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chanson - Page 8

  • Février 2011

    Dans la profusion des sorties mensuelles, ne retenons que quelques chansons...

    daphne-bleu-venise.jpgDaphné, Bleu Venise (V2)

    La chanteuse revient avec «Bleu Venise», troisième album romancé captivant d’onirisme.

    De l’azur sur Venise. Des couleurs musicales à embellir l’hiver. Pour sa troisième escapade discographique qui cligne encore de l’œil vers le nuancier des palettes picturales et du côté des coloristes de la musique classique, Daphné choisit aussi un décor fantasmagorique. Non pour y mourir mais y renaître: à la chanson, à la mélancolie, à la volupté ou à la légèreté. Aux affres aussi bien qu’aux renaissances qu’offre le film de nos vies modestes.

    Bleu Venise, c’est surtout les vertiges d’une Daphné qui filtre la valse des sentiments en chansons. Sa Venise se voit ainsi sous la neige pour accueillir un dernier tango et s’aimer passionnément. ­Daphné a quelque chose d’une fée, métamorphosant ses envies et lubies en un tour de main enchanté. Avec la romance et l’onirisme en guise de compagnons de route et déroute, elle trouve encore une voie sublime.

    Il y a six ans déjà, L’Emeraude (2005) avait révélé son timbre sensuel à travers un recueil de contes aux idées finement poétisées et aux orchestrations luxuriantes. Les partitions y empruntaient autant au classique qu’à la pop, au swing qu’aux raffinements de l’électronique. Et la chanteuse créait des climats oscillant entre démesure et recueillement, éther et terre. Une ambiance enchanteresse que ­Daphné a réactivée tout au long de Carmin (2008), deuxième jet plein de sève et de chair déclinant le rouge sur tous les tons. Lyriques, romantiques, oniriques et parfois désespérées, les chansons vives de Carmin évoquaient intensément la passion amoureuse, le vague à l’âme au féminin, la mort autant que son antichambre. Une existence qui, dans l’esprit de Daphné, se devait alors d’être des plus bouillonnantes et organiques pour valoir la peine d’être vécue. «Mourir d’un œil» y exhumait comme un clin d’œil le «Je voudrais pas crever» de Boris Vian.

    Au fil de Bleu Venise aujourd’hui, elle ne veut surtout plus dormir seule. Et son répertoire de se consumer de désir. Ou de mal d’amour parfois, à l’image du magnifique «Portrait d’un vertige» où les nuits qu’on se rêve et se fabrique sont plus du tout belles à hanter Daphné. Toujours aussi ardente et flamboyante du haut de ses 34 ans, cette Daphné qui a obtenu le Prix Constantin 2007 sait ainsi aussi évoluer dans des climats plus feutrés. Comme dans «Chanson d’orange et de désir» ou «Hors temps» qui rappellent «L’homme piano» (sur Carmin) et les filiations de Daphné avec Barbara. Même si à présent Daphné préfère greffer à sa plume onirique des bandes-sons proches de celles activées par Björk ou Beth Gibbons de Portishead («Even Orphans Have a Kingdom» et «The Death of Santa Claus») ou une fraîcheur pop («L’homme à la peau musicale»). Insolemment libre et romancé, Bleu Venise ensorcelle encore grâce à des cordes soyeuses ou menaçantes.

  • Episode XXXIII: Renaud Papillon Paravel

    Au début des années 2000, dans le sillage des Biolay, Bénabar, Delerm and co est apparu une nouvelle génération d'auteur-compositeur-chanteur très vite rangée sous l’appellation médiatiquement contrôlée "nouvelle chanson française". Cette nouvelle vague vocale célèbre en 2010 ses dix ans d’existence. Retour dans le désordre sur les albums phares (une trentaine) des trentenaires talentueux qui à leur manière décompléxée ont repris le flambeau des Murat, Miossec, Dominique A ou Katerine des années 90 dont l’écriture leur avait ouvert d’autres voies...

