Cristal Ballroom à la fois fiévreux et mystérieux, et d’une impressionnante richesse instrumentale. Ses dons d’atmosphériste délétère y opéraient à merveille, façon fin de siècle ou plutôt d'empire. Tandis que ses culbutes littéraires, ses entrechocs de sons et de sens étaient chéris au fil d’un ballet de chansons voltigeuses ou juste intimistes sous la seule influence d'un piano.

    Aujourd'hui chez BabX, mots et musique continuent d'élégamment déboussoler dans des optiques plus pop. Mais le chanteur français a choisi d'injecter dans Drones personnels une dimension rétro-futuriste poétique et mécanique. Un imaginaire où se côtoieraient à la fois Jules Vernes et Georges Méliès ; même si BabX ressuscite Jonathan Swift (« Dans mon Gulliver »). Les hommes et les machines, l'émotion et la froideur, le rêve et la réalité, l'ombre et la lumière, la raison et la folie, l'amour et ses tourments entre piano électro-mécanique (chamberlin) et synthés, boîtes à rythmes et machines, acoustique et électronique. Ce troisième album joue sur ces dualités tout en mettant la voix chaleureuse de BabX au centre des ébats musicaux. Les partitions sont ici volontiers brumeuses, synthétiques, parasitées, éthérées ou machiniques ; une dernière optique renforcée parfois par des répétitions lexicales ou des mots martelés (« Despote paranoïa »).

    Au sein de cet univers étrangement enchanteur, le collaborateur de Camélia Jordana ou L dévoile ses parts d'ombre, sublime ou entérine les femmes, évoque le manque ou l'absence. « Suzanne aux yeux noirs » réveille sa chère défunte grand-mère quand « Tchador Woman » parle de Manal Al Sharif, icône de la révolte féminine en Arabie Saoudite et « Naomie aime » tacle gentiment la top model starisée avide de diamants. Un large spectre de femmes qu'incarne aussi à sa manière fatale une Camelia Jordana venue faire écho au fiel d'un amoureux éconduit sur « Je ne t'ai jamais aimé » (« Et s'il arriva que je fus fou de toi/Ton souvenir n'est plus qu'un souvenir de plus »). Passion et manque s'entremêlent au fil de « 2012 », le gainsbourien « Les Noyés » ou « Helsinki » dans des courses-poursuite aux airs chimériques. Comme si finalement d'ailleurs Drones personnels n'était que recherche du temps perdu.


    Babx feat. Camelia Jordana en Deezer Session... par deezer