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L'âme-son - Olivier Horner - Page 25

  • Janvier 2010

    Dans la profusion des sorties mensuelles, ne retenons que quelques chansons...

     

     

    Fleurent-Didier.jpgArnaud Fleurent-Didier, La Reproduction (Columbia, 2010)

    Près de six ans après le détonnant Portrait du jeune homme en artiste, Arnaud Fleurent-Didier revient à la chanson avec cette ambitieux La Reproduction. Une symphonie pop aux élans toujours passionnels et aux sonorités très seventies en forme de confessions chantées. Après avoir thématisé autour des affres du créateur, le Parisien s'interroge cette fois sur l'atavisme, l'héritage culturel, la mémoire collective, l'amour, le sexe et quelques futilités modernes. Avec une ironie constante et parfois une mordante froideur, Arnaud-Fleurent-Didier réussit un disque aussi atypique que lyrique. Où transpire peut-être les doutes de sa génération de trentenaire.

    La Reproduction possède un souffle, une luxuriance orchestrale, une finesse dans les arrangements et une richesse mélodique rarement croisées au sein de la production francophone actuelle. Et dont le spectre esthétique embrasse autant les BO de Michel Legrand, François de Roubaix ou Francis Lai que les élans pianistiques d'un Polnareff. Reste que l'esthétique pop de Fleurent-Didier le rapproche davantage du romantisme d'un Katerine d'avant Robots après tout, d'un Florent Marchet ou d'un Julien Ribot malgré quelques traits eighties d'un goût douteux.

    Dans le sillage du gainsbourien "France Culture", ouverture passant en revue l'héritage de 68, le chanteur enchaîne sur les délices amoureux. Puis toute La Reproduction d'alterner une sorte de froid politisé (l'engagement, la révolte) et de chaud émotionnel (sentiment aimant, filiations). Avant de conclure sur le touchant "Si on se dit pas tout" sur sa relation avec son père. Du grand oeuvre avec l'air de ne pas y toucher.

     

  • Episode XVI: Berry

    Au début des années 2000, dans le sillage des Biolay, Bénabar, Delerm and co est apparu une nouvelle génération d'auteur-compositeur-chanteur très vite rangée sous l’appellation médiatiquement contrôlée "nouvelle chanson française". Cette nouvelle vague vocale s’apprête en 2010 à célébrer ses dix ans d’existence. Retour dans le désordre sur les albums phares (une trentaine) des trentenaires talentueux qui à leur manière décompléxée ont repris le flambeau des Murat, Miossec, Dominique A ou Katerine des années 90 dont l’écriture leur avait ouvert d’autres voies

     

     

    BerryMademoiselle.jpgBerry, Mademoiselle (Mercury, 2008)

    Berry dévoile des mots aux fêlures touchantes. Et paraît aussi fragile que les chansons de son Mademoiselle, galop d’essai discographique sensible et délicat. Vêtu de peu (avec une dominante de cordes soyeuses), la frêle demoiselle égrène son indolente poésie des sentiments amoureux. Avec pudeur et sens des métaphores, Berry habite ses fragilités de cœur avec quelques détours par le blues et le jazz sur ses (dé)routes folk-pop.

    Rien de révolutionnaire certes, mais le style sans manière est d’une folle et surannée élégance. Comme un écho aux débuts vaporeux et plein de spleen de Keren Ann ou Coralie Clément ou à une plus lointaine Françoise Hardy. Pourtant, côté francophone, la jeune femme originaire de Poitiers préfère citer Barbara, Brassens et, surtout, Gainsbourg, "son absolue passion". Gainsbourg s’enflamme-t-elle, "il ne se passe pas une semaine où je ne l’écoute pas! Il a été à l’adolescence le lien entre tout ce que j’avais écouté. Barbara, Brassens, les Stones, les Beatles, Joni Mitchell, Marianne Faithfull. Et qui surtout n’appartenait pas à mes parents. Il faisait un pont entre mes influences anglo-saxonne et francophone, tout en étant subversif; parfait pour l’adolescence. C’est un ami qui n’a cessé depuis de m’accompagner. Il s’est personnifié. Et comme je suis de nature plutôt fidèle et très obsessionnelle, voire monomaniaque, je l’écoute systématiquement. Je le chante même avant de monter sur scène avec mes musiciens".

    Fil conducteur d’une vie qui est passée par le théâtre avant d’embrasser quelque peu par hasard la chanson, Gainsbourg s’entend ou se devine d’ailleurs en toile de fond de Mademoiselle. De façon flagrante musicalement comme dans "Chéri", premier des deux poèmes de Verlaine extrait du recueil Chansons pour elle et autres poèmes érotiques que Berry a adapté. Et plus incidemment textuellement sur "Enfant de salaud", où parmi des insultes plus abominables qu’elle profère d’une voix douce, Berry évoque "un vieux scélérat".

    La poésie, Berry l’a en tout cas dans la peau. Griffonnant des textes sur des bouts de papier depuis l’enfance, ayant dévoré et usé Cantilène en gelée, recueil de Boris Vian daté 1949. Elle nourrit une véritable fascination pour la poésie. Apollinaire et Verlaine, dont elle a adapté littéralement les poèmes les moins "pornos" de Chansons pour elle, figurent aussi dans son panthéon.

    Si une jolie formule telle "Un Smith & Wesson qui colle à la tête comme un homme" ("Mademoiselle") aurait pu être écrite par Gainsbourg, Berry impose heureusement son propre sceau sur ses maux de l’âme qui sont à mille lieues de toute description du quotidien. Un spleen plein de charme innerve ses douze premières chansons très intimes paradoxalement portées par un tube intitulé "Le bonheur".

  • Episode XV: Thomas Winter & Bogue

    Au début des années 2000, dans le sillage des Biolay, Bénabar, Delerm and co est apparu une nouvelle génération d'auteur-compositeur-chanteur très vite rangée sous l’appellation médiatiquement contrôlée "nouvelle chanson française". Cette nouvelle vague vocale s’apprête en 2010 à célébrer ses dix ans d’existence. Retour dans le désordre sur les albums phares (une trentaine) des trentenaires talentueux qui à leur manière décompléxée ont repris le flambeau des Murat, Miossec, Dominique A ou Katerine des années 90 dont l’écriture leur avait ouvert d’autres voies

     

    Winter&Bogue.jpg

    Thomas Winter & Bogue, Sur la colline (Virgin, 2005)

    L'écriture est aussi rêche qu'allusive, et souvent désabusée. Thomas Winter et Bogue, duo parisien cultivant des fleurs de poésie dans les interstices du bitume urbain, s'étaient révélés d'un coup mi-2003 grâce à un chapelet de chansons séditieuses. Sur fond d'électro-rock chaotique, le tandem privilégiait les métriques épileptiques dans un premier album éponyme gorgé d'une sourde mélancolie et d'une certaine rancœur sociale. Entre cassures de rythme et prose elliptique ou effrontée, voix de tabac froid passée au vocodeur, accouplements d'électricité, d'acoustique et d'électro-disco froide, les chansons de Winter et Bogue esquivaient alors toutes les suavités.

    Un côté animal émanait de cet accouplement improbable de Brel, Gainsbourg, Taxi Girl, Suicide, The Cure, Noir Désir et de hard rock. Au sein duquel les fausses versifications concassées pouvaient prendre des allures telles que "Allez, viens vite/Mets-lui la langue/Ne sois pas farouche/Ouvre grand la bouche/Allez viens petite/Il faut qu'ça tangue/Ne sois pas farouche/Les sens-tu qui se touchent?" ("Allez, viens petite"). La paire excentrique, déroutante plus que détonante, pratiquait aussi à merveille l'autoflagellation et les complaintes aux arrière-goûts désenchantés, voire outrageusement sexuels. Ainsi de «Batifole», titre phare au final orgasmique dont le clip vidéo aurait très bien pu être classé X, avec l'apparition de Thomas Winter, bras en croix, en jouet charnel de deux stars pulpeuses du porno.

    Au cours de ce deuxième disque au gentillet nom de Sur la colline, Thomas Winter (chant, textes) et Bogue (guitares, compositions) ont plutôt penché pour une forme plus classique de chanson. En faisant œuvre de dépouillement instrumental d'abord, puis en s'appuyant davantage encore sur la voix sensuellement rauque de Winter, le répertoire laisse davantage sur le bas-côté les effets et les styles sonores de l'ex-contre-culture rock. Une émancipation qui n'altère en rien la force crue des mots, la pertinence de compositions bâties sur des mélodies évidentes.

    Sur la colline sent une fois de plus le vécu de Thomas Winter à plein nez. Un disque de chair, de sueur, de désillusions, de ruptures et de momentanées éclaircies. Deuxième extrait du carnet de bord que cet ancien jardinier municipal et ouvrier agricole saisonnier a imaginé au sortir de dures journées de labeur, Sur la colline intègre aussi des textes écrits plus récemment. Au "Balayeur", à "L'automne" ou à "J'me sens vidé", chansons éloquentes du premier album, répondent à présent des chansons où l'air se fait moins suffocant: "Partir", "L'océan", "Libre".

    Autant d'instantanés fugaces, comme des poèmes retaillés pour une forme chantée, qui n'excluent pourtant nullement les maux et les regrets de leurs horizons éphémères. Un souffle vénéneux qui constitue sans doute aussi la marque de fabrique de Thomas Winter, trentenaire tatoué au visage d'ange rock déchu capable de faire jaillir des étincelles de poésie dépitée dans la grisaille d'une zone industrielle, de s'imaginer sans ridicule en «French lover» romantique dans un morceau de surf rock à la californienne, de conter des amours sordides avec une élégance sidérante.

    Mais c'est sans doute au fil de "Je suis", chanson-ADN, que Thomas Winter se révèle le mieux: "Je suis un mélancolique en demeure/Je suis l'osmose sexuelle refoulée/Je suis un toxicomane potentiel/Je suis le rêveur amnistié/Je suis un branleur conditionné/Je suis l'artiste de mon malheur/Je suis l'overdose qui t'écœure/Je suis un poète de fond de panier/Je suis l'écrivain périmé/Je suis une bite pour les grosses pouffes/Je suis un spasme qui t'étouffe/Je suis la vérité à renier […]". Inventaire vertigineux, défiguration d'une âme en peine, chanson vérité ou fantasmée par un homme maudit, "Je suis" constitue le sommet versatile et intense de Sur la colline. Chez Thomas Winter et Bogue, hélas ou tant mieux, les mots finissent toujours par peser malgré des climats musicaux d'humeur moins maussade. Cet univers sans faux semblants, ces dérives aussi réalistes qu'existentialistes ont en tout cas plu à Benjamin Biolay, qui souffle quelques notes apaisées de trompette et s'est occupé des arrangements de cordes sur deux titres. Histoire de contenir la tornade de sentiments marqués au fer rouge crachés par cette alliance jamais contre nature que forment Winter et Bogue.

  • Episode XIV: Joseph d'Anvers

    Au début des années 2000, dans le sillage des Biolay, Bénabar, Delerm and co est apparu une nouvelle génération d'auteur-compositeur-chanteur très vite rangée sous l’appellation médiatiquement contrôlée "nouvelle chanson française". Cette nouvelle vague vocale s’apprête en 2010 à célébrer ses dix ans d’existence. Retour dans le désordre sur les albums phares (une trentaine) des trentenaires talentueux qui à leur manière décompléxée ont repris le flambeau des Murat, Miossec, Dominique A ou Katerine des années 90 dont l’écriture leur avait ouvert d’autres voies

     

     

    D'AnversChosesEnFace.jpgJoseph d'Anvers, Les Choses en face (Atmosphériques, 2006)

    "Le jour se lève sur vos vies, un peu plus usées aujourd'hui". Et pourtant... la vie de Joseph d'Anvers se trouve assurément à l'aube d'un jour nouveau. Même si d'autres rimes-déprimes du jeune homme originaire de Nevers, dans cette Nièvre tout sauf mièvre, peuvent susciter d'aigus malentendus: «La vie est une putain qui nous prend par la main/La vie est une putain qui n'attend pas demain». Après bien des doutes et dévers, il n'a pourtant jamais renoncé. Et le premier corpus de quatorze chansons que dévoile Les Choses en face ne broie pas que des idées noires. Au détour des maux à vif, des «matins blêmes» et des émois nocturnes surviennent aussi lueurs d'espoir et petits enchantements.

    Le rock sombre engendre une pop aux mélodies sautillantes; cordes et cuivres nuancent les zones obscures pour chasser en catimini les airs chagrins et de subtils éclairages rythmiques déglacent en contrechamps les pesantes atmosphères. Joseph d'Anvers, en auteur-compositeur-interprète aussi accompli que malin, sait juxtaposer les dualités, déjouer les pièges de l'uniformité sonore. En funambule sur le fil de ses démons intérieurs (amour-absence-solitude), en chroniqueur réaliste de la grisaille qui environne son périmètre parisien, il débrouille les nœuds de ses mélancolies enfouies. Convictions et talent parachèvent cette première œuvre aux clairs-obscurs captivants. En exil parisien, le chanteur de 29 ans se profile comme l'un des voix à suivre au sein de la nouvelle scène.

    Le cheminement aura été long pourtant avant que Joseph d'Anvers puisse enfin entrevoir l'endroit d'un état d'esprit laminé. Quelques années d'errance à la lisière de Pigalle et Barbès, quand les nuits sont toujours plus belles que les jours. De nombreux détours dans les bars aussi, de concerts en bouts de comptoirs. Avant que tour à tour les conseils de Daniel Darc, le Fair (Fonds d'action et d'initiative rock qui a soutenu IAM, M, Katerine, Louise Attaque, Alexis HK ou Dionysos) et la compilation CQFD 2005 des Inrocks remettent d'Anvers d'aplomb.

    De ce passé affecté, le chanteur a extirpé des couplets-refrains sans faille. Même si l'obsession des rimes parfaites finit parfois par alourdir les chansons. Au cœur de ces Choses en face, touchantes de sentiments peinés autant que de peines pas tout à fait cicatrisées et d'illusions retrouvées, cet ancien chef-opérateur aspiré par le désir de chansons prend aussi une belle revanche sur une première destinée hasardeuse. Du cinéma à la chanson, il n'y avait qu'un pas. Fait sans faux pas ni imposture, son répertoire s'aère et trouve quelques béquilles à son désarroi. A l'instar de Bénabar et d'autres passionnés du septième art qui ont trouvé dans les versifications scénarisées un joli décor pour une vie chantée rêvée, d'Anvers séquence son film existentiel.

    Sans ironie toutefois, sans accents balloche ou musette, Les Choses en face s'appuie plutôt sur des compositions aux teintes pop, rock et folk anglo-américaine. Avec quelques touches de cordes dont le lyrisme pesé souligne les traits d'amertume du vocabulaire. Recueil d'écueils instantanés, ces chansons du fond du cœur surgissent sans faux-semblants: "A Contretemps", "On reste seuls au monde", "Les Trêves", "La Brèche", "Les Cicatrices". Ailleurs, Joseph d'Anvers observe le triste cirque du monde: "La Valse des gens", "Pigalle" ou le magnifique "La Vie est une putain", dont le refrain dédoublé par la voix charbon ou criarde de Miossec constitue l'un des climax de ce disque-mise au point.

  • Episode XIII: Daphné

    Au début des années 2000, dans le sillage des Biolay, Bénabar, Delerm and co est apparu une nouvelle génération d'auteur-compositeur-chanteur très vite rangée sous l’appellation médiatiquement contrôlée "nouvelle chanson française". Cette nouvelle vague vocale s’apprête en 2010 à célébrer ses dix ans d’existence. Retour dans le désordre sur les albums phares (une trentaine) des trentenaires talentueux qui à leur manière décompléxée ont repris le flambeau des Murat, Miossec, Dominique A ou Katerine des années 90 dont l’écriture leur avait ouvert d’autres voies

     

     

    DaphnéCarmin.jpgDaphné, Carmin (V2, 2007)

    Daphné avait déjà livré le splendide L'Emeraude au printemps 2005. Recueil de contes d'une chanteuse aux idées poétiques et au timbre sensuel, L'Emeraude se parait de luxuriantes orchestrations. En empruntant autant au classique qu'à la pop, au swing qu'aux raffinements de l'électronique, elle créait des climats oscillant entre démesure et recueillement, éther et terre. Une ambiance enchanteresse que Daphné a réactivé tout au long de Carmin, deuxième jet plein de sève et de chair qui décline le rouge sur tous les tons. Lyriques, romantiques, oniriques et parfois désespérées, les chansons vives de Carmin évoquent intensément la passion amoureuse, le vague à l'âme au féminin, la mort autant que son antichambre. Une vie qui dans l'esprit de Daphné se doit d'être des plus bouillonnantes et organiques pour valoir la peine d'être vécue: «Mourir d'un œil» exhume comme un clin d'œil le «Je voudrais pas crever» de Boris Vian avant que la chanson ne file au final dans une autre et surprenante direction.

    Arborant comme Camille un répertoire insolemment libre tant dans les formes et textures sonores qu'au regard des textes songeurs, Carmin ne table sur aucun faux-semblant. La voix de Daphné, qui a des airs de Camille, voire Beth Gibbons de Portishead parfois, est aussi capable de toutes les transfigurations sur fond de cordes, chœurs, de piano et percussions au lyrisme subtil. Dans les aigus comme dans les graves, son chant vise l'ensorcellement. Dans «Big Daddy Boy», chanson à part de Carmin en «mémoire du peuple indien massacré et exilé de ses terres», sa voix vous conduit vers d'insoupçonnés ailleurs.

    Aussi ardente que flamboyante du haut de ses 31 ans, Daphné sait aussi évoluer dans des climats plus feutrés et proches d'un certain classicisme de la chanson. C'est le cas de «L'Homme piano», dont tant le titre que l'écriture et la mise en musique rappellent irrémédiablement l'auteure de «La Femme piano», Barbara. Une filiation revendiquée à demi-mot mais qui lui sied à merveille, tant l'écriture organique de Daphné y renvoie en lui greffant des bandes sons proches de celles activées par Kate Bush ou Björk.