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Nouvelle chanson française: dix ans dans le rétro - Page 6

  • Episode VIII: Karin Clerq

    Au début des années 2000, dans le sillage des Biolay, Bénabar, Delerm and co est apparu une nouvelle génération d'auteur-compositeur-chanteur très vite rangée sous l’appellation médiatiquement contrôlée "nouvelle chanson française". Cette nouvelle vague vocale s’apprête en 2010 à célébrer ses dix ans d’existence. Retour dans le désordre sur les albums phares (une trentaine) des trentenaires talentueux qui à leur manière décompléxée ont repris le flambeau des Murat, Miossec, Dominique A ou Katerine des années 90 dont l’écriture leur avait ouvert d’autres voies

     

     

    ClerckFemmeX.jpgKarin Clercq, Femme X (Pias, 2002)

    Karin Clercq ne devait plus rester anonyme longtemps, elle qui confessait dans sa chanson-titre qu'«être personne, ça me dérange». Cette ex-comédienne bruxelloise effectuait en tous les cas une entrée remarquable dans la chanson, en campant au long de son premier album une série de rôles attachants et parfois déboussolants. Autant de rôles de fiction-affliction réunis sous le titre de Femme X. Karin Clercq éclaire des visages tapis dans l'ombre: fille de joie de l'Est pleine d'illusions, épouse infidèle, célibataire en mal de chair, amantes passionnées, grand-maman à l'orée du dernier souffle. Une galerie de treize portraits de femmes qu'elle a imaginés et couchés sur papier, avant de les confier aux bons soins de Guillaume Jouan, musicien qui a notamment épaulé Miossec sur ses trois premiers disques.

    Tour à tour froides, voluptueuses, jalouses ou au bord de la crise de nerfs, les héroïnes qu'incarne intensément Karin Clercq pansent toutes à voix haute leurs écorchures, évoquent sans fard leurs cicatrices intimes, leurs regrets. Sur le ton fragile et fébrile de la confidence, une épouse infidèle («Fêlure»), une célibataire en mal de chair («Désir»), des amantes passionnées («Je t'ai dans la peau», «Etranger»), une fille de joie pleine d'illusions («La chanson d'Anna») ou une grand-mère en fin de vie («Douce») se croisent sans se voir. Et personne, ni même la «Kassandre» d'une chanson épileptique, ne saurait leur prédire l'avenir.

    Pour maquiller ces lignes de vie souvent brisées, Guillaume Jouan a composé des atmosphères délétères. Tout en explosions contenues. Des musiques dont les traits de caractère oscillent entre névroses électroniques et mauvaises humeurs électriques ou acoustiques. Des musiques où guitares, basses et batteries sont sous l'emprise d'une Karin Clercq «possessive, excessive, impulsive, agressive, hystérique, romantique» («Ne pas»). Une déclinaison d'immersions, pleines de ressentiments, qui troublent durablement. En 2005, en compagnie encore de son complice Guillaume Jouan, Karin Clercq a publié le plus inégal Après l'amour.

  • Episode VII: Elista

    Au début des années 2000, dans le sillage des Biolay, Bénabar, Delerm and co est apparu une nouvelle génération d'auteur-compositeur-chanteur très vite rangée sous l’appellation médiatiquement contrôlée "nouvelle chanson française". Cette nouvelle vague vocale s’apprête en 2010 à célébrer ses dix ans d’existence. Retour dans le désordre sur les albums phares (une trentaine) des trentenaires talentueux qui à leur manière décompléxée ont repris le flambeau des Murat, Miossec, Dominique A ou Katerine des années 90 dont l’écriture leur avait ouvert d’autres voies

     

    ElistaFoliedouce.jpgElista, La Folie douce (Jive, 2006)

    La Folie douce. Un titre qui correspond bien aux humeurs d'Elista. Au cours de ce deuxième album de haute tenue, le groupe français réactive ses alliances fatales entre retenue et turbulence, entrevues sur son premier album éponyme (2003). Autant d'atouts de chansons aux apparences trompeuses, faussement hospitalières, baignant dans un pop-rock âpre. Ce mariage d'irraison avait culminé dans certains des premiers titres d'Elista, merveilles de crises d'épilepsie, comme "Rendors-toi" et "Tu es légère".

    Davantage qu'hier encore, Elista se montre frontal à l'entame de ses compositions aux mélodies fines. Mais dérive vite vers des climats aériens, insufflant avec aisance des respirations dans les climats orageux – parfois proches du post-rock – de sa Folie douce. Entre délicatesses pop, tensions rock et joliesse mélodique, la jeune formation de Seine-et-Marne réaffirme l'étendue de sa maturité de composition et la même insolence de ton.

    Elista, aussi vaillant qu'à fleur de peau dans son écriture et autant aérien que léger dans ses compositions, signe ainsi une des belles alchimies entre langue française et grammaire du rock anglo-américain. Sous une apparente incohérence où chaque titre semblait avoir été taillé pour devenir un potentiel single-tube, le répertoire d'Elista tire sa substance de son économie d'effets de manche. Pas de guitares de trop, d'artifices électroniques qui soient inutiles ou fébriles; une écriture à la fois sobre, nerveuse et raffinée, une voix agréablement posée sur des chansons à l'efficace brièveté.

    Derrière l'allégresse, l'urgence. Au-delà d'histoires funestes, le paradis terrestre malgré tout. La Folie douce balance ainsi, entre introspections cathartiques et lueurs d'espoir. Le noir-blanc d'un destin dérisoire, le mystère où les zones d'ombre charrient davantage de nuances que le volontarisme coloré. Mais quand Elista restitue l'enfer des "Hommes ordinaires", les regards hagards, il ne juge pas. Préférant confesser à demi-mot sa peur des lendemains, douter du courage de chacun, que de dénoncer les petites trahisons. Elista interroge: "Mon manque de témérité/Me voue-t-il à te mériter" ("Lâcheté"). L'amour? L'amitié? La vie? En mariant à merveille profondeur et vitesse, asphyxie et éclaircie, mots d'auteur et maux d'époque dans un souffle précipité et électrifié, Elista touche en plein cœur. Avec, en prime, au fil de ses chroniques obsédées par la fuite du temps et le sens de la vie, un beau voile de mystère.

  • Episode VI: Fabien Martin

    Au début des années 2000, dans le sillage des Biolay, Bénabar, Delerm and co est apparu une nouvelle génération d'auteur-compositeur-chanteur très vite rangée sous l’appellation médiatiquement contrôlée "nouvelle chanson française". Cette nouvelle vague vocale s’apprête en 2010 à célébrer ses dix ans d’existence. Retour dans le désordre sur les albums phares (une trentaine) des trentenaires talentueux qui à leur manière décompléxée ont repris le flambeau des Murat, Miossec, Dominique A ou Katerine des années 90 dont l’écriture leur avait ouvert d’autres voies

     

    MartinFabien.jpgFabien Martin. Comme un seul homme (Universal Music, 2006)

    Fabien Martin, un blaze anodin pour un Français de 32 ans qui exige pourtant attention. Surtout depuis qu'il a eu l'intelligence d'élargir la focale de l'écriture sentimentalo-cocasse que charriait Ever Everest (2005). Quand il s'était fait remarquer en détournant "La vie en rose", le standard chanté par Edith Piaf, dans une version tragi-comique rebaptisée "La vie morose". Un beau fait d'armes que son premier album ne confirmait hélas pas pleinement.

    Moins portés sur ce second degré à la longue aussi niaiseux que pénible, Comme un seul homme puise musicalement surtout aux sources du rock et de la pop anglo-américaine. Du coup, son répertoire gagne en âpreté. Tandis que les textes se sont quant à eux bonifiés en contours imagés, en empathie sociale, en profondeur et en climats aussi, bref en maturité. Ce qui faisait de cet originaire de Chatenay-Malabry un cousin lointain et aventureux des Bashung, Noir Désir, Kat Onoma, Dominique A ou autres Yann Tiersen. De quelques-uns des interprètes qui ont réussi le mariage d'une grammaire rock avec une forme de chanson à texte.

    Avec son titre d'ouverture, un manifeste mélodique baptisé "Toute une vie" traitant sous ses airs légers du désarroi contemporain, Comme un seul homme annonce à merveille les clairs-obscurs à venir. La force de Fabien Martin tient ainsi à sa capacité d'évoquer et de questionner singulièrement les affres et contradictions de nos courtes et parfois tristes vies terrestres sous un vernis d'innocence: "Entendre de belles paroles/Pas seulement le cours du pétrole/Nos vies valent bien plus que ça." Pour souligner ce parti pris, il aime d'ailleurs à citer une petite perle de Jean-Luc Godard: "On est tous les enfants de Karl Marx et Coca-Cola."

    Album aux résonances actuelles, Comme un seul homme voit pourtant l'auteur et compositeur plonger souvent dans le passé. Tout en gardant l'humain au centre de ses réflexions chantées. Dans "1936", il a ainsi imaginé une ballade vertigineuse à partir d'une phrase empruntée à un combattant républicain lors de la guerre d'Espagne: "Nous avons perdu toutes les batailles, mais c'est nous qui avions les plus belles chansons." Cette marche fraternelle sur le ressenti d'un type en instance d'exécution, Martin dit l'avoir enregistrée les yeux bandés et les mains attachées!

    Ailleurs, le chanteur qui affiche une voix plus ample et assurée que sur son disque inaugural s'offre aussi un retour plus léger dans le Paris d'avant-guerre. Sans tomber dans le piège de la nostalgie "accordéonisée" à tout va. Son "Paris Gangster" retrace les difficultés d'adaptation. Les fins d'époque comme nos peurs ou nos utopies mises à mal inspirent subtilement la plume de Fabien qui, tel un Martin Guerre réveillant les regards sur la condition humaine, s'attache à ce qui fait hier comme aujourd'hui basculer les destins. A l'image de "La grande aventure", chanson-épopée existentialiste au crescendo lyrique asphyxiant. Le passé pour révéler le présent, il y a aussi recours en adaptant deux poèmes du méconnu Paul-Jean Toulet (1867-1920). Chansons libres formellement, révoltes sourdes...voilà au final un captivant insoumis.

  • Episode V: Bertrand Belin

    Au début des années 2000, dans le sillage des Biolay, Bénabar, Delerm and co est apparu une nouvelle génération d'auteur-compositeur-chanteur très vite rangée sous l’appellation médiatiquement contrôlée "nouvelle chanson française". Cette nouvelle vague vocale s’apprête en 2010 à célébrer ses dix ans d’existence. Retour dans le désordre sur les albums phares (une trentaine) des trentenaires talentueux qui à leur manière décompléxée ont repris le flambeau des Murat, Miossec, Dominique A ou Katerine des années 90 dont l’écriture leur avait ouvert d’autres voies

     

    BelinLaPerdue.jpgBertrand Belin, La Perdue (Sterne, 2007)

    Entre lyrisme et onirisme, classicisme et modernité, swing et valse, ballade et saccade mélodique, Bertrand Belin avait dévoilé des trésors de charme sur un premier album éponyme (2005)à la poésie vagabonde. Deux ans tout juste après ces chants raffinés, qui se promenaient de "Porto" à "Barcelone" via le "Terminus le Treport", le jeune homme confirmait avec La Perdue ses prometteuses qualités narratives et littéraires. Avec un goût toujours immodéré pour les mélodies obliques, l'ancien membre du quintette sans voix Les Enfants des Autres, ex-guitariste studio de Bénabar ou auteur-musicien pour Néry continue de tracer les contours d'un univers singulier-pluriel.

    Aux côtés de Belin, on pénètre un univers enchanteur et étrange, peuplé de créatures intrigantes et attachantes. Il y a là un soldat nostalgique d'un ami dans les tranchées, une dame qui "a de la place dans son cou… […] une dame à compter les coups durs et les confidences des murs" (splendide "Des os de seiche" ou une touchante femme recluse et perdue dans une maison à l'orée des bois ("La perdue").

    Avec malice et délice, l'admirateur de Rimbaud, Francis Ponge, Philippe Jacottet, sans doute aussi du Vian et du Gainsbourg des débuts, a imaginé un recueil de douze poésies suspendues qui naviguent entre romantisme, naturalisme et surréalisme. L'écriture du barde moderne qu'est Belin a le don de cultiver par ailleurs des parfums mystérieux ou oniriques, d'adresser des clins d'œil au passé littéraire ("Le trou dans ta poitrine"). Le tout d'une voix sublimement indolente.

    Au cœur de ces climats plein d'élégances acoustiques, de couleurs chatoyantes où s'invitent des pointillés électriques, Belin établit d'incessants ponts entre classicisme et modernité. Sur le fil délicat de ces chansons atmosphériques, les humeurs se font tour à tour complices, burlesques, mélancoliques. Et le répertoire de La Perdue de charrier aussi des parfums de paradis perdus ou de sensations éperdues. Dans un décor où la nature est luxuriante (forêts à perte de vue, orchidées, cyprès, oiseaux, fougères), la quête d'ailleurs ou d'un pays merveilleux à l'imaginaire décomplexé passe encore par le plaisir des sens. Musicalement, guitare, banjo, violoncelle, flûte, piano et trombone notamment contribuent à tisser des ambiances sensuelles. Alors qu'en matière textuelle, la volupté métaphorique de "Tes délices", narrant l'intimité entre deux amants, est peut-être sans égale. Alors que "L'Aube posée" et ses jeux sur la langue se montre d'un érotisme ravageur.

    Figures de style explicites, poésie des sens, images figuratives, silences, sous-entendus et impressionnisme, Bertand Belin manie le verbe comme peu en francophonie dans son registre. Dans son fablier d'une audacieuse et passionnante désuétude, c'est bien la patte d'un moderniste qui éclate.

  • Episode IV: Jeanne Cherhal

    Au début des années 2000, dans le sillage des Biolay, Bénabar, Delerm and co est apparu une nouvelle génération d'auteur-compositeur-chanteur très vite rangée sous l’appellation médiatiquement contrôlée "nouvelle chanson française". Cette nouvelle vague vocale s’apprête en 2010 à célébrer ses dix ans d’existence. Retour dans le désordre sur les albums phares (une trentaine) des trentenaires talentueux qui à leur manière décompléxée ont repris le flambeau des Murat, Miossec, Dominique A ou Katerine des années 90 dont l’écriture leur avait ouvert d’autres voies

     

    CherhalLEau.jpgJeanne Cherhal, L'Eau (Tôt ou tard, 2007)

    L'Eau, voilà un titre idéal pour filer les métaphores aquatiques. Le troisième album de Jeanne Cherhal les égrène d'ailleurs de son propre chef. Avec, à son générique, des chansons aussi organiques que "Canicule", "Je suis liquide", "Rondes larmes", "L'eau" ou "Petite soupe". Le disque a en tout cas occasionné des gouttes de sueur à l'auteure et compositrice française qui aura mis une année à en peaufiner textes et musiques dans son coin, après une longue série de tournées-marathons. Pour un résultat d'une extraordinaire luxuriance harmonique, vocale et instrumentale.

    Au fil de L'Eau, l'ex-peste du piano-voix a surtout libéré son écriture et sa gorge. Plutôt que de magnifier ludiquement encore les petits riens, à la manière de tout un pan de la jeune scène francophone, la pensionnaire du label Tôt ou Tard (Delerm, Fersen, Franck Monnet, etc.) s'est laissée aller à une écriture plus elliptique et poétique. Paradoxalement davantage universelle alors que plus abstraite. Comme si le fait d'aborder des choses de l'intime, des fêlures, des doutes ou des indignations ont rendu Jeanne Cherhal plus proche encore.

    Il y a trois ans à peine, elle avait ses mots: "Bizarrement, plus je parle de moi, plus cela semble toucher les gens." A la faveur de Douze fois par an, album détonnant fondé sur d'insolites chroniques de l'anodin, Jeanne Cherhal avait affirmé tout son chic pour planter des décors cocasses et se mettre dans la peau de situations ou de personnages. D'"Un couple normal" aux "Photos de mariage", via des chansons comme "Ça sent le sapin" ou "Le petit voisin", son écriture choisissait l'angle d'une délicieuse empathie. Autant d'exploits décapants qui ont fini par propulser la Nantaise "Révélation" des Victoires de la musique millésime 2005.

    L'Eau de Jeanne Cherhal esquisse surtout les doutes et fardeaux de l'âme d'une femme pas encore trentenaire. Au cœur de ce recueil de chansons sensibles en forme de comptines faussement innocentes, Cherhal touche également grâce à deux chansons aux thématiques plus graves: "On dirait que c'est normal" parle d'excision, "Le tissu" soulève la question du voile. Elle a recouru au même nuancier pour "Le tissu". Au-delà de cette seconde préoccupation sur la soumission féminine, Cherhal y injecte un regard d'une tendresse infinie. C'est son sens des détails qui rejaillit. Sauf qu'il est agencé différemment désormais. En reposant davantage sur des jeux de langue, de sonorités, de climats, de timbres, elle s'ouvre des horizons oniriques, plus charnels et sensuels. Son Eau à elle perlerait ainsi presque des libertés esthétiques du Fil de Camille. Par sa facture à la fois féminine et audacieuse, en raison de son fond intime sous ses formes ludiques qui marrient pop et rock, folk et folklore, rythmiques afro et superpositions de chants.