    Renaud Papillon Paravel, Subliminable (Impala-RCA, 2004)

    PapillonParavel.jpgLa chanson comme hygiène de l'esprit. Une prose parfois détraquée mais saine à entendre, des mélodies évidentes, un art du désenchantement détaché niché dans un perpétuel flux et reflux sonore qui brasse les styles avec élégance. Renaud Papillon Paravel fait plus que jamais figure d'ovni jouissif dans le paysage musical francophone. Au fil de ses miniatures parlées-chantées, il porte aux nues sa roborative et agile science du collage. Tant lexicale que musicale, avec des mélopées orientales, du jazz, du funk, du reggae, du classique, du hip-hop ou de l'électronique. Une pratique butinée qui avait émergé sans crier gare deux ans plus tôt dans La Surface de réparation. Un disque en forme de hors-d'œuvre porté par "J'aime tonku", chanson aussi salace que délicieuse, sorte de "J'veux du cuir" de Souchon en plus explicite et drôle. Ce premier album autoproduit, bourré de références aussi évidentes que piquées à d'autres et intelligemment détournées, était justement sous-titré Original Motion Picture Soundtrack of My Bizarre Life.

    A la fois cru, baroque et organique, l'exercice de style décomplexé de cet ex-graphiste et photographe indépendant trouve un double prolongement désinvolte avec Subliminable. Objet facilement identifiable à ses chansons-fleuves, belles-bizarres et grinçantes, qui scotchent cette fois sur deux faces. Vingt titres explorant la psyché d'un Renaud Papillon qui semble toujours écrire comme ça lui vient. En alternant âneries futées, autodérision et fulgurances poétiques. Dans un langage à la fois simple et fleuri, ces allégories de vies minables ou fantastiques multiplient aussi les jeux de mots et les airs reposants avec une sidérante aisance. "Malgré l'euro j'aurai toujours des blagues à deux francs", peut-on entendre sur l'attachante chanson douce-amère "Mon petit élément" qui pourrait faire figure de slogan à cet inspiré bricoleur du dimanche.

    En persifleur impénitent, conteur hors pair ou griot d'un autre temps, Renaud Papillon Paravel évolue au rythme de son amertume feinte. Feinte et décalée, tellement l'environnement qu'il se plaît à décrire ne semble que l'effleurer, glisser sur sa peau d'ours mal léché, effronté. Dans la peau d'un acteur porno de campagne, en pourfendeur subtil de l'hypocrisie du business musical, en père sensible ou en homme sans illusions, en contemplatif béat ou misanthrope, ce Toulousain exilé au bord de la Méditerranée dépose sans complexe les histoires les plus improbables. En vers ou en prose, envers et contre toute logique couplet-refrain surtout, l'autodidacte auteur a imaginé ses chansons comme il créait jadis des pochettes de disque ou des affiches de concert. Il fusionne des éléments disparates, sample à tout va, copie-colle des mots façon Bashung, récite hypnotiquement à la manière de Rodolphe Burger ou Arthur H. Mais assemble tout de même avec un souci d'harmonie et de fraîcheur ses couleurs sonores et rythmiques. Regardant sur la profondeur de champ de ses chansons en forme de mini-fictions scénarisées avec une précision chirurgicale. Entre electro licencieuse, tempos sensuels, bande-son panoramique et ambiances étouffantes, Renaud Papillon brosse des climats successivement incarnés et décharnés. Auxquels sa voix claire ou rêche, donnant moins souvent dans les talk-over gainsbouriens qu'à l'intérieur de La Surface de réparation, apporte toute une gamme de nuances.

    A côté d'une facette très abrupte, Renaud Papillon cultive aussi admirablement bien l'absurde et le burlesque. Sur «Le chanteur bien cuit», il se rit avec finesse de ses ennemis jurés de la variété avariée: "Pour une fois que j'ai un refrain trop classe, quelques vers nazes, le tout glissant comme du beurre, que tout le monde connaîtra vite par cœur, un truc tout creux sans âme, avec ça je dépasse Jean-Jacques Goldman […] Pour une fois que j'ai une mélodie qui va plaire, c'est comme si j'étais déjà l'ami de Drucker […] Je ramasse le blé et marque l'avoine, ah! ah! ah!, assez facile je sais mais on fait que passer, on lâche nos caisses de chansons nazes et on se casse." Dans le même temps, ludique, il ne recule devant aucune facilité, en repiquant ailleurs et pour un refrain de fin: "Mais au bout du compte, on se rend compte, qu'on est toujours tout seul au monde." L'habileté du Papillon, ne jamais se la péter.

     (L'article dont est principalement extrait ce texte est consultable sur le site du Quotidien suisse "Le Temps")

  • Mai 2010

    Dans la profusion des sorties mensuelles, ne retenons que quelques chansons...


    LallemantVerger.jpgBastien Lallemant, Le Verger (Acousti Studios)

    Un disque exquis où rôdent pourtant les cadavres en pagaille. Première ombre à ce tableau noir que Bastien Lallemant a dénommé Le Verger, une femme qui gît sur le sable fin et « que les vagues découvrent puis recouvrent sans fin ». Suit une jeune fille pas vraiment en fleur se perdant au fond des bois, sur les traces de son assassin. Avant qu'un cow boy à bout de nerf ne finisse par dézinguer sa jolie poupée jugée trop inquisitrice.

    Pour son troisième album, Bastien Lallemant a choisi d'avoir la gâchette facile. En jouant les chanteurs de polar dans une enfilade de petits contes cruels où le poids des mots ainsi que les sévices infligés à ses personnages sont toutefois souvent contrebalancé par de légères lignes de fuites mélodiques. Même si, quand la jeune fille précitée s'égare dans les sous-bois sur « Les Fougères », l'ambiance musicale évoque le mystère, elle ne plombe pas pour autant l'atmosphère. Dans l'ensemble de ses douze chansons-nouvelles truffées de destins furtifs, Lallemant figure plutôt que de surligner son propos.

    Avec ce sublime Verger, l'ex-pensionnaire et perle du label français Tôt ou Tard -hélas éjecté faute de rentabilité - brise cinq ans de silence de la plus élégante des manières. Timbre et diction évoquant toujours ça et là de manière troublante le Gainsbourg perfide (« L'empoisonneuse » ou «Une vie de chien »), Lallemant surpasse ici les exercices de style attractifs qu'étaient Les Erotiques (2005) et Les Premiers Instants (2003). Le goût des fruits défendus à cédé sa place à une fibre sciemment vénéneuse qui s'en révèle que plus délicieuse.

  • Episode XXVI: Renan Luce

    Au début des années 2000, dans le sillage des Biolay, Bénabar, Delerm and co est apparu une nouvelle génération d'auteur-compositeur-chanteur très vite rangée sous l’appellation médiatiquement contrôlée "nouvelle chanson française". Cette nouvelle vague vocale s’apprête en 2010 à célébrer ses dix ans d’existence. Retour dans le désordre sur les albums phares (une trentaine) des trentenaires talentueux qui à leur manière décompléxée ont repris le flambeau des Murat, Miossec, Dominique A ou Katerine des années 90 dont l’écriture leur avait ouvert d’autres voies

     

    RenanLuceRepenti.jpgRenan Luce, Repenti (Barclay, 2006)

    "Cherche regard neuf sur les choses/Cherche iris qui n'a pas vu la rose/Je veux brûler encore une fois/Au brasier des premières fois...", chante Renan Luce dans "L'Iris et la rose". La première strophe pourrait faire figure de devise au répertoire de ce jeune homme de 26 ans béni de talent. Tant son écriture tragi-comique se révèle d'une finesse exemplaire. Et d'un imaginaire débordant qui ne mène que rarement là où on l'attend.

    Français de Morlaix, dans le Finistère, Renan Luce effectue en fait une des plus palpitantes entrées en chanson de ces dernières saisons. Dans Repenti, premier album porté par une insidieuse et mélancolique chanson éponyme aux accents siciliens, il trempe sa plume impressionniste dans une encre jamais baveuse. Ici, on sourit gentiment, davantage qu'on rit franchement comme c'est le cas chez Bénabar, dont il a assuré les premières parties, ou Vincent Delerm.

    L'auteur de Repenti se fait ainsi souvent voyeur pour épier ses contemporains. Il se glisse aussi volontiers dans la peau de loups solitaires aux destins cabossés, aux manières pas tout à fait catholiques. Procédé le plus sûr pour emmener l'auditeur sur des chemins de traverse. Renan Luce: "Ce que j'aime chez les gens solitaires ou timides, c'est qu'il leur arrive souvent des choses incongrues et insoupçonnables. J'aime explorer de façon plus générale les zones cachées. Ces non-dits qui complètent une identité. Et si je suis attaché au mode tragi-comique, c'est parce qu'il permet de multiples rebondissements dans l'écriture."

    D'ailleurs, Renan Luce écrit long. Ne répète jamais trop les couplets. Il laisse courir son imaginaire sans peur. Mais toujours avec un point de vue. Un angle bien précis pour dérouler ses scénarios. Sur l'intimiste "Je suis une feuille", le Breton retrace poétiquement quelques-unes des mille vies fantasmées d'un papier léger à l'origine de bien de hauts faits. Bienfaisants ou non.

    De recoins en zones d'ombre, d'âmes en peine en fantômes passés, Renan Luce traque les souvenirs, fouille dans la gamme des sentiments. Une légère brisure dans sa voix ajoute au charme de ce qu'on peut qualifier sans gratuité d'"univers". Affirmé encore musicalement en empruntant autant au folk qu'au blues-rock façon Tom Waits, à la pop qu'aux ambiances de bastringue ou valsées. Toutes les atmosphères de son répertoire sont soigneusement orchestrées. L'acoustique domine - piano, guitare, contrebasse - et les mélodies s'avèrent très légères, aériennes ou brumeuses.

    Happé par la chanson au terme de sa scolarité obligatoire, alors que sa prime formation musicale s'est faite au conservatoire dont il n'était pas un assidu (piano saxophone), Renan Luce s'est mis à écrire quand il a troqué pour quelques francs son saxo pour une guitare. Il lui confie d'abord ses états d'âme, avant d'élargir peu à peu la focale de ses chansons. En la matière, son "maître d'écriture" avoué sera Brassens. Sur scène, il aime d'ailleurs reprendre "L'orage".

    Sinon, Nougaro, Moustaki et Brel s'écoutaient en famille, puis Miossec, Louise Attaque et Dominique A le touchent au cœur à l'adolescence. Un enrichissement par strates successives, dont les Beatles côté anglo-saxon constituent une autre trame de fond. L'expérience de la scène passe ensuite pour Renan Luce par la bouillonnante Rennes (études) et la boulimique Paris (travail de graphiste ces trois dernières années): circuit des cafés-concerts, et tout s'accélère. Repéré entre autres au printemps 2006 à Genève (Festival Voix de Fête), il décroche un "Prix pros". Seul sur scène, guitare-voix, il remet cela un peu plus tard au prestigieux festival de chanson Alors chante!, à Montauban. Il y glane cette fois le Prix du public.

    Courtisé par plusieurs maisons de disques, c'est au final Universal qui publie son attendu Repenti. Une entrée en matière qui ne trahit aucun espoir.

  • Epoustouflant JP Nataf

    Incursion mardi 9 février nuit au festival Les courants d'airs de Thonon-les-Bains (74). Où JP Nataf défendait sur scène l'impressionnisme impressionnant de Clair, son excellent deuxième album solo paru en novembre dernier. L'ex-commandeur des Innocents s'y est montré littéralement époustouflant. Donnant une chair classieuse et une amplitude folle à ses déjà grandes chansons pop. Derrière sa paire de petite lunette fumée et son collier de barbe - désormais seconde peau de son personnage de barde désinvolte tendance néo-folk, JP Nataf y conjugue d'abord son souffle mélodique et poétique avec des pépites comme "Monkey", "Viens me le dire" ou "Elle". Et son trio (basse-ukulélé/claviers-guitares/batterie) de se faufiler toujours très subtilement dans ces chemins de traverse harmoniques, avant d'activer quelques détours plus rock qui permettent de captivantes saillies maîtisées au coeur d'un paysage musical plutôt paisible.

    D'une fluidité insensée malgré la luxuriance et la densité des décors intérieurs ("Après toi", "Les lacets"), le répertoire de Nataf révèle un groove rarement croisé aujourd'hui au sein de la scène d'expression française. Une finesse classieuse doublée d'une mélancolie pop inouïe qui s'appuient sur une apparente simplicité. Autant de lignes claires, parfois perturbées par d'hallucinés élans ("Je mange mal" ou "Jeune homme"), qui se métamorphoseront en "myosotis" au moment d'un premier final. Au milieu de rappels répétés mérités, JP Nataf bluffe encore son monde avec une version acoustique, assis seul à la guitare en front de scène, de "Mon ami d'en haut". Un ange passe. Les inconditionnels des Innocents repartent même avec le refrain d'"Un monde parfait" en guise d'épilogue. Nataf, c'est une classe resplendissante